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3.4 Deuxième étude : complétude des mesures partagées via les médias sociau

3.4.5 Prototype de robot

Ces recommandations doivent contribuer à améliorer la complétude des mesures publiées sur Twitter. Elles ne pourront cependant remplir cette fonction qu’à condition d’être largement diffusées et promues auprès des créateurs de bots. Il serait judicieux de cibler particulièrement les créateurs des outils d’aide à la diffusion tels que les systèmes Radidas et Mark2 identifiés au cours de la première étude (voir section 3.3.3). En effet, l’amélioration de la complétude d’un seul de ces outils profiterait à tous les bots qui l’emploient et aurait donc un impact important sur la complétude globale des mesures partagées sur Twitter. Nous avons donc conçu Radbird, un outil d’aide à la création de bot qui favorise la diffusion de mesures plus complètes (Figure 3.19).

Design persuasif

Pour améliorer la complétude des mesures diffusées par les bots, leurs créateurs doivent fournir plus de métadonnées relatives aux conditions de mesure lors de la mise en place du système de publication. Cependant, la configuration des bots peut s’avé- rer contraignante pour plusieurs raisons : la durée de la procédure, les compétences nécessaires (relatives tant à la métrologie qu’aux médias sociaux), et peut être consi- dérée comme invasive (notamment lorsqu’il s’agit d’indiquer la localisation précise ou de décrire l’environnement d’un capteur installé dans un lieu privé). Pour inciter les créateurs de bots à fournir un maximum de métadonnées malgré ces obstacles, nous nous sommes inspirées des techniques du design persuasif. Cette démarche vise à aug- menter la probabilité qu’un utilisateur adopte un certain comportement en agissant sur deux dimensions de sa perception de ce comportement : sa capacité (ability) et sa motivation à effectuer la tâche demandée (B. J. Fogg, 2009).

Pour accroître la « capacité » perçue de l’utilisateur – ici le créateur d’un bot –, nous avons tout d’abord limité le nombre et la complexité des actions nécessaires à la configuration « complète » d’un bot. Ainsi, dans notre outil, la saisie de certaines des métadonnées est automatisée. Par exemple, la localisation de l’utilisateur est détermi-

née à l’aide d’un service d’IP mapping62 afin d’estimer la ville et le pays depuis lequel

le bot effectue ses mesures. La précision de l’IP mapping étant en revanche insuffisante

pour fournir les coordonnées GPS du bot, un système de geocoding63 est utilisé pour

obtenir ces données à partir d’une simple adresse postale64. Par ailleurs, pour plusieurs

métadonnées (e.g. durée de la mesure, fréquence de publication), notre outil intègre des valeurs par défaut susceptibles de convenir à une majorité d’utilisateurs. Les données fournies par l’utilisateur sont également sauvegardées dans un fichier de configuration, de manière à limiter les saisies nécessaires si le programme est relancé (pour modifier un bot préalablement mis en place ou pour déployer plusieurs bots avec une même configuration). Enfin, pour chaque métadonnée, une description de la saisie attendue est affichée afin de guider l’utilisateur et ainsi limiter la complexité de la configuration. Les techniques de persuasion portant sur la « motivation » de l’utilisateur sont, elles, utilisées pour l’inciter à revoir et compléter sa saisie de manière itérative. Ainsi,

62. Les systèmes d’IP mapping utilisent les bases de données des organismes responsables de l’al- location des adresses IP pour déterminer la localisation des internautes. Dans notre prototype, nous utilisons le service fourni par IP-API : http://ip-api.com/.

63. Le geocoding (ou géocodage) exploite les systèmes d’information géographiques et les bases d’annuaires pour déterminer les coordonnées géographiques d’un point désigné par son adresse postale. Notre prototype s’appuie sur le service d’Open Cage : https://geocoder.opencagedata.com.

64. L’utilisateur garde néanmoins la possibilité de modifier les données issues de ces processus au- tomatiques, si elles s’avèrent erronées, imprécises, ou s’il ne souhaite pas qu’elles soient publiées.

lorsque le créateur valide la configuration de son bot, le système en évalue la complétude et fournit un feedback correspondant. Les métadonnées absentes sont listées et leur champ de saisie est coloré de manière à en faciliter l’identification. Selon le niveau de complétude atteint et le panneau de configuration en cours d’utilisation, différents messages d’encouragement et/ou de félicitations sont également affichés (Tableau 3.5). L’objectif de l’action (faciliter la réutilisation des mesures du bot) est systématiquement rappelé pour stimuler les utilisateurs.

