• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE 1. La contraception : une invention improbable

2. Marie-Andrée Lagroua Weill-Hallé ou la contradiction en héritage

Catholique convaincue, née dans la bourgeoisie provinciale, rien ne semblait a priori prédisposer M.-A. Lagroua Weill-Hallé à manifester une tendance à transgresser certaines limitations inscrites dans le monde social. Pour comprendre comment cette dernière a pu apparaître chez elle, il convient dès lors d’examiner plus en détails une série d’expériences qui jalonnent la période allant de l’enfance à son investissement improbable dans des études de médecine. M.-A. Lagroua Weill-Hallé est née en 1916 au Bouscat en Gironde. Elle est la cadette d’une fratrie de deux enfants. Ses parents ont connu une situation de déclassement débuté à la génération précédente. La branche maternelle appartient en effet à la bourgeoisie de la soie victime des épidémies de la fin du XIXème siècle. La branche paternelle est issue de la

1 Médecin des hôpitaux, B. Weill-Hallé n’accédera jamais au rang de professeur. En 1950, il devient toutefois membre titulaire de l’Académie de Médecine dans la section d’Hygiène et d’Épidémiologie. Cette tardive reconnaissance institutionnelle lui permettra de consolider son capital social au sein de l’institution.

2 Ainsi, au moment où Vichy lui interdit s’exercer la médecine, cette multipositionnalité lui permettra de poursuivre discrètement ses travaux à l’Institut Pasteur.

3 Il est à la fois capable de manifester une compétence clinique des plus traditionnelles (« Son enseignement pédiatrique reflétait surtout une grande expérience personnelle et faisait toujours plus large part au bon sens qu’à l’érudition » (Raymond Turpin, « Benjamin Weill-Hallé... », op. cit., p. 1934)) et les tours de main d’une démarche expérimentale.

4 Sur l’antisémitisme dans la médecine française durant l’entre-deux-guerres et l’Occupation, voir : Bruno Halioua,

Blouses blanches, étoiles jaunes..., op. cit. ; Henri Nahum, La médecine française et les juifs 1930-1945, Paris, L’Harmattan, 2006, 412 p.

93

bourgeoisie industrielle du Nord et semble avoir connu un revers de fortune en raison d’une prodigalité excessive. Au sujet de cette dernière, la fille de M.-A. Lagroua Weill-Hallé indique en entretien :

« - Alors, mon grand-père, il était…c’était un idéaliste, hein. - D’accord.

- Alors, il était…euh. Alors son père était (...), il est né à Saint-Omer, donc. Il est…il paraît, il paraît que son père, le père de mon grand-père, il avait été pris très souvent comme sculpture pour faire des sculptures et des modèles, pour faire, parce que c’était un homme qui était très riche, qu’avait une entreprise très prospère en [inaudible] à Dunkerque, avec cinq enfants, et puis…Et puis, ben… lui, il avait beaucoup d’argent, lui il donnait tout son argent. Donc il a dilapidé toute sa fortune, euh, parce qu’il était…c’était un riche quoi, donc. Il donnait, il a donné toute sa fortune. Et donc, mon grand-père, a hérité donc un peu de son idéal, de son esprit »1.

En dépit d’une expérience commune du déclassement, les parents de M.-A. Lagroua Weill-Hallé forment une configuration familiale non homogène. Les dispositions et les croyances respectives s’y opposent presque systématiquement. La mère est issue d’une famille catholique pratiquante (deux de ses sœurs sont ursulines ; en outre, pour les parents, il semble que cela ait été également un moyen de leur assurer un avenir après la déstabilisation de leur position sociale). Dans son cas, la reproduction de comportements de piété acquis au cours d’une socialisation religieuse intense paraît complète (par exemple, sa petite-fille se souvient : « Ma grand-mère allait à la messe tous les matins, à six heures »2). À l’opposé, le père hérite semble-t-il d’un « idéalisme » déjà présent à la génération précédente : en ce sens, sa petite-fille le qualifie de « rouge », qui le campe en « socialiste communiste »3. Et d’ajouter qu’il aurait été adhérent d’un parti sans pouvoir préciser lequel. Par ailleurs, si, à plusieurs reprises, elle souligne que, dans son enfance, les oppositions entre ses grands-parents étaient « drôles » à voir, ces multiples discordances dispositionnelles semblent toutefois avoir été au principe de tensions telles qu’elles ont vraisemblablement provoqué un éloignement de son grand-père juste après son mariage :

