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publique et le capital humain spécialisé

Commençons tout d’abord par essayer de définir quelles pourraient être les dif- férences ou les similitudes entre une recherche menée par une entité privée ou pu- blique. Corbel et al.(2011) situent la différence fondamentale entre la recherche pri- vée et la recherche publique, non pas dans les moyens utilisés mais, dans ce que les deux communautés font de leurs résultats une fois le processus de recherche abouti. Concernant le secteur public de la R&D, le letmotiv consiste en l’enrichissement de la base de connaissances communes, impliquant mécaniquement leur libre diffusion. Du côté de la recherche privée, il s’agit à l’inverse de s’approprier le savoir pour générer des rentes d’innovation. En résumé, les auteurs estiment ainsi que la com- munauté scientifique (secteur public) a pour préoccupation l’accroissement du stock de savoir public, l’accumulation du savoir en tant que tel, tandis que la communauté de la technologie (secteur privé) a pour préoccupation l’accroissement du flux de rentes. Ils concèdent toutefois que certaines de ces institutions académiques, notam- ment aux États-Unis, se sont davantage tournées vers les activités économiques et l’appropriation du savoir. Pour autant, bien que les universités peuvent être amenées à déposer des brevets et les entreprises à publier certains de leurs résultats, "il n’en demeure pas moins que le centre de gravité des préoccupations des laboratoires pu- blics de recherche et des industriels est nettement divergent au niveau de la tension entre propriété et diffusion du savoir".

Au regard de la littérature théorique, force est de constater que les travaux trai- tant de la recherche publique sont peu nombreux. On peut néanmoins repartir du constat déjà explicité montrant que les nombreux travaux en économie de la connais- sance mettent en évidence la partielle appropriabilité des connaissances par les agents

qui en sont détenteurs. Elles seraient ainsi à l’origine d’externalités, permettant aux agents qui bien que n’en étant pas détenteurs, bénéficient de la production de ces connaissances. Même si ce phénomène ne se limite pas à la seule recherche publique mais concerne l’ensemble de la connaissance, il est pour autant reconnue que la recherche fondamentale serait plus soumise que d’autres à ces externalités. La re- cherche publique ayant généralement pour vocation la recherche fondamentale, en raison de son bénéfice social élevé, cette dernière serait alors plus particulièrement génératrice de ces externalités de connaissance (Autant-Bernard,2015).

Dès lors, l’objectif de la recherche publique est ainsi de pallier au déficit privé de R&D, notamment en connaissances fondamentales. A partir de ce constat, deux approches sont envisageables. Si on se limite à une vision très linéaire du processus d’innovation, la recherche publique est par construction considérée comme un input pour la recherche privée, plus destinée à la recherche appliquée. Par conséquent, la capacité d’innovation des firmes devraient pouvoir s’accroître sans que ces dernières n’aient à supporter le coût lié à cet accroissement de connaissances, de fait supporté par le secteur public. Mais encore, si on ouvre le raisonnement à une vision cette fois-ci plus interactive du processus d’innovation (Landau and Rosenberg, 1986), la recherche est perçue comme possiblement génératrice d’effets d’entrainement sur la recherche privée. En effet, si l’on considère les différents échanges entre les entreprises et les laboratoires publics, l’output public serait ainsi également à l’origine d’un effort supplémentaire de recherche privée qui viendrait alors s’ajouter au seul effet précédent (Autant-Bernard, 2015).

Au côté des externalités "pures" de connaissance, le secteur public de la recherche génére également des externalités pécuniaires via ses investissements dans le sec- teur éducatif et les infrastructures de recherche. En ce qui concerne les externalités liées à la production d’un capital humain qualifié, les travaux de Romer (1986),

Lucas (1988) et Fujita (1988) suggèrent que ces dernières résultent de manière en- dogène de la co-localisation des firmes et de la main d’oeuvre. La présence d’une main d’oeuvre qualifiée étant un déterminant essentiel du processus d’innovation, l’existence d’organismes publics d’enseignement supérieur, offerts par les universités publiques entre-autres, est donc un vecteur suceptible d’accroitre les capacités d’in- novation des entreprises. S’agissant de la possibilité offerte aux firmes de profiter des investissements publics en infrastructures de recherche (plateformes technolo- giques...), puisque le secteur public de part ses activités de recherche dispose de ses services, le secteur privé pourra ainsi tirer profit de ces infrastructures ou services, indispensables aux activités de R&D, à moindre coût, permettant là encore un ac-

croissement de l’effort privé de recherche (Veugelers and Cassiman, 2005; Boufaden and Plunket, 2007; Scandura, 2016; Aristei et al.,2016).

