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Pythagore au miroir de Jean de Galles Le récit de Jean de Galles

Dans le document Penser par exemple (Page 126-136)

Il existe au moyen âge plusieurs approches possible du mot ‘philosophie’. Un texte crucial pour cette problématique focalise l’attention. Dans les différentes définitions du mot ‘philosophie’ que rapporte Jean de Galles au début dans sa Vie et doctrines des philosophes illustres (Compendiloquium de

vita et dictis illustrium philosophorum), le nom de Pythagore est invoqué à

deux reprises.

Premièrement, une définition empruntée au Didascalicon rappelle que philosophia est disciplina rerum que vere sunt, suamque immortalem substantiam sortiuntur secundum Pictagoram, ait Hugo libro Didascalicon272.

la philosophie est l’apprentissage des choses qui sont vraiment et qui disposent d’une substance immuable, selon Pythagore273.

Cette proposition, simple de prime abord, sourd en fait de diverses sources. Démêler sagement cet écheveau textuel demande assez de patience ; et de rebond en rebond (textuels), par l’identification des diverses strates qui entremêlent autant d’échos subtils qui informent l’oreille du lecteur, nous visons { atteindre une certaine libération de l’anxiété de l’influence.

272 Compendiloquium de vitis illustrium philosophorum et de dictis moralibus eorundem ac

exemplis imitabilibus, dans : Summa de regimine vite humane seu Margarita doctorum, ed. Pietro Arrivabene da Canneto, Giorgio Arrivabene, Venetiis 1496, f. 172raK.

273 Trad. M. Lemoine, Hugues de Saint-Victor, L’art de lire. Didascalicon, Paris, Cerf, 1991, p.

Le témoignage d'Hugues de saint Victor

Le texte de Jean de Galles propose une légère reformulation du texte original d’Hugues de Saint-Victor, dont le passage vaut la peine d’être cité intégralement, puisqu’il concerne l’anecdote de Pythagore dont nous essayons de mesurer la diffraction :

Le premier de tous, Pythagore a appelé ‘philosophie’ l’étude de la sagesse et a préféré être désigné comme philosophe. En effet, auparavant, les hommes de ce genre étaient appelés ‘sophos’, c’est-à-dire sages. De manière admirable, il appelle les chercheurs de la vérité, non pas sages, mais des personnes qui aiment la sagesse. En effet, toute vérité est particulièrement cachée et de fait, tant l’esprit brûle de son amour, tant il s’élance { sa recherche, il ne peut pourtant que difficilement saisir la vérité telle qu’elle est. Pythagore a donc établi la philosophie comme apprentissage des choses qui sont vraiment et qui disposent d’une substance immuable274. Primus omnium Pythagoras studium sapientie philosophiam nuncupavit, maluitque philosophos dici, nam antea sophos, id est sapientes dicebantur. pulchre quidem inquisitores veritatis non sapientes sed amatores sapientie uocat, quia nimirum adeo latet omne verum, ut eius amore quantumlibet mens ardeat, quantumlibet ad eius inquisitionem assurgat, difficile tamen ipsam ut est veritatem comprehendere queat. philosophiam autem earum rerum, quae vere essent suique immutabilem substantiam sortirentur, disciplinam constituit275.

En citant cette autorité textuelle, Jean de Galles fait mention d’une véritable chaîne textuelle. En effet, le texte du Didascalicon fait fond sur deux passages de Boèce qui, à leur tour entretiennent des échos avec Augustin, Cité de Dieu,

274 La traduction de M. Lemoine a été modifiée.

275 Ed. Buttimer, p. 6, ll. 14-22 (Hugonis de Sancto Victore Didascalicon de Studio Legendi,

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VIII, 2 et Isidore, Etymologies, 8, 6, 2 et 14, 6, 31. La première phrase (primus

omnium Pythagoras studium sapientie philosophiam nuncupavit, maluitque philosophos dici, nam antea sophos, id est sapientes dicebantur) se lit dans

Boèce, De institutione musica, 2, 2276 alors que la proposition qui nous

intéresse est tirée du prologue du De institutione arithmetica. Elle continue plus exactement la première phrase de l’adaptation boécienne de Nicomaque de Gérasa :

Inter omnes priscae auctoritatis uiros qui Pythagora duce puriore mentis ratione uiguerunt, constare manifestum est haud quemquam in philosophiae disciplinis ad cumulum perfectionis euadere, nisi cui talis prudentiae nobilitas quodam quasi quadruuio uestigatur, quod recte intuentis sollertiam non latebit. Est enim sapientia rerum quae sunt suique immutabilem substantiam sortiuntur comprehensio ueritatis (I, 1, 1)277.