« Mon grand-père et...donc s’est marié avec ma grand-mère et puis comme il supportait pas cette atmosphère religieuse parce que (...), ma grand-mère vivait avec sa mère, euh, il est parti et il est devenu, il est parti dans les colonies. Donc, il a quitté ma grand-mère tout de suite, pratiquement. Ma grand-mère est enceinte du frère de ma mère. Et donc il est parti pendant dix ans…Donc pendant dix ans, il est parti dans les colonies et il est revenu au bout de dix ans »4.

La mère de M.-A. Weill-Hallé vit une situation de quasi célibat qui l’oblige à travailler. Elle donne des cours de piano aux enfants de la bourgeoisie bordelaise et semble avoir suffisamment gagné sa vie au point, selon sa petite-fille, de « commenc[er] à être indépendante »5. Après avoir occupé un emploi de fonctionnaire colonial pendant environ dix ans, son mari revient

1 Entretien avec Andrée Weill-Hallé.

2 Ibid.

3 Ibid.

4 Ibid.

94

victime du paludisme. Ce retour va avoir plusieurs conséquences pour le couple. D’abord, conformément à la représentation dominante des rôles masculins et féminins en vigueur dans la bourgeoisie de l’époque, cette reprise effective de la vie conjugale interrompt l’activité professionnelle de l’épouse : « Et à ce moment-là, ma grand-mère a estimé que le rôle d’une femme c’était d’être à la maison, et donc elle a abandonné…son cours où elle gagnait bien sa vie, et elle est devenue femme au foyer »1. Malade, son époux ne retravaillera plus et se contentera d’une modeste pension. Après avoir connu un début de confort matériel, le couple connaît une certaine précarité économique au regard des normes de son milieu : « Donc à partir de ce moment, ils ont très mal vécu financièrement. Donc, c’était bourgeoisie de province, mais pas riche du tout »2. Autre effet du retour du grand-père, la volonté d’avoir un deuxième enfant. De ce point de vue, il semble que la position occupée par M.-A. Lagroua Weill-Hallé dans la fratrie (une quinzaine d’années la sépare de son frère) et dans le cycle biographique parental a déterminé le type d’investissement dont elle a fait l’objet. Enfant fortement désirée et conçue dans la difficulté – sa fille rappelle : « C’est à l’occasion d’un voyage à Lourdes qu’elle a été conçue. Et ma grand-mère était allée à Lourdes pour supplier la très sainte Vierge au pied de la grotte pour pouvoir avoir un autre enfant »3 –, elle concentre sur elle une attention parentale maximale. Cette « enfant du miracle »4 qui, en raison de l’écart d’âge avec son frère et de la différence de sexe, occupe une place assimilable à celle d’un enfant unique, semble avoir hérité de façon particulièrement intense d’aspirations à la fois paternelles et maternelles. Retraité avant l’heure, son père semble avoir joué un rôle décisif en l’entourant en permanence d’attention et d’affection :

« Alors mon grand-père, donc…alors quand il est revenu, ben quand il est revenu, y’avait plus qu’une chose qui comptait c’était ma mère. À partir du moment où ma mère est née, alors là c’était…il a, il lui donnait un petit nom, parce que c’est en Afrique, il l’appelait « kouky ». C’était un petit nom, c’était son « kouky » »5.