Si des travaux étudient la capacité d’attractivité d’une université, son effort de recherche faisant office de force d’agglomération (Baslé and Le Boulch,1999;Corbel et al., 2011), peu de travaux théoriques étudient le rôle de la recherche publique en tant que tel. Nous pouvons citer les travaux de Cabon-Dhersin and Taugourdeau

(2018) qui étudient l’organisation et la distribution des activités de recherche, et des chercheurs, entre les laboratoires publics et privés dans un cadre coopératif. De même, nous pouvons citer les travaux de Cabon-Dhersin and Gibert (2018) qui analysent l’impact des diverses politiques publiques de soutien à l’innovation, dont le soutien à un secteur public de recherche, dans un cadre de la recherche à la fois coopératif et non-coopératif. Enfin, on peut également mentionner, les travaux sur les

mixed market qui étudient pour leur part la coopération entre deux entreprises privée

et publique qui ont la particularité d’investir en recherche afin de réduire leurs coûts de production (?Gil-Moltó et al., 2018). Ils obtiennent ainsi que la présence d’une entreprise publique, qui intervient conjointement sur les marchés de la production et de la R&D, est une politique publique efficace afin d’atteindre les niveaux optimums de R&D, plus efficace qu’une simple coopération avec une entreprise privée. D’autres parts, un autre courant de la littérature théorique se penche également sur cette problématique dont on peut citer les travaux deZikos(2010) etMarinucci(2012) qui tentent d’intégrer l’étude d’un laboratoire public de recherche dans une modélisation

en réseau.

Dans une optique de synthétisation de l’impact théorique du secteur public de recherche, on peut relever huit outputs sur son environnement économique (Gold- stein et al., 1995). On regroupe ainsi la création de connaissance, au travers de ses activités de recherche (fondamentales ou appliquées) le secteur public accroît le stock de connaissances au sein de l’économie. Deuxièmement, la création de capital

humain qui correspond simplement à sa mission d’enseignement et de formation de

main d’oeuvre hautement qualifiée. On retrouve également, le transfert de savoir-

faire existant, l’innovation technologique, l’investissement en capital qui recensent

la construction et l’entretien d’infrastructures et d’équipements de recherche. Mais encore le leadership régional qui se caractérise par son autorité morale ou sa partici- pation à des comités locaux. Bien que les deux derniers peuvent se confondre, citons aussi son influence sur le milieu régional l’entourant qui correspond aux contribu- tions involontaires que transmet une université à son environnement par le biais notamment de sa présence et de ses activités. Enfin, son dernier apport correspond

à l’infrastructure de connaissance. Cette notion, développée à partir de la théorie de

la croissance endogène, peut se définir comme une composante élargie du concept des économies d’agglomération régionale (Krugman,1991). Dès lors, il s’agit de l’en- semble du stock de connaissances partagées avec les composantes institutionnelles et organisationnelles qui soutiennent sa croissance et son application26.

En ce qui concerne plus particulièrement ces externalités développées précédem- ment, tout un ensemble d’évaluations économétriques attestent d’effets positifs signi- ficatifs du secteur public. Ces études qui rendent compte de l’effet de cette politique sur la recherche et l’innovation privées, reposent majoritairement sur des fonctions de production de connaissances à la Grilliches-Jaffe (Jaffe, 1989). Cette modélisa- tion dispose de l’avantage de considérer la recherche publique comme un input de sa collègue privée mais ne permet pour autant pas de distinguer l’effet de l’externalité de connaissance de celui de l’externalité pécuniaire. Cette prise en compte permet néanmoins d’obtenir in-fine une évaluation globale de cette intervention publique sur le sous-investissement en R&D privée.