Toutes les autorités anciennes qui, sous la conduite de Pythagore, ont montré l’éclat supérieur de leur esprit et la force de leur pensée sont manifestement d’avis que nul ne s’élève jusqu’au comble de la perfection dans les études philosophiques, s’il ne va { la poursuite d’une si noble sagesse en passant par ce que l’on pourrait appeler une quadruple voie : c’est l{ quelque chose qui n’échappera pas à l’observation d’un esprit juste et pénétrant. La sagesse, en effet, est la saisie de la vérité des choses qui sont et qui ont une substance propre immuable278.

S’en suit un court développement qui vise { expliquer en quoi consistent ces choses et qui porte à la conclusion attendue : ces choses, on les appelle

276 « Prius omnium Pythagoras sapientiae studium philosophiam nuncupavit », Anicii

Manlii Torquati Severini Boetii De institutione arithmetica libri duo ; De institutione musica libri quinque, ed. G. Friedlein, Leipzig, Teubner, 1867, 2, 2, p. 227, ll. 20-21.

277 De institutione arithmetica I, 1, p. 9, l. 3 eds. H. Oosthout, J. Schilling, 1999 CCSL 94A. Le

texte de l’éd. Guillaumain, Paris, Les Belles Lettres, 1995 est semblable. Ponctuation modifiée.

« du terme qui leur convient, des essences » et du reste, « la sagesse en propose la science » (I, 1, 2)279.

Le témoignage de Boèce

Ce texte de Boèce, particulièrement important du point de vue historique — « on a ici sous les yeux la première occurrence de quadrivium pour désigner la réunion des quatre disciplinae »280 —, affirme la nécessité du quadrivium

comme programme d’étude. La mention du nom de Pythagore { la première ligne est loin d’être innocente, comme c’est souvent le cas dans les prologues et les lettres dédicatoires. Il est en effet fort connu pour son rôle mythique dans l’établissement de l’arithmétique (« arithmeticam Samius Pythagoras inuenit, Nicomachus scripsit », Didascalicon, III, 2, ed. Buttimer, p. 49, 7) et pour sa mystique des nombres (cf. Inst. arith. II, 41, 2, pour rester dans le même corpus)281. Pythagore se voit attribuer dans ce passage un rôle séminal,

une autorité universelle (toutes les autorités anciennes … ) qui concourt à établir les étapes de la « poursuite de la sagesse ». Par un effet de concomitance, on incline à placer cette définition de la sagesse suggérée dans le sillage de Pythagore.

Or, c’est précisément le point crucial. La mention de Pythagore légitime assez dans l’Institutio arithmetica, la dignité des disciplines du quadrivium et ne jette aucune ombre sur la poursuite de la sagesse. En revanche, le texte d’Hugues de Saint-Victor, revendiquant aussi dans sa première ligne l’autorité de Pythagore, ne parle plus de sagesse, mais de philosophie. On pourrait objecter le caractère particulièrement labile de la distinction entre philosophia et sapientia dont témoigne, par exemple, le Compendiloquium de vitis

philosophorum de Jean de Galles. Comme l’enseigne par ailleurs l’expérience

279 Trad. citée.

280 Op. cit. notes complémentaires, p. 181.

281 Pythagore avait une affection particulière pour le chiffre 10. Et c’est pourquoi, selon

Boèce, il y a 10 catégories. Voir aussi, In Categorias Aristotelis, I, 1 (PL 64, 162). Pour rester dans le quadrivium, et son versant musical, cf. B. Münxelhaus, Pythagoras musicus : zur Rezeption der pythagoreischen Musiktheorie als quadrivialer Wissenschaft im lateinischen Mittelalter, Bonn, Verlag für systematische Musikwissenschaft, 1976.