De son côté, la mère assure un fort encadrement religieux et culturel. Au cours de ces premières années, M.-A. Lagroua Weill-Hallé acquiert une disposition durable à l’ascétisme qu’elle transposera par la suite dans plusieurs domaines d’activités. D’elle, une virtuosité est exigée en matière religieuse (sa fille indique que sa mère s’est confessée à 5 ans et a été à la messe de façon quotidienne jusqu’à l’âge de 21 ans) et dans la pratique intensive du piano. En entretien, sa fille remarque : « Ma grand-mère, elle a dû élever sa fille, donc ma mère, pour en faire une perfection »6. Par ailleurs, l’excellence scolaire est requise par son père qui semble avoir

1 Ibid.

2 Ibid.

3 Ibid.

4 Ibid.

5 Ibid. P. Bourdieu souligne que « le travail de socialisation des pulsions s’appuie sur une transaction permanente dans laquelle l’enfant accorde renoncements et sacrifices en échange de témoignages de reconnaissance, de considération ou d’admiration (...), parfois explicitement sollicités (...). Cet échange, dans la mesure où il engage toute la personne des deux partenaires, surtout l’enfant évidemment, mais aussi les parents, est hautement chargé d’affectivité. L’enfant incorpore du social sous forme d’affects, mais socialement colorés, qualifiés » (Pierre Bourdieu, Méditations pascaliennes, op. cit., p. 200).

95

accepté tacitement les exigences imposées par la mère en matière de religion en échange de bons résultats à l’école :

« - Mon grand-père lui il était fou de sa fille et donc, ce qu’était important pour mon grand-père c’était les notes, et la religion y s’en foutait complètement. Mais par contre, quand elle ramenait des bonnes notes, il était vraiment fou de joie (...)

- Et c’était une bonne élève votre mère ? - Elle était obligée, hein ! »1.

On peut se faire une idée de cette prise en charge constante et des exigences parentales ayant fabriqué un ensemble particulier de dispositions mentales et comportementales inclinant à la rationalisation et à l’effort prolongé, en citant l’emploi du temps auquel la jeune M.-A. Lagroua Weill-Hallé a été soumise, tel du moins que sa propre fille le rapporte :

« - Donc, voyez, y’a un contexte religieux, très important, au niveau de l’éducation de ma mère. Et elle a fait donc ses études, jusqu’à…Alors pour ma mère, ce que je voulais vous dire, c’est qu’elle a fait donc des études, à la fois des études dans un cours, un petit cours, parce que en même temps, elle a, elle faisait des études de piano, à partir de l’âge de sept ans. Elle a commencé à faire des études de piano donc très très importantes. Elle a été premier prix de conservatoire à treize ans, et donc, elle a…Elle faisait, mettons, sept heures de piano par jour. Et a treize ans, elle a passé le concours au conservatoire, elle allait au conservatoire tous les jours, et donc y’avait le côté piano qu’était en même temps que ses études

- D’accord.

- À la limite c’était fou, parce que, euh, rien qu’avec le piano ç’aurait été suffisant pour des études vous voyez.

- Ouais bien sûr…

- Donc, ça lui a donné une rigueur dans la vie, un courage pour travailler, parce que y’avait que ça qui comptait pour mes grands-parents, c’était le travail »2.

À d’autres moments de son existence, on observe la permanence de ce type de disposition, en particulier tout au long de ses années d’investissement dans la cause contraceptive. Évoquant, les premiers temps de l’association MH, Évelyne Sullerot rapporte en effet :

« Je voudrais essayer de faire saisir l’énergie et la persévérance qu’elle a montrées et aussi le courage dans l’adversité et sous une pluie de calomnies. (…) Comment ne pas évoquer ses emplois du temps déments. On lui demandait sans cesse des articles et des livres et elle ne pouvait les écrire qu’entre 5 heures et 7 heures du matin, le reste des journées étant occupé par ses enfants, la consultation, les manifestations en tout genre pour le mouvement, et, le soir, les dîners de travail et les conférences-débats ! »3. À lui seul, ce genre de propension n’explique pas un engagement et ne conduit personne à se transformer en entrepreneur de cause. Toutefois, à la faveur d’un contexte spécifique, les chances de le devenir peuvent s’accroître de manière importante sitôt qu’elles préexistent chez un individu, l’investissement dans la construction d’une cause nécessitant une aptitude durable

1 Ibid.

2 Ibid.

3 Évelyne Sullerot, « Hommage à Marie-Andrée Lagroua Weill-Hallé », Contraception, Fertilité, Sexualité, 4, 1996, p. 285 (souligné par nous).

