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La protection renforcée des mineurs

Section II : La protection de la liberté de porter atteinte à son corps

B) La protection renforcée des mineurs

La nécessité d’une protection renforcée des mineurs provient de leur vulnérabilité qui en fait des personnes plus influençables vis-à-vis des tiers. Le mineur n’est pas à même de réaliser la gravité de certains comportements en termes d’atteintes à son intégrité physique. Des dispositions spécifiques ont été instaurées afin de protéger le mineur contre une influence matérielle (1) et morale des tiers (2).

1) La méfiance envers l’influence matérielle des tiers

Est garantie la libre volonté du mineur concernant la consommation des trois substances que sont les stupéfiants, l’alcool et le tabac. L’incrimination de la fourniture de stupéfiants ne surprend pas au regard de l’illicéité absolue de l’usage de stupéfiants. En revanche, sont plus originales les restrictions imposées aux tiers vis-à-vis des mineurs pour la fourniture d’alcool et de tabac, dont la consommation est légale. La démarche du législateur est d’ailleurs différente en ce qui concerne les stupéfiants d’une part, et l’alcool et le tabac d’autre part. Pour les stupéfiants, la protection du mineur est renforcée par le biais de la circonstance aggravante de la minorité de la victime lorsqu’un tiers lui cède ou lui offre des stupéfiants en vue de sa consommation personnelle298.

En ce qui concerne l’alcool et le tabac, deux incriminations ont été introduites dans le Code de la santé publique. L’article L. 3353-3 du Code de la santé publique punit d’une amende de 7 500 euros la violation de l’interdiction de la vente et l’offre à titre gratuit de boissons alcoolisées à un mineur en certains lieux299. L’article R. 3353-8 du même code complète le dispositif en posant une contravention de 4e classe pour le débitant de boissons qui accueillerait dans son établissement un mineur de moins de 16 ans non accompagné. L’article R. 3512-3 du Code de la santé publique300 prévoit quant à lui qu’est puni de l’amende prévue

297 Articles 225-4-2 1° (traite des êtres humains), 225-7 1° (proxénétisme), et 225-7-1 (mineur de moins de

quinze ans) du Code pénal.

298 Article 222-39 alinéa 2 du Code pénal.

299 Il s’agit des débits de boissons, des commerces et de tous lieux publics. 300

Instauré par un décret n°2010-545 du 25 mai 2010 relatif aux sanctions prévues pour la vente et l’offre de produits du tabac.

72 pour les contraventions de 4e classe le fait de vendre ou d’offrir gratuitement dans les débits de tabac et autres lieux publics, des produits du tabac à des mineurs. Avant la loi du 21 juillet 2009301, seuls étaient visés les mineurs de moins de 16 ans. Depuis, la protection a été étendue à tous les mineurs. Ces restrictions ont leur place ici parce que l’offre à titre gratuit de ces substances à un mineur peut intervenir alors que celui-ci n’avait pas la volonté à l’origine d’en obtenir. L’offre correspond en effet au tiers qui, de sa propre initiative, va proposer un produit à un mineur. Les restrictions pour la vente de ces produits n’ont pas cet aspect car le mineur qui se présente dans un débit de boissons ou de tabac a la volonté de les acheter.

Les mineurs bénéficient aussi d’une protection renforcée contre des provocations aux fins de consommer ces substances.

2) La méfiance envers l’influence morale des tiers

Les tiers contre lesquels le législateur veut protéger les mineurs peuvent être des majeurs comme des mineurs, aucune restriction n’ayant été instaurée. L’article 227-18 du Code pénal incrimine le fait de provoquer un mineur à faire un usage illicite de stupéfiants, tandis que l’article 227-19 du Code pénal réprime le tiers qui provoquerait un mineur à la consommation habituelle et excessive de boissons alcoolisées. Ces deux textes ont pour point commun de viser une provocation directe ce qui a une incidence en termes d’appréciation de la causalité. Mais ils se distinguent sur la qualification de la provocation. Pour l’usage de stupéfiants, le texte n’exige pas une circonstance d’habitude ce qui permet de réprimer une provocation occasionnelle, contrairement à la consommation d’alcool qui doit être « habituelle et excessive ». La provocation d’un mineur à l’usage de stupéfiants est réprimée de cinq ans d’emprisonnement et de 100 000 euros d’amende, l’amende étant seule aggravée par rapport à la provocation d’usage de stupéfiants du Code de la santé publique302

. La provocation d’un mineur à la consommation de boissons alcoolisées quant à elle est punie de deux ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. La gradation des peines encourues est discutable dans la mesure où la consommation d’alcool doit revêtir un caractère de gravité pour que la provocation soit répréhensible.

Les deux incriminations contiennent la même circonstance aggravante, lorsque le mineur est âgé de moins de quinze ans ou lorsque la provocation a lieu « dans des établissements d’enseignement ou d’éducation ou dans les locaux de l’administration ainsi que lors des entrées ou sorties des élèves ou du public ou dans un temps très voisin de celles-ci, aux abords

301

Loi n° 2009-879.

73 de ces établissements ou locaux ». La deuxième partie de cette circonstance aggravante a été reprise dans le texte incriminant la provocation à l’usage de stupéfiants. Le législateur a souhaité protéger les lieux fréquentés par les mineurs, même si la circonstance aggravante n’implique pas que la provocation ait été faite à un mineur.

L’article L. 3353-4 du Code de la santé publique mérite d’être signalé car il réprime le fait de faire boire un mineur jusqu’à l’ivresse. Ce comportement se situe à la limite de la distinction entre les atteintes à l’intégrité commise sur soi et celles réalisées par un tiers car « faire boire » un mineur peut recouvrir une influence purement morale, mais le tiers peut tout aussi bien intervenir matériellement, par exemple en tenant le verre.

Si la protection contre les tiers de la liberté de porter atteinte à son intégrité physique est exacerbée à juste titre à l’égard des mineurs, elle concerne plus généralement toute personne. Une telle protection ne peut être blâmée car le droit pénal, après s’être désinvesti de certains domaines afin de laisser le champ libre à la volonté, aurait pu ne pas se repositionner et cela aurait été dommageable pour les personnes. Toutefois, la protection pénale du corps humain ne peut se concilier avec une liberté absolue accordée à la personne, même s’agissant de son propre corps. Cela explique l’apparition de limites, au sein du droit pénal lui-même, à la liberté de porter atteinte à son corps.