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Propriétés physiques des élastomères renforcés

II. Le renfort des élastomères : état de l’art

5. Propriétés physiques des élastomères renforcés

L’introduction de charges dans les polymères permet de modifier les propriétés du matériau et d’obtenir de nouvelles propriétés, telles que la conductivité, la perméabilité, ou un module plus élevé. Dans le cadre de ce travail de thèse, on s’intéressera aux propriétés mécaniques des élastomères. L’ajout de charge augmente le module du matériau, mais induit également des propriétés mécaniques qualitativement différentes telles que l’effet Payne ou l’effet Mullins.

Dans ce paragraphe, après avoir présenté le concept de module élastique, nous allons faire la synthèse des résultats présentés dans la littérature sur les effets du renforcement sur les propriétés mécaniques du matériau, depuis les faibles déformations jusqu’aux grandes déformations.

L’effet du renfort à faible déformation

Aux faibles déformations, l’ajout de charges a pour effet d’augmenter le module du matériau. Dans le domaine linéaire, l’augmentation du module élastique peut être expliquée dans un premier temps par des considérations géométriques. La matrice renforcée est alors assimilée à une suspension diluée de particules colloïdales. La matrice est supposée incompressible et les charges indéformables. Le module d’Young du matériau renforcé est alors donné par la relation d’Einstein-Smallwood [16]:

(eq. II-30)

où G0 est le module d’Young de la matrice pure et φ la fraction volumique de charge. Guth et Gold [17] ont ensuite étendu cette relation

(eq. II-31)

Plus généralement le coefficient de Φ² dépend de la fonction de corrélation de paire des particules renforçantes. Par la suite, dans le cas d’agrégats de structure complexe (fractale), Medalia[18] a introduit le concept de polymère occlus. En effet une partie du polymère peut pénétrer à l’intérieur des charges. Il est alors immobilisé et ne ressentira pas les effets des contraintes imposées au matériau. Cette part du polymère prisonnière des charges doit être prise en compte dans la fraction volumique de charge. L’ensemble charge-polymère occlus constitue la fraction volumique de charge effective.

Ces modèles de renforcement purement géométriques ne permettent pas de décrire tous les comportements liés à la présence de charge. En effet, le module acquiert une dépendance en température qualitativement différente de celle de la matrice pure.

Berriot et a[19-21] ont proposé que cette dépendance en température serait due à la présence d’une couche de polymère près des charges dont la dynamique est fortement ralentie (couche vitreuse). Des expériences de RMN du proton ont permit de mesurer l’épaisseur de cette couche vitreuse. Berriot et al ont montré que la variation du module peut être représentée par une équation du type (eq. II-31), (pour des fractions volumiques assez faibles) à condition d’introduire une fraction volumique effective, dépendant de la température, qui prend en compte la couche vitreuse.

(

2

)

0 1+2.5Φ+14.1Φ

= G

L’effet Payne

Lorsqu’un élastomère chargé est déformé à des amplitudes croissantes, on observe une diminution du module élastique à partir d’amplitude de l’ordre de 99%. Ce phénomène est partiellement réversible, i.e. on retrouve une valeur de module élastique proche de la valeur initiale (légèrement inférieure) lorsqu’on revient à des amplitudes faibles (correspondant au régime linéaire). La Figure II-9 illustre cette chute de module dans le cas d’un matériau de caoutchouc naturel renforcé avec de la silice soumis à des sollicitations cycliques à 10Hz, d’amplitudes croissantes, et mesurée à 40°C. Cette diminution du module s’accompagne d’un pic de dissipation d’energie.

5.0E+05 1.0E+06 1.5E+06 2.0E+06 2.5E+06 3.0E+06 3.5E+06 4.0E+06 4.5E+06 5.0E+06 0.10% 1.00% 10.00% 100.00% Taux de Déformation % Module G' G0 G

Figure II-9 : Evolution du module en fonction de la déformation pour une éprouvette de NR pur (▲) et pour une éprouvette de NR renforcé avec de la silice et du TESPT (50phr) (□).

Ce phénomène présent dans les matériaux renforcés, décrit pour la première fois en 1962[22], porte le nom d’effet Payne. Ce comportement n’est pas caractéristique du caoutchouc renforcé ; En effet, un phénomène comparable est observé dans beaucoup de milieux divisés comme les suspensions colloïdales. Il a été étudié dans de nombreux systèmes composés de différentes matrices et de différents types de charge.

Pour quantifier l’effet Payne, on définit deux valeurs de module : le module à très faible taux de déformation noté G0' et le module à grand taux de déformation, lorsqu’on a atteint un plateau, G . Comparer l’effet Payne de deux matériaux revient alors à comparer les valeurs '

de la chute du moduleG0' − G' .

La valeur de l’effet Payne varie selon la matrice utilisée [23] mais aussi la fraction volumique [22-24] et la nature des charges[25,26].

Afin de pouvoir comparer les différents matériaux, Payne a défini un module normalisé :

( eq. II-32) − − = ' ' ' ' 0 G G G G Z

L’effet Mullins

Au cours d’une expérience de cyclage (tractions successives aller-retour d’une même éprouvette à un taux de déformation fixe) le module diminue et, la contrainte maximale atteinte diminue. Ce phénomène porte le nom d’effet Mullins. La courbe de traction de l’éprouvette se stabilise après quelques cycles, comme le montre la Figure II-10.

Figure II-10 : Effet de cyclage successif sur la courbe contrainte déformation d’un caoutchouc naturel[27].

L’origine de cet adoucissement, spécifique aux élastomères chargés, n’est pas encore très bien comprise, bien que les premières explications théoriques aient avancé par Mullins[28] dès 1947. Il démontra que ce phénomène ne pouvait s’expliquer que dans les élastomères chargés. De nombreuses hypothèses basées sur l’interaction charges-matrice sont avancées pour expliquer ce phénomène : ainsi Bueche[29] attribue cet adoucissement à la rupture de chaînes entre charges voisines. En effet les chaînes sont de longueurs variables et sous l’effet de traction, certaines chaînes