Configuration basique Configuration avancée

Configuration incomplète

« The bot description is still in- complete, which may hinder the reuse of incomplète the measu- rements. You can add the follo- wing metadata : [liste] »

« The bot description is quite complete. To support the reuse of the measurements, you can still add the following meta- data : [liste] »

Configuration complète

« The bot description is quite

complete. This will support

the reuse of the measurements. To add more metadata, please check the Advanced configura- tion »

« The bot description is now complete. This will support the reuse of the measurements »

Tableau 3.5 – Messages d’encouragement et de félicitation

Développement

Nous avons entrepris de développer un prototype de cet outil, sous le nom de Rad- bird, afin de tester la faisabilité technique des différentes solutions que nous avons proposées au problème de la complétude des données. Ce système permet de connecter

un radiamètre Pocket Geiger type 565(interfacé avec un micro-contrôleur Arduino66de

type UNO) avec un compte Twitter existant (Figure 3.20)67. Il propose une interface

graphique interactive pour la saisie des données relatives à la configuration du bot, mettant en œuvre les techniques de communication engageante précédemment décrites (Figure 3.19). Le programme utilise ensuite ces métadonnées pour mettre à jour les différents champs du profil Twitter du bot et définir le format des tweets qui seront publiés.

65. http://www.radiation-watch.org/2011/05/professional.html#emb 66. http://www.arduino.cc/

67. Le montage électronique et le programme d’acquisition des données a été repris des travaux réalisés au printemps 2016 par Alexandra Stan et Horia Darastean, deux étudiants de l’Université d’Oradea (Roumanie) en stage au laboratoire ELLIADD dans le cadre du programme ERASMUS+.

Figure 3.20 – Dispositif de mesure exploité par Radbird. Le capteur Pocket Geiger, à

gauche, est relié à la carte Arduino (ici équipée d’une puce GPS à des fins de tests)68

Une première version de ce programme a été produite à l’aide de l’environnement de développement Processing, un outil facilitant la création rapide de petites applications interactives et de prototypes logiciels (Reas & Fry, 2006). Elle intègre déjà la majorité des fonctionnalités décrites et couvre plus de la moitié des métadonnées que nous avons évaluées dans les sections précédentes (11 sur 18, dont les deux métadonnées « indis- pensables » et cinq des sept « recommandées »). Le développement étant toujours en cours, ce programme sera amené à évoluer pour prendre en charge l’ensemble des

fonctionnalités et cas d’utilisation prévus69.

Ce prototype nous permettra d’évaluer l’utilisabilité et l’efficacité des techniques de communication engageante que nous avons adoptées. Il pourra également être uti- lisé à des fins de communication, pour sensibiliser les créateurs de bots au problème de la complétude des données et pour leur démontrer que des modifications dans la conception des outils peut contribuer à y remédier.

Synthèse

Lors de l’accident nucléaire de Fukushima Daiichi, les médias sociaux ont joué un rôle clef dans la communication de crise. Les internautes ont notamment employé ces outils pour partager des informations relatives à la contamination radioactive des territoires. Grâce aux médias sociaux, des citoyens et des experts du monde

68. Photographie par Alexandra Stan et Horia Darastean

69. Le code source des dernières versions du programme est disponible sur la page GitHub du projet : https://github.com/asegault/radbird

entier ont collaboré à la production, la diffusion et la valorisation des mesures de la radioactivité. Ces activités ont été appuyées par la création de nouveaux dispositifs de mesure et de partage, autour desquels se sont constituées des communautés très actives.

Les médias sociaux ont par ailleurs été directement utilisés pour diffuser des mesures de la radioactivité. Ainsi, sur Twitter, des robots-radiamètres publient à intervalle régulier les mesures réalisées par des capteurs connectés. Nos analyses de ces dispositifs a révélé l’existence d’outils visant à étendre leur usage au-delà d’un petit groupe de technophile. Cependant, nos études ont également mis en évidence plusieurs éléments limitant l’intérêt de ces dispositifs pour la phase post- accidentelle : leur popularité a fortement diminué depuis la fin de la période d’ur- gence, les mesures publiées sont d’une faible précision et manquent de complétude. L’étude de la complétude des mesures a montré l’absence d’une définition for- melle pouvant guider leur publication sur les médias sociaux. Nous avons donc produit une série de recommandations indiquant les métadonnées qui devraient ac- compagner les mesures partagées par les bots Twitter, ainsi que la manière de pré- senter ces informations. Nous avons en outre entrepris de développer un outil pour promouvoir la complétude des mesures auprès des créateurs de bots-radiamètres.