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de la lecture intensive de ces textes, le lexique littéraire — médiéval, en l’occurrence — est, hélas, souvent moins précis que les distinctions rigoureuses, ourdies au calme des cabinets de philosophe. Cette pointe imaginaire ne convainc toutefois pas. En effet, le texte du Didascalicon s’articule autour de l’idée force que le vrai est caché et que l’esprit peut difficilement l’atteindre, même s’il est pénétré de cette force supérieure de connaissance (pour un chrétien) : l’amour. Hugues de Saint-Victor entreprend de fait une déconstruction de sa source, ou plus exactement en organise la destruction (Abbau). Une microlecture rend attentif à ce travestissement du sens qu’opèrent un double changement du sujet de la proposition et une substitution lexicale, lourde de sens.

Boèce Hugues de Saint-Victor

Est enim sapientia rerum quae sunt suique immutabilem substantiam sortiuntur comprehensio ueritatis.

philosophiam autem earum rerum, quae vere essent suique immutabilem substantiam sortirentur, disciplinam constituit.

Cette mise en parallèle permet de saisir instantanément les divers travestissements qu’effectue le texte destinal. Le sujet s’altère. Le sujet n’est plus la sagesse, mais c’est Pythagore qui en devient le sujet direct. De plus, comme le phrase est construite sur le mode du redoublement indirect, la sagesse se voit destituée une seconde fois au profit de la philosophie ; Pythagore établit la philosophie comme un apprentissage. En outre, comme pour achever le détournement textuel, la philosophie ne permet pas, { l’instar de la sagesse, de « saisir la vérité » (comprehensio veritatis), mais coïncide avec un apprentissage de l’essence des choses. On ne saurait mieux affirmer la distance à parcourir « pour les chercheurs de vérité ». Or, la reconstruction du moine victorin ne s’arrête pas en si bon chemin. La « comprehensio veritatis » du texte boécien se trouve effectivement citée, mais dans la phrase précédente

qui affirme le pénible accès à la vérité : « difficile tamen ipsam ut est veritatem comprehendere queat ». Au vu de cette totale refonte, on peut même se demander si cette même proposition n’augure pas des saisissants vertiges de l’antiphrase.

Le changement de sujet direct indique dès lors que la figure de Pythagore est invoquée sous un angle complètement différent282. Comme nous aurons

l’occasion d’y réfléchir plus avant, un exemple, une figure exemplaire ne possède pas de sens en soi ; au fond, toute théorie de l’exemple médiéval devrait tenir compte de cette pragmatique de l’exemplaire. Alors que pour Boèce, Pythagore affirme la possibilité d’un accès { la sagesse, c’est exactement l’inverse que prétend le Didascalicon. (Et significativement, Boèce ne rapporte pas l’anecdote de l’invention du nom de philosophe.)283

Pour comprendre Hugues de Saint-Victor, il apparaît donc nécessaire de bien saisir les retouches qu’il apporte au texte boétien. Comme, via Boèce, la sagesse est la saisie de la vérité, « le chercheur de vérité » ne saurait être sage, puisque la vérité est cachée et pratiquement impossible d’accès. Pythagore — dans sa très grande sagesse ? — l’a parfaitement bien exprimé en inventant le nom de philosophie.

282 Pour l’interprétation d’A. Speer, cf. « The Vocabulary of Wisdom and the Understanding

of Philosophy » dans : J. Hamesse / C. Steel (éds.), L'élaboration du vocabulaire philosophique au moyen âge, Louvain-la-Neuve/Leuven 2000, pp. 259-262 ; « Philosophie als Lebensform? Zum Verhältnis von Philosophie und Weisheit im Mittelalter » dans : Tijdschrift voor Filosofie 62 (2000), pp. 7-8 ; « Certitude and Wisdom in Bonaventure and Henry of Ghent » dans : Henry of Gent and the Transformation of Scholastic Thought, C. Steel / G. Guldentops (éds.), Leuven, Leuven University Press, 2003, p. 95; « Der Weise und der Philosoph » dans : T. Borsche (éd.), Denkformen — Lebensformen, Hildesheim/ Zürich/ New York, G. Olms, 2003, pp. 69-70.

283 Mais J.- Y. Guillaumin la discute dans sa note complémentaire au prologue de Boèce, op.

cit., n. 10, p. 182. Pour une analyse de la sagesse dans l’œuvre de Hugues de Saint Victor, cf. H. Pedersen, « La recherche de la sagesse d’après Hugues de Saint Victor», Classica et mediaevalia, 16, 1-2 (1955), pp. 91-133.

