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La protection de l’image des biens

254. Le dispositif de protection de l’image des biens est une création jurisprudentielle. S’il était classiquement admis, depuis le célèbre arrêt Gondrée du 10 mars 1999453, que l’image des biens fut rattachée à la propriété (section 1), il n’en demeure pas moins que d’autres rattachements sont possibles (section 2).

Section 1 : Le rattachement au droit de propriété

255. Selon l’article 544 du Code civil, « La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue ». L’arrêt Gondrée a ainsi admis que le droit de propriété, absolu, devait comprendre l’image des biens. Cependant, certaines décisions semblaient avoir amorcé ce rattachement.

Dans un arrêt du 15 juillet 1919, la Cour d’appel de Grenoble considère qu’un locataire a le droit de s’opposer à ce qu’un tiers reproduise l’image de la chose louée454. Ainsi, « le droit de faire reproduire par le dessin, la photographie, ou tout autre procédé usuel, la vue extérieure et intérieure des lieux loués est un accessoire de la chose louée ». Or, le contrat de bail ayant donné au preneur un droit de jouissance s’étendant à tous les accessoires de la chose louée, le propriétaire est donc censé avoir cédé au locataire ce droit de reproduction, s’il ne s’en est pas expressément réservé l’usage.

256. Par la suite, un jugement de 1988, après avoir rappelé que le droit de propriété est le droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue, énonce que « ce droit met obstacle à ce qu’un tiers capte et reproduise l’image de son bien qu’il soit meuble ou immeuble sans son autorisation, le droit à l’image étant un attribut du droit de propriété »455. Les attributs du droit de propriété sont l’usus, le fructus, et l’abusus. Le « droit à l’image » des biens se trouve contenu dans la catégorie de l’usus ou du fructus, peu important de savoir laquelle des deux456.

257. Cependant, certaines décisions ont tenu à apporter une limite à ce droit. En effet, selon

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Cass. 1ère civ., 10 mars 1999, RTDCiv 1999, p859, obs. F. Zenati 454 CA Grenoble, 15 juillet 1919, D. 1920, p9, note A. Rouast 455 TGI Bordeaux, 19 avril 1988, D. 1989, p93

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certaines juridictions, « le droit de propriété autorise le propriétaire à mettre obstacle à ce qu’un tiers utilise l’image de son immeuble à des fins commerciales sans son autorisation […], l’utilisation commerciale de l’image de son bien étant un attribut du droit de propriété »457.

258. C’est enfin l’arrêt Gondrée qui opère le rattachement à l’article 544 du Code civil. Plus précisément, les juges se fondent sur le droit de jouissance : « l’exploitation d’un bien sous la forme de photographie porte atteinte au droit de jouissance du propriétaire »458. Aucune référence à la commercialité de l’exploitation n’est affirmée dans cet arrêt de principe.

Néanmoins, le droit de propriété n’est pas le seul à pouvoir protéger l’image des biens (section 2).

Section 2 : Le rattachement à d’autres fondements

259. Tout d’abord, la relation entre propriété et vie privée est pour le moins complexe (§1). Ensuite, il faut insister sur le fait que la responsabilité pourrait être un moyen efficace de protection (§2).

§1/L’atteinte aux droit de la personnalité du propriétaire

260. Le jugement du TGI de Bordeaux que nous avons cité précédemment est en ce sens évocateur459. En l’espèce, il s’agissait de photographies d’une terrasse d’une personne avec du linge étendu. Elles avaient été montrées par un voisin mécontent lors d’une assemblée générale de copropriétaires. Les juges rappellent en premier lieu l’absolutisme du droit de propriété pour ensuite affirmer qu’un tiers ne saurait capter et diffuser l’image d’un lieu privé sans qu’il en résulte « une atteinte indue à sa personnalité au sens de l’article 9 du Code civil ». La référence à l’article 544 du Code civil semble dès lors superflue. En effet, il n’y a pas de conséquence entre la qualité de propriétaire et l’atteinte à la vie privée. Le jugement entretient donc une certaine ambigüité.

