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La jurisprudence classique

Chapitre II : La manifestation de l’atteinte à l’image des biens

Section 1 La jurisprudence classique

266. Les actes susceptibles de donner lieu à réparation, à la suite de l’arrêt Gondrée doivent être étudiés précisément. Ils consistent en une reproduction de l’image du bien (§1) ainsi qu’en une exploitation de cette image (§2).

§1/La reproduction de l’image du bien

267. Le bien en cause doit tout d’abord être identifiable. Cela est logique puisque c’est justement ce qui nous permet de caractériser l’atteinte. Toutefois, l’examen de cette condition reste rare en jurisprudence tant l’action des propriétaires est généralement motivée par cette possibilité d’identification. Cependant, en 2002, dans une affaire mettant en cause l’utilisation par la société Casino de clichés aériens des volcans d’Auvergne dans le cadre d’une publicité, cet examen a été opéré par les juges du fond. Des associations de propriétaires avaient assigné l’annonceur, l’agence de publicité et la photothèque sur le fondement de l’article 544 du Code civil. Les magistrats font état de la difficulté d’identifier la parcelle litigieuse pour en déduire qu’ « il est manifeste que le bien indivis ne peut être clairement identifié dans le paysage panoramique constitué de plusieurs milliers d’hectares »467. Fidèles à la jurisprudence en vigueur au moment du jugement468, les juges ont estimé que le trouble n’était pas réalisé et qu’il convenait par conséquent de ne pas faire droit à la demande des associations.

268. Ce trouble doit encore donner la possibilité d’établir avec certitude un lien entre le propriétaire et le bien reproduit. En effet, celui qui se prévaut de l’atteinte doit être le propriétaire du bien. En effet, un propriétaire peut penser, à tort, reconnaitre son bien et demander réparation. Par exemple, en 2002, une banque publie l’image d’un citronnier dans un dépliant. Par la suite, une personne informe la banque qu’il s’agit de son citronnier, d’une variété rare parfaitement identifiable. En réalité, cela n’était pas le cas. Heureusement, l’affaire ne se résume qu’à une série d’appels téléphoniques et n’a pas été portée devant les tribunaux469. Cependant, l’arrêt Gondrée avait fait craindre une vague de contentieux de ce type, d’autant que les biens concernés peuvent être des plus quelconques. Le propriétaire doit encore pouvoir justifier de sa qualité. En effet, après l’arrêt de la Cour de cassation dans l’affaire Gondrée, la Cour de renvoi a débouté la prétendue propriétaire pour défaut de propriété. Celle-ci était en réalité occupante sans droit ni titre puisque l’autorisation d’occupation du domaine public concédée par l’administration à la famille Gondrée, n’avait pas été renouvelée. Elle ne pouvait donc pas se prévaloir de l’article 544 du Code civil470.

467

TGI Clermont-Ferrand, 23 janvier 2002, D. 2002, p1226, note J-M. Bruguière 468

V. Infra, section2>§1 Cass. 1ère civ., 2 mai 2001, D. 2001, p1973, note J-P. Gridel : A l’époque, la Cour de cassation exigeait que fut caractérisé un trouble certain au droit d’usage et de jouissance du propriétaire.

469 M. Gerrin, Patrimoine : il faut payer pour voir, Le monde, 27 décembre 2002, p19 470

Ainsi, la reproduction doit permettre l’identification du bien et porter sur un bien du propriétaire. Encore faut-il une exploitation de l’image (§2).

§2/L’exploitation de l’image

273. Malgré la généralité des termes employés par l’arrêt Gondrée, toute exploitation n’est pas interdite (A). Il faut donc savoir s’il s’agit d’une exploitation commerciale (B), ou d’un autre genre d’exploitation (C).

A/Les usages autorisés

274. A l’évidence, l’usage privé de l’image du bien ne peut être sanctionnée (1°). Il en ira de même en cas de diffusion lorsque ce sera dans un but d’information du public, artistique ou culturelle (2°).

1°) L’’usage privé de l’image du bien

275. L’usage privé ne peut être soumis au monopole du propriétaire. Les conclusions de l’Avocat général dans l’affaire Gondrée soulignent d’ailleurs cette position en énonçant que « le propriétaire ne peut s’opposer à l’utilisation de l’image de son immeuble à des fins privées, sans méconnaitre le liberté individuelle des passants et des visiteurs »471. Cette solution est semblable à l’exception de copie privée que connait la propriété intellectuelle. Il serait en effet impossible de contrôler les quantités astronomiques d’images réalisées par les personnes à titre privé.

