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La protection accordée à toute personne

Section II : La protection de la liberté de porter atteinte à son corps

A) La protection accordée à toute personne

Le législateur a souhaité garantir la liberté de la personne de porter atteinte à son intégrité physique (1), mais aussi sa liberté de se voir portées des atteintes à son intégrité du fait d’un tiers (2).

1) Les atteintes sur soi

Pour l’ensemble des hypothèses envisagées, il s’agit d’un acte volontaire de la personne qui est susceptible de provoquer une atteinte à son intégrité. L’influence des tiers est de deux sortes : il peut fournir les moyens à la personne de porter atteinte à son corps (a) ou exercer une influence morale (b).

a) La méfiance envers l’influence matérielle des tiers

Le législateur a prévu plusieurs hypothèses dans lesquelles un tiers fournit des produits susceptibles de porter atteinte à l’intégrité de celui qui les consomme. Ces substances correspondent aux produits dopants, aux stupéfiants et à l’alcool.

Sont incriminées dans le Code du sport notamment la prescription, la cession ou l’offre de produits dopants à un sportif, sans raison médicale dûment justifiée, ainsi que le fait de faciliter leur utilisation282. Ces incriminations visent les tiers, en particulier le médecin et le manager sportif, en ce qu’ils peuvent influencer le sportif à faire usage de produits dopants, et faire que cette consommation ne soit pas un choix fait librement par celui-ci.

De façon similaire, certaines formes de trafic de stupéfiants font craindre l’influence matérielle de tiers. Il ne s’agit pas de développer toutes les incriminations prévues aux articles 222-34 et suivants du Code pénal mais uniquement de reprendre celles qui sont pertinentes pour notre étude, même s’il n’est pas incohérent d’estimer que toute forme de trafic de

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Article L. 232-26 II du Code du sport réprimant la personne qui se trouve en infraction notamment avec l’alinéa 1° de l’article L. 232-10 du Code du sport.

68 stupéfiants pousse à leur consommation. L’article 222-37 alinéa premier du Code pénal réprime les individus qui offrent ou cèdent des stupéfiants cependant il vise uniquement des trafiquants qui ne sont pas en relation directe avec les consommateurs potentiels. Les articles 222-37 alinéa 2 et 222-39 du Code pénal quant à eux incriminent pour le premier le fait de faciliter par quelque moyen que ce soit l’usage illicite de stupéfiants et pour le second la cession ou l’offre illicite de stupéfiants à une personne en vue de sa consommation personnelle.

En ce qui concerne l’alcool, l’article R. 3353-2 du Code de la santé publique punit le fait pour un débitant de boissons de servir ou d’accueillir dans son établissement une personne manifestement ivre, de l’amende prévue pour les contraventions de 4e classe.

Dans sa matérialité, la fourniture de moyens matériels à une femme destinés à la pratique d’un auto-avortement prévue à l’article L. 2222-4 du Code de la santé publique283 relève du même mécanisme que la fourniture de substances. Les risques pour le corps sont avérés, l’atteinte à l’intégrité pouvant entraîner la mort de la femme. Cette incrimination est justifiée dans la mesure où l’auto-avortement n’est plus réprimé par la loi pénale, ce qui écarte la possibilité de retenir une complicité. Pour être constituée, elle ne suppose pas que les moyens fournis soient à même de pouvoir provoquer avec succès un avortement, ni que la femme les aient effectivement utilisés.

Le législateur a pris soin de garantir la liberté de porter atteinte à son intégrité physique contre l’influence matérielle des tiers, mais il ne lui a pas échappé qu’est tout autant redoutable l’influence morale que ces derniers peuvent avoir.

b) La méfiance envers l’influence morale des tiers.

Les tiers peuvent contribuer à influencer une personne et de ce fait remettre en cause son libre-arbitre. A donc été instaurée une protection contre l’influence morale d’autrui. Elle est cependant moins marquée que la protection contre l’influence matérielle des tiers, ce qui peut se comprendre par la difficulté pratique de prouver une influence morale.

En est une illustration l’incitation à l’usage de produits dopants incriminée à l’article L. 232- 26 II du Code du sport284. Il en est de même pour la provocation à l’usage de stupéfiants prévue à l’article L. 3421-4 alinéa 1er

du Code de la santé publique qui, tout comme l’incitation à l’usage de produits dopants est une infraction formelle c'est-à-dire qu’il importe peu que la provocation ait été suivie ou non d’effet. Sa nature formelle est accentuée par le

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Ancien article 223-12 du Code pénal.

69 fait qu’il suffit que les substances soient présentées comme ayant les effets de stupéfiants pour sa constitution285. La réprobation envers les stupéfiants est à son paroxysme avec l’incrimination du fait de présenter l’usage de stupéfiants sous un jour favorable contenue dans la même disposition. A noter une incohérence à propos des peines encourues par le tiers auteur d’une provocation à l’usage de stupéfiants. Si l’usage de ces produits a suivi la provocation, le tiers peut être poursuivi comme complice d’usage de stupéfiants sur le fondement de l’article L. 3421-1 du Code de la santé publique et risque un an d’emprisonnement et 3750 euros d’amende. C’est bien moins que lorsque la provocation n’aurait pas été suivie d’effet laquelle ne pourrait tomber que sous le coup de l’article L. 3421-4 alinéa 1er du Code de la santé publique sanctionné de cinq ans d’emprisonnement et de 75000 euros d’amende.