À travers ces travaux, nous nous sommes efforcés de répondre aux deux pre- mières questions de recherche qui structurent cette thèse :

— Quels sont les usages existants des TIC, et notamment des médias sociaux, pour la communication de crise lors d’un accident nucléaire ?

— Dans quelle mesure ces usages sont-ils adaptés aux spécificités de la phase post-accidentelle et aux besoins informationnels des personnes affectées ? Et comment peut-on soutenir les usages les plus appropriés ?

Nos travaux ont démontré que, si les médias sociaux sont effectivement exploités pour la communication de crise après un accident nucléaire, leurs usages ne sont pas forcément compatibles avec les exigences de la phase post-accidentelle. Nous considérons que des recommandations ou des outils logiciels tels que ceux présen- tés dans ce chapitre peuvent aider au développement d’une communication plus adaptée, à condition qu’ils s’intègrent dans les usages existants des citoyens.

Au-delà de la seule diffusion des mesures de la radioactivité, c’est sur la gestion et le partage de l’ensemble des connaissances relatives à la radioprotection en phase post-accidentelle que nous allons porter notre intérêt dans le prochain chapitre.

Partage des connaissances en phase

post-accidentelle nucléaire

The question of whether Machines Can Think [...] is about as relevant as the question of whe- ther Submarines Can Swim1.

Edsger Dijkstra, The threats to computing science (EWD898)

Durant la phase post-accidentelle nucléaire (PAN), le quotidien des personnes vivant dans les zones contaminées est fortement affecté. Leur exposition aux rayonnements io- nisants doit être réduite autant que possible pour limiter les risques sanitaires. Il faut pour cela procéder à des mesures régulières de la contamination de l’environnement, des aliments et des personnes, afin de mettre en œuvre des actions de radioprotection adé- quates. Au cours de la phase de long terme, la responsabilité de ces procédures incombe progressivement aux citoyens eux-mêmes, qui doivent donc acquérir et s’approprier de nouvelles connaissances ainsi que de nouveaux savoirs-faire techniques.

Pour soutenir les citoyens dans cette démarche d’information, nous nous sommes in- téressés aux systèmes d’organisation des connaissances. Dans une démarche de recherche- développement, nous avons étudié le rôle que de tels système pourraient jouer dans l’accès et le partage des connaissances nécessaires à la gestion de la vie quotidienne en situation PAN. Notre travail s’est appuyé sur les deux questions de recherche suivantes :

1. « Se demander si les machines peuvent penser [...] est aussi pertinent que se demander si les sous-marins peuvent nager. » (traduction personnelle)

— Des systèmes d’organisation des connaissances peuvent-ils être utilisés pour re- présenter les données relatives à la radioprotection et ainsi appuyer les activités de communication de crise ?

— Comment peut-on intégrer ces systèmes aux usages existants des différents ac- teurs ?

Dans ce chapitre, nous montrons tout d’abord le potentiel des technologies du Web Sémantique pour organiser les connaissances relatives à la radioprotection (4.1). Nous décrivons ensuite Ginkgo, un prototype d’application web mobile à destination des personnes affectées par une situation PAN, dont les fonctionnalités s’appuient sur ces bases de connaissances (4.2). Enfin, nous présentons le déroulement et les résultats d’une évaluation en vraie grandeur du fonctionnement et de la pertinence de Ginkgo (4.3).

4.1

Organisation des connaissances pour la phase

PAN

Nous avons précédemment montré que les outils du Web Sémantique sont parti- culièrement appropriés pour représenter et organiser les connaissances nécessaires à la gestion et la communication des crises. Ils réduisent l’ambiguïté dans la commu- nication, tant entre les machines et les hommes qu’entre les membres de différentes organisations impliquées, en assurant l’interopérabilité sémantique (2.2.3). Nous pro- posons donc d’utiliser ces outils pour organiser les connaissances utiles à la gestion de la phase PAN et en faciliter l’utilisation par les citoyens. Dans cette section, nous décrivons successivement la modélisation d’un thésaurus des concepts relatifs à la ra- dioprotection (4.1.1), l’organisation de documents à destination des citoyens (4.1.2) et la représentation sémantique des échanges sur les médias sociaux (4.1.3).