En outre, l’arrêt Gondrée vise implicitement l’usage privé en affirmant qu’est soumise au monopole du propriétaire « l’exploitation du bien sous la forme de photographie ». Or, l’exploitation ne se conçoit que comme une mise en valeur de la chose en question. L’usage privé, par définition, se situe en dehors de toute mise en valeur.

Mais l’usage privé n’est pas la seule exception puisque même en cas de diffusion de l’image, certaine justifications pourront autoriser le photographe à passer outre l’autorisation du propriétaire (2°).

2°) La diffusion à des fins d’information du public ou artistiques ou culturelles

276. Le droit à l’information du public permet la diffusion d’images de personne, identifiées, faisant obstacle à l’application du droit à l’image472. A fortiori, l’on a du mal à concevoir qu’une telle exception ne vaudrait pas pour les biens. C’est ce qui a été estimé par la Cour d’appel de Paris au sujet du dessin d’un château inséré dans un livret dédié à la découverte du patrimoine français473 au nom du droit à l’information du public.

L’utilisation de l’image à des fins culturelles ou artistiques pose également problème. En effet,

471 J. Sainte-Rose, conclusions sous Cass. 1ère civ., 10 mars 1999, D. 1999, p319 472 V. Supra Le droit à l’information du public

473

la commercialité de l’exploitation exclut la possibilité d’usage de l’image du bien474. Par conséquent, l’exposition, dans une galerie d’art par exemple, de photographies représentant des biens d’un tiers, sans son autorisation, doit être gratuite et la photographie ne doit pas être à vendre.

Dès lors, il faut se pencher sur l’exploitation commerciale de l’image du bien (B).

B/Le critère de l’exploitation commerciale

277. Le critère de la commercialité de l’exploitation ne pose en général que peu de problèmes. Ainsi, dans l’affaire Gondrée, le fait qu’une société d’édition exploitait l’image du café rendait l’exploitation nécessairement commerciale portant, de fait, atteinte au droit de jouissance du propriétaire. Pourtant, ce critère n’en demeure pas moins ambigu. Par un arrêt du 12 avril 1995, la Cour d’appel de Paris a estimé qu’une photographie d’une maison diffusée sans autorisation de son propriétaire par une association et destinée à promouvoir le tourisme en Bretagne manifestait la commercialité de l’exploitation475. La référence commerciale est ainsi indirecte puisque son but n’est pas de vendre un produit mais de promouvoir une région. Ce n’est donc que par l’attraction touristique que la photographie est susceptible de retombées financières, dont seuls les commerçants et prestataires de services bretons récolterons les bénéfices.

Pourtant, le 31 mars 2000, la Cour d’appel de Paris estime que la reproduction d’un château, sous forme de dessin, sur un dépliant distribué gratuitement dans des stations services. Bien que cette distribution s’inscrivait dans une stratégie publicitaire, la Cour affirme que le dessin « ne constituait pas une exploitation commerciale, mais répondait à un souci pédagogique d’information relevant du principe constitutionnel de la liberté d’expression »476.

Par conséquent, l’on s’aperçoit de la difficulté de la mise en œuvre de ce critère de commercialité de l’exploitation. C’est pourquoi l’arrêt Gondrée ne le retient pas (C).

C/La nécessité d’une exploitation : la diffusion auprès d’un public

278. Ainsi, dans son arrêt du 10 mars 1999, la Haute juridiction ne se réfère nullement à une quelconque exploitation commerciale. Au contraire, elle vise l’exploitation « sous quelque forme que ce soit ». La généralité des termes pose donc la question de savoir si oui ou non la Cour entendait limiter l’exploitation à l’exploitation commerciale. Certains estimait qu’ « Exploiter, c’est tirer profit, en dernière analyse, s’approprier une richesse. Le critère est purement économique »477. Cependant, la lecture du rapport annuel de la Cour de cassation nous incite à penser autrement. En effet, il est opéré une distinction entre la reproduction de l’image, libre, et son exploitation, soumise à autorisation. Plus précisément, « la publication et l’exploitation commerciale de photographies d’un immeuble constituent une atteinte (au droit de jouissance) du propriétaire »478. Les Hauts magistrats n’entendaient donc pas circonscrire l’exploitation à l’exploitation commerciale seule mais à toute forme

474

V. Infra le critère de l’exploitation commerciale 475

CA Paris, 12 avril 1995, JCP 1997, II, 22806, note V. Crombez 476 CA Paris, 31 mars 2000, précité

477 J. Ravanas, L’image d’un bien saisie par le droit, D. 2000, p19 478

de diffusion auprès d’un public.

Face aux incertitudes que pouvait engendrer cette jurisprudence, la Cour de cassation a progressivement changé sa conception de l’atteinte à l’image des biens pour finir par opérer un véritable revirement (section 2).