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Ainsi donc, l’anecdote de Pythagore philosophe sert-elle à marquer la distance entre philosophie et sagesse, et entre les niveaux de connaissance, par corolaire. La définition de la philosophie que rapporte Jean de Galles est à tout le moins connotée. Il n’est pas impossible de la goûter { la lumière de l’anamnèse textuelle qui vient d’être proposée.

La philosophie selon Jean de Galles (Compendiloquium)

Le chapitre inaugural du Compendiloquium de vita illustrium philosophorum s’intitule « ce qu’est la philosophie selon son objet et selon la signification de son nom » (quod sit philosophia secundum rem et nominis interpretationem) et offre la seconde mention du premier philosophe. Tandis que la première partie de ce chapitre permet une recension des diverses façons de concevoir la philosophie, pas moins de onze occurrences sont ainsi mentionnées, la signification du mot ‘philosophie’ fait l’objet du second paragraphe. Autant il peut être malaisé vu l’amas de définitions tout azimut, de dégager l’opinion préférée, la définition privilégiée de Jean de Galles, autant la philosophie peut sans ambages être réputée, de manière exclusive, « amour de la sagesse ».

Si l’on donne un sens au mot ‘philosophie’, la philosophie est alors l’amour de la sagesse, comme le dit Augustin dans la

Cité de Dieu, VIII, 1 : « ce nom, si on le traduit en latin,

exprime l’amour de la sagesse ». Pythagore en fut l’inventeur (cf. De civitate Dei, ibid., 2) : « En effet, comme on appelait auparavant sages ceux qui. d’une manière ou d’une autre, semblaient s’élever au-dessus des autres par une vie digne de louange, Pythagore, interrogé sur sa profession, répondit qu’il était philosophe, c'est-à-dire quelqu’un qui a du zèle ou qui aime la sagesse. Se déclarer ouvertement sage lui apparaîssait en effet de la plus haute arrogance ».

Secundum autem nominis interpretationem, philosophiam est amor sapientie, ait Augustinus 8 De civitate Dei, cap. 1, ubi ait : « Ipsum nomen, si latine interpretamur, amorem sapientie profitetur ». Et fuit inventum a Pictagora, ait ibidem

cap. 2 : « Nam cum antea sapientes appellarentur, qui modo quodam laudabilis vite aliis prestare videbantur, iste interrogatus quid profiteretur, philosophum se esse respondit, id est studiosum vel amatorem sapientie, quoniam sapientem profiteri arrogantissimum videbatur ». Hec ibi284.

Cinq autorités textuelles viennent consolider cette fameuse historiette (Augustin, Confessions, III, 4 ; De ordine, I, 11 ; un commentaire au premier livre de l’Ethique nicomaquéenne ; Cicéron, Questions tusculanes, V, 8-9 et enfin Hugues de Saint-Victor, Didascalicon, I, 2). Elles concourent ainsi à établir fermement le sens du mot ‘philosophie’ comme amour de la sagesse, selon une définition étymologique dont l’auteur précise par ailleurs qu’elle est très largement partagée : « consimilibus modis diffinitur philosophia sive describitur a multis »285. Cette ample diffusion se note par exemple dans la

reprise, presque littérale, que fait le premier chapitre de la deuxième partie du

Compendiloquium (Secunda pars de philosophis in communi. Capitulum primum de hoc nomine philosophus et eius origine). L’attribution du nom { Pythagore

est une fois de plus affirmée en corrélation avec la signification du nom de philosophe selon un versant étymologique dont on sait désormais qu’il date de Platon :

Dicebatur enim philosophus amator sapientie secundum Augustinum ubi prius. Et dicit Tullius libro 5 Tusculanarum

questionum post principium : « nomen sapientie usque ad

tempus Pictagore attribuebatur <sapientibus> ». Ipse vero primo respondit se esse philosophum. Et Augustinus 3

Confessionum, post principium dicit quod philosophus

dicebatur amator sapientie ; et idem 8 De civitate Dei cap. 2286.

Cette Vie et doctrines des philosophes illustres médiévale développe par ailleurs une intéressante référence implicite à Pythagore. Dans le quatrième

284 Compendiloquium, f. 172raKL. 285 Ibid. 172rbL.

136 L’INVENTION DU PHILOSOPHE

chapitre de la partie consacrée à la description de la philosophie (capitulum

quartum de dignitate philosophie et preciositate et honore apud antiquos), on

trouve une référence { la parabole des panégyriques, dont l’usage justifie, après coup, l’interprétation que nous en avons donnée. Les philosophes vraiment désireux de la sagesse se caractérisent par leur ascèse, leur pauvreté et leur mépris du siècle, selon la leçon de l’analogie que Cicéron propose dans les Questions Tusculanes (V, 9)287.