96

à l’effort et à l’organisation. On le voit, le « courage » et la « persévérance » dont on crédite souvent M.-A. Lagroua Weill-Hallé ne sont pas des propriétés issues d’une génération spontanée, mais semblent bien plutôt résulter de la transposition de schèmes comportementaux acquis au départ à la faveur de sa socialisation dans l’univers familial.

Cela dit, les héritages parentaux immatériels ne se transmettent jamais de façon mécanique, qui peuvent subir de multiples distorsions provoquées par le contexte et les modalités de transmission1. Dans le cas de M.-A. Lagroua Weill-Hallé, certaines aspirations maternelles semblent avoir été progressivement refusées. En effet, dans un premier temps, sa mère entreprend de la conformer à un modèle d’éducation bourgeoise pour les filles qu’elle-même a connu. En outre, elle semble avoir cherché à lui inculquer des ambitions qu’elle n’avait qu’imparfaitement réalisées dans le domaine musical. D’après le témoignage de sa fille, la socialisation intense qu’elle subit sur ce plan n’a pas eu cependant les effets escomptés : après avoir fait la preuve de sa virtuosité, la pratique du piano sera abandonnée par M.-A. Lagroua Weill-Hallé au point de provoquer chez elle par la suite un véritable dégoût2. C’est le front scolaire qui bénéficie de la réorientation de ses efforts. Si nous ne disposons guère d’éléments pour en expliquer de façon précise les raisons et les modalités, on peut toutefois avancer quelques hypothèses. En réalité, tout se passe comme si les injonctions parentales – en fait, surtout paternelles – à réussir dans ce domaine s’inscrivaient dans une stratégie de mobilité ascendante par l’école destinée à reconquérir une position perdue par les parents dans l’espace social. En effet, pour la famille, le déclassement paraît avoir été un puissant motif de stigmatisation dans leur groupe social d’origine dont, à la génération de M.-A. Lagroua Weill-Hallé, une des principales conséquences a semble-t-il été une impossible réinscription dans la bourgeoisie par les voies traditionnelles de l’alliance matrimoniale et de la circulation des épouses. Ainsi, à suivre le témoignage de sa fille, sa mère, tout au long de ses années de jeunesse bordelaises, n’a jamais eu accès aux formes de sociabilité que les parents de la bourgeoisie réservent à leurs enfants pour contrôler la reproduction du groupe et assurer le maintien de leur position en cultivant l’entre-soi3. Après avoir suggéré que parce qu’« elle était assez jolie (...)

1 Sur cette question, voir notamment : Jean-Claude Passeron, « L’inflation des diplômes. Remarques sur l’usage de quelques concepts analogiques en sociologie », 4, 1982, p. 551-584 ; Bernard Lahire, L’homme pluriel, op. cit. ;

Gaële Henri-Panebière, « Élèves en difficultés de parents fortement diplômés. Une mise à l’épreuve empirique de la transmission culturelle », Sociologie, 4, 2010, p. 455-477 ; Bernard Lahire, Tableaux de famille. Heurs et

malheurs scolaires en milieux populaires, Paris, Le Seuil, 2012, 434 p.

2 Sa fille indique à ce sujet : « Pour vous dire, c’est sa mère qui voulait qu’elle fasse du piano, attention. Et donc quand, quand elle s’est mariée, je n’ai jamais vu ma mère au piano. Ma mère a, elle a poursuivi des études de piano pour ma grand-mère, c’était toujours la même chose hein. Bon, ma mère…on avait un Pleyel chez nous à Paris, ma mère n’a jamais de, ses mains sur le piano. Je n’ai jamais vu ma mère, mettre, jouer du piano pour moi ! Donc ma mère, elle a fait ses études, elle a passé son concours, elle a eu le premier prix de conservatoire à 13 ans pour faire plaisir à ma grand-mère, mais ça s’est arrêté là. Ma mère n’a jamais fait de piano après ! Ça été vraiment une overdose ! Ma mère n’a jamais fait de piano. De toute façon, la seule chose que de temps ou temps elle disait « ah ben oui, celui-là, y fait toutes ses notes », elle était très compétente. Elle connaissait très bien. Mais, elle, elle…le piano c’était fini. Fini, fini, fini ! Elle avait suffisamment souffert avec ce piano. Elle disait que c’était à cause de ça qu’elle était devenue myope, qu’elle a été obligée de mettre des lunettes, parce qu’elle était obligée de faire des dictées musicales tous les jours sur ces genoux, enfin c’était l’horreur ! » (Ibid.)

3 Voir : Béatrix Le Wita, Ni vue ni connue. Approche ethnographique de la culture bourgeoise, Paris, Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme, 1988, 200 p. ; Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, Sociologie de la

97

les mères avaient peur que [sa] mère leur pique un prétendant », sa fille livre implicitement le véritable principe de cette exclusion en opposant la promotion des femmes par le capital social qui renvoie à une forme traditionnelle d’organisation de la bourgeoise et de division sexuée des rôles, et la promotion par le capital scolaire et le travail dont M.-A. Lagroua Weill-Hallé aurait été l’incarnation, celle-ci étant réservée, dans ce milieu, aux femmes dépourvues d’une dotation suffisante en capital économique et en capital social :

« - Elle était donc, elle était jamais invitée au [inaudible] de ses copines de classe, parce que…parce que ben, ça aurait pu détourner des regards des postulants en sa faveur. Voilà, elle était belle mais pauvre !

- Belle mais pauvre, c’est ça…

- Voilà en gros, c’est ça. Avec ses petites copines, elles se retrouvaient, alors, elles savaient souvent à peine lire et écrire, mais elles, avec des belles bagues de fiançailles, ben ma mère elle enviait c’est sûr ! ».

Et d’ajouter plus loin : « Mon grand-père lui disait toujours de toute façon, euh « Tu fais ce que tu veux, ce que tu veux plus tard, mais tu commences par t’installer, par faire tes études, les distractions ça viendra après…et voilà. Quand tu seras médecin, tu feras ce que tu voudras. Tu pourras t’amuser, mais c’est pas [inaudible] pour les filles qui n’ont pas d’argent. De s’amuser. Toi tu peux pas. Donc, euh…le prince Charmant ce serait pour après.

- Elle a vraiment été poussée à faire des études pour travailler. - Ah oui, y’avait que ça qui comptait ! »1.

Toutefois, la contrainte de l’obtention d’un salut social par l’investissement scolaire ne suffit pas à expliquer le choix de la profession médicale. Des hypothèses supplémentaires doivent être formulées qui nécessitent l’examen de plusieurs cadres socialisateurs. Du point de vue du contexte général d’abord, la période de l’entre-deux-guerres est marquée par l’allongement de la scolarité des filles, le développement de l’emploi féminin et le déclin de la figure de la « jeune fille oisive »2 qui a longtemps dominée, en tout premier lieu dans la bourgeoisie. Par ailleurs, si la médecine reste un bastion très largement tenu par les hommes, la présence féminine y augmente régulièrement3, au point de rendre cette carrière envisageable pour une fraction de femmes plus importante que par le passé. Ensuite, si l’on porte l’attention sur le cadre familial, on repère une série d’expériences qui ont pu fonctionner comme des incitations et des autorisations à un investissement scolaire prolongé converti en activité professionnelle. En premier lieu, aux yeux de M.-A. Lagroua Weill-Hallé, travailler en tant que femme constitue un horizon pensable dans la mesure où sa mère, quoique membre de la bourgeoisie, s’est elle-même trouvée dans une situation comparable par le passé. Devenue un temps travailleuse indépendante – selon sa petite-fille, elle aurait créé un cours de musique –, cette dernière a temporairement accédé à une forme d’autonomie qui a pu rendre cet état « désirable » aux yeux

1 Entretien avec Andrée Weill-Hallé.

2 Françoise Battagliola, Histoire du travail des femmes, Paris, La Découverte, 2004, p. 59.

3 On compte environ 300 femmes médecins en 1914 et 800 en 1939, ce qui représente respectivement 2 % et 3 % du corps médical. Par ailleurs, en 1939, les femmes forment 20 % des effectifs étudiants en médecine. Chiffres