D’autres décisions sont pour le moins équivoques. Par exemple, un jugement du TGI de Bordeaux du 11 septembre 1995 mettant en cause une entreprise qui avait utilisé dans le cadre d’une campagne publicitaire, la photographie d’un domaine viticole. Les magistrats ont retenu « l’atteinte au droit au respect de l’image d’un bien privé ». Cela nous évoque certes le droit de biens mais également la vie privée par la référence à l’image.

261. D’autres décisions encore se fondent sur l’altération de la personnalité, tout en évoquant l’article 544. Cette notion, découverte par le Professeur Mestre consiste en une présentation inexacte de la personnalité d’autrui460. Ainsi, une Cour d’appel a pu estimer que « l’utilisation du graphisme d’un immeuble par une société sur ses documents commerciaux est de nature à créer une confusion sur l’identité du propriétaire de cet immeuble et à accréditer que l’idée que le propriétaire commercialiserait l’image de son immeuble »461. De même, une entreprise « ne saurait nier la réalité

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CA Metz, 26 novembre 1992, D. 1994, p161 458

Cass. 1ère civ., 10 mars 1999, RTDCiv 1999, p859, obs. F. Zenati 459

TGI Bordeaux, 19 avril 1988, D. 1989, p93

460 J. Mestre, La protection indépendante du droit de réponse, des personnes physiques et des personnes morales contre l’altération de leur personnalité aux yeux du public, JCP 1974, I, 2623

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du préjudice causé (aux propriétaires) par sa publicité […] pouvant faire croire aux amis et clients de ses adversaires, soit qu’ils n’étaient pas les propriétaires de leur bien […] soit qu’ils se prêtaient, contre rémunération, à cette discutable publicité »462. Là encore, l’ambigüité est de mise puisque l’article 544 est visé par les juges. Or, s’il est certain que l’atteinte à la propriété peut être doublée d’une atteinte à la personnalité, les deux actions mériteraient d’être distinguées.

C’est pourquoi il faut s’intéresser à un autre fondement possible que l’atteinte à la propriété ou aux droits de la personnalité : la responsabilité (§2).

§2/La responsabilité

262. A cet égard, l’arrêt du 7 mai 2004 érige une véritable responsabilité spéciale empêchant l’utilisation de l’image en cas de trouble anormal463. Madame Gleize n’hésite pas à la comparer à la théorie des troubles anormaux de voisinage464. D’ailleurs, le Professeur Dreyer corrobore cette comparaison en affirmant qu’ « Entre la chose et son image, il existerait donc les mêmes rapports qu’entre deux fonds contigus »465.

263. Mais la mise en œuvre de cette responsabilité spéciale est-elle exclusive de toute autre action en responsabilité ? L’on pense tout d’abord à l’article 1382 du Code civil sur lequel se fonde l’action en concurrence déloyale. Ainsi, la responsabilité pour troubles anormaux de voisinage peut concourir à une action fondée sur l’article 1382466. Cette solution pourrait donc être transposable à la responsabilité spéciale mise en place par l’arrêt du 7 mai 2004 précité.

264. La responsabilité contractuelle du professionnel pourrait également être engagée. En effet, celui-ci peut être lié avec le propriétaire par un contrat régissant les conditions de réalisation de l’image de son bien. Il peut être ainsi conclu un contrat de commande ou un contrat de travail. L’on voit ainsi que l’article 1147 du Code civil pourrait être engagé en cas de faute impliquant un dommage au propriétaire et en présence d’un lien de causalité entre les deux.

Nous avons ainsi pu étudier la nature des différents fondements pouvant réparer une atteinte à l’image d’un bien. Il convient donc désormais d’en étudier la manifestation (chapitre II).

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CA Aix-en-Provence, 18 janvier 1993, Bull. Aix 1993-1, p11, note A. Sériaux 463

Ass. Plén., 7 mai 2004, D. 2004, p2406, note N. Reboul-Maupin 464 Thèse B. Gleize, op. cit., p309, n°472

465 E. Dreyer, L’image des biens devant l’Assemblée plénière : ce que je vois est à moi, D. 2004, p1545 466