On peut pour cela citer de nombreux travaux qui attestent de manière consen- suelle d’un effet positif de la recherche publique sur l’innovation privée (Jaffe, 1989;

Audretsch and Feldman, 1996;Candell and Jaffe,1999;Feldman et al.,2014; Varga et al.,2012;Autant-Bernard et al.,2013;Azoulay et al.,2018). Cet effet reste cepen- dant relativement faible, Autant-Bernard and LeSage (2011) détermine ainsi une élasticité de la recherche privée à l’input public de 0,15. Dit autrement, un dou- blement du niveau de la R&D publique induirait une augmentation de 15% du montant des dépôts de brevets sur les innovations par des entreprises privées. Les résultats quant à l’impact sur l’effort privé de R&D sont moins nombreux mais dé- terminent également des retombées positives de l’effort public de recherche. Jaffe

(1989) et Autant-Bernard (2001) concluent, respectivement au travers d’une étude sur les Etats-Unis et sur la France, quant à la capacité de la recherche publique à générer des effets d’entrainement sur la recherche privée. Dans ces deux études, l’ef- fort public apparaît ainsi comme un facteur significatif générant une augmentation des dépenses privées de R&D. Ainsi, l’effort de recherche du secteur public agit en quelques sortes comme un complément à l’effort privé et non comme un substitut. Pour Jaffe (1989), il apparaît alors primoridial pour un gouvernement de promou- voir la recherche publique afin de stimuler l’innovation locale. Ajoutons que pour

26. D’un point de vue local, cette définition regroupe non seulement le système d’institutions produisant les connaissances publiques et privées, mais également les capacités d’innovation et d’apprentissage des firmes, des travailleurs et des institutions, ainsi que le réseau de connections les liant.

l’ensemble de ces études empiriques, l’effet positif de ces externalités publiques de recherche est d’autant plus prononcé que les entreprises se localisent à proximité de l’université.

D’un point de vue empirique, il semble alors indéniable que la recherche publique semble produire des externalités positives sur la recherche privée, que ce soit de façon directe comme le montrent les études sur le dépôt de brevets, ou encore de manière indirecte via son effet d’entrainement sur les dépenses privées de R&D27.

Conclusion

En conclusion de cette revue de la littérature économique, nous retiendrons les principales conclusions suivantes :

— L’innovation en tant que bien public souffre de nombreuses défaillances qui légitiment l’intervention publique. En raison des externalités de connaissances qu’elles génèrent, les activités de R&D sont fortement soumises au phénomène de passager clandestin. En conséquence, l’innovation se caractérise par un ren- dement collectif supérieur au rendement privé, réduisant les incitations des entreprises privées à investir en R&D.

— Pour endiguer ce déficit d’incitations privées en R&D, l’Etat, dans son rôle de régulateur du marché, dispose de plusieurs instruments de politiques pu- bliques : garantir des droits de propriétés sur les résultats de la recherche pour que les firmes innovantes puissent bénéficier de la rente d’innovation, subventionner les projets de recherche afin d’en réduire le coût marginal de production, permettre et inciter la coopération en R&D dans l’objectif d’in- ternaliser les retombées technologiques, investir directement dans des projets de recherche non privilégiés par les entreprises privées via un secteur public de la recherche.

— Ces différents instruments de politiques publiques destinés à soutenir l’inno- vation, plébiscités avec plus ou moins d’intérêt par la littérature économique, ont fait l’objet de nombreuses applications par les décideurs publics (chapitre 2) : politique des pôles de compétitivité en France, dispositif de crédit d’impôt recherche, coexistence et collaboration de deux secteurs de recherche public (universités et laboratoires publics) et privé, financements participatifs et bu- siness angels etc.

27. Rappelons que l’analyse d’impact n’est en rien une analyse coût-avantage en cela qu’on ne cherche pas ici à déterminer la rentabilité économique, ou même financière, d’une telle politique.

— Face au manque de consensus sur l’efficacité de ces divers instruments de la politique d’innovation (et en raison de l’absence de travaux d’évaluation sur leur efficacité croisée) nous retenons de cette présentation de la littérature éco- nomique la nécessité d’établir une modélisation théorique à même d’apporter un regard plus complet sur l’efficacité de la politique d’innovation.

La mise en place des pôles de