En effet, il en va dans ces jeux célébrés en Grèce comme de la vie. Certains y accourent pour la gloire, d’autres pour l’argent, mais d’autres encore, très rares, tenant pour nulles ces deux motivations, y viennent pour observer très attentivement la nature des choses. Ainsi soit-il de la vie. Certains y viennent et y travaillent pour la noblesse d’une couronne, d’autres pour le lucre, les lois de l’offre et de la demande, d’autres pour étudier de très près la nature des choses ; on peut appeler ces derniers les étudiants en sagesse ou en philosophie288.

Sicut in mercato celebrato apud Gretiam, sic et in vita. Illuc enim veniebant aliqui causa glorie, aliqui causa pecunie, aliqui vero et rari illa pro nichilo habentes veniebant ut intuerent<ur> studiosius naturam rerum. Sic et in vita, sunt enim quidam qui ad vitam veniunt, et in ea laborant ob nobilitatem corone, alii causa lucri vendendo et emendo, alii ut intueantur studiosius rerum naturam qui possunt appelari studiosi sapientie sive philosophie289.

287 « Proponens similitudinem » dit précisément le texte de Jean de Galles, f. 174vaB. 288 On se doute que la différence de la traduction est imputable aux résonances lexicales

qu’organise Jean de Galles (studiosus, studiosi).

289 Compendiloquium, f. 174vaBC. La citation entière se lit ainsi : « philosophi pro ipsa

adquirenda et adipiscenda omnes epulentias [opulentias] mundiales dimiserunt, omnes excellentias seculares contempserunt, omnes carnales delitias abdicarunt, soli philosophie studio vigilantissime et sedulissime vacaverunt, prout dicetur infra, ubi de studio philosophorum, et hanc solam exquisierunt. Et de hoc Tullius 5 Tusculanarum questionum proponens similitudinem post principium, quod sicut in mercato celebrato apud Greciam, et sic et in vita » f. 174vaB.

Dans l’économie du traité biographique de Jean de Galles, l’histoire de Pythagore, placée au liminaire, détient donc une double fonction, capitale. Elle sert à faire le tri parmi les différentes conceptions de la philosophie. Elle asseoit l’autorité d’une conception de la philosophie comme amour de la sagesse. Mais d’autre part, elle dévoile, elle signifie la portée de l’entreprise biographique du moine franciscain. Par la distinction des différents groupes ou genre d’hommes, elle autorise la légitimité des « chercheurs de vérité », selon l’expression du Didascalicon, ou des « studiosi sapientiae vel philosophiae ». Par un effet de retour, ce Compendiloquium porte la trace, témoigne, s’inscrit dans les luttes du siècle, non seulement des luttes légitimatrices du savoir scolastique290, de la revendication d’un groupe

social291, mais aussi la légitimation sociale d’un sous-groupe scolastique

particulier (soit dit sans malice) : les moines292, et même d’une sous-classe de

ce sous-groupe (bis repetita) : les franciscains293. Il s’agit donc d’asseoir ou

d’ériger — selon le mouvement que l’on préfère — la légitimité de la « vie contemplative » à un triple niveau : social (laïcs vs clercs), clercs vs clercs mendiants, dominicains vs franciscains.

290 E. Marmursztejn, L'autorité des maîtres : scolastique, normes et société au XIIIe siècle,

Paris, Les Belles Lettres, 2007.

291 A. Boureau, communication au colloque « Justice et Piété », org. J.- B. Brenet, Ch.

Grellard et A. Storck, Paris I Sorbonne, ma 12 juin 2008, 14h 30.

292 M.- M., Dufeil, Guillaume de Saint-Amour et la polémique universitaire parisienne. 1250-

1259, Paris, A. et J. Picard, 1972.

293 Th. Ricklin, « Jean de Galles, les Vitae de saint François et l'exhortation des philosophes

dans le Compendiloquium de vita et dictis illustrium philosophorum », dans : Exempla docent, Th. Ricklin (éd.), D. Carron, E. Babey (collab.), Paris, Vrin, 2007, pp. 201-221.

138 L’INVENTION DU PHILOSOPHE

L'invention religieuse.

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