L’ensemble de ces incriminations ont pour point commun de sanctionner le tiers qui influencerait la personne à se porter une atteinte. La prostitution engendre pour sa part des atteintes à l’intégrité physique réalisées par un tiers, justifiant que soit traité le proxénétisme séparément, d’autant que l’impact du proxénète est déterminant sur la volonté individuelle.

2) Les atteintes infligées par un tiers

Le proxénétisme s’entend généralement de l’exploitation de la prostitution d’autrui. La première loi répressive en la matière date du 27 mai 1885286. Suivra une kyrielle de lois287. La loi Marthe Richard du 13 avril 1946 marquera le début de l’intensification de la répression du proxénétisme. Les formes de proxénétisme ont été diversifiées et les peines sans cesse aggravées.

Une distinction révélatrice a été faite par Francis Caballero entre d’une part, le proxénétisme de soutien qui laisse penser que la prostitution est libre et d’autre part, le proxénétisme de contrainte qui se caractérise par une prostitution forcée288. C’est à ce second proxénétisme qu’il faut s’intéresser car il fait craindre que les personnes aient une volonté de se prostituer viciée voire une volonté complètement annihilée.

285 Article L. 3421-4 alinéa 2 du Code de la santé publique. Pour une application de l’incrimination à la diffusion

sur internet d’informations sur la culture du cannabis, de propos en faveur de sa consommation et critiques envers sa pénalisation, V. CA Douai, 4e ch., 28 février 2006, rev. Communication Commerce électronique n°10, octobre 2006 comm.148 A. Lepage. V. CA Paris, 10e ch. corr., 13 mars 2009, rev. Communication Commerce électronique n°9, septembre 2009, comm. 83 A. Lepage. (arrêt confirmant une condamnation sur ce fondement).

286 A l’époque, était utilisé le terme de souteneur pour désigner le proxénète.

287 Loi du 3 avril 1903, loi du 27 décembre 1916, loi du 20 juillet 1940, loi du 2 mars 1943, citées par F.

Caballero, ibid. n°592.

70 Plusieurs dispositions peuvent s’interpréter comme protégeant la liberté de chacun de pouvoir s’adonner ou non à la prostitution. L’incitation à la prostitution incriminée au 3° de l’article 225-5 du Code pénal en fait partie en visant le fait d’embaucher, d’entraîner ou de détourner une personne ou d’exercer sur elle une pression afin qu’elle se prostitue ou continue à le faire. Les termes de détournement et de pression impliquent l’absence de volonté de la personne. Plusieurs formes de proxénétisme aggravé font également référence à ce type de moyens : quand le proxénétisme est commis envers une personne incitée à se prostituer289, avec abus d’autorité ou de fonction290

, avec emploi de la contrainte, de violences ou de manœuvres dolosives291, avec emploi d’une arme292, ou encore par le recours à des actes de torture et de barbarie293,

L’article 225-6 4° du Code pénal participe aussi de la protection de la liberté de la personne prostituée en assimilant à un proxénète celui qui entrave l’action de prévention, de contrôle, d’assistance ou de rééducation menée par des organismes envers les personnes se livrant à la prostitution ou en danger de prostitution.

Enfin, il faut signaler la traite des êtres humains érigée en infraction294 par la loi du 18 mars 2003295. Ce texte a intégré en droit français le Protocole Additionnel du 15 novembre 2000 à la Convention contre la criminalité organisée du 15 juin 2000. Cette incrimination réprime une forme d’esclavage moderne dans laquelle des personnes seraient notamment livrées à la prostitution. L’existence de trafics de femme en particulier n’est pas un cas d’école. En France, la présence de femmes nigérianes et d’Europe de l’est victimes de ce trafic est avérée, la prostitution étrangère étant évaluée à 80% de la prostitution de rue296. Souvent dans des situations de grande précarité, les femmes sont successivement appâtées par une offre de travail fictive, retirées de leur milieu pour être totalement soumises et envoyées à l’étranger pour y être livrées à la prostitution.

L’ensemble de ces incriminations protège la liberté de chacun de se prostituer, la décision ne devant faire intervenir que l’intéressé pour être considérée comme procédant d’une volonté

289

Article 225-7 4° du Code pénal.

290 Article 225-7 5° du Code pénal. 291 Article 225-7 8° du Code pénal. 292 Article 225-7 7° du Code pénal. 293 Article 225-9 du Code pénal. 294

Article 225-4-1 du Code pénal.

295 Loi incriminant la traite des êtres humains et le recours à la prostitution de personnes particulièrement

vulnérables.

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Cité par le rapport d’information sur la prostitution, disponible sur internet : www.assemblee- nationale.fr/13/rap-info/i3334.asp.

71 libre. L’influence exercée par les tiers fait l’objet d’une répression marquée dans la mesure où les gains de la prostitution attirent les groupes criminels de tous ordres.

Le législateur a souvent accompagné les incriminations précitées de la circonstance aggravante de la minorité de la victime, manifestant ainsi sa détermination à renforcer la protection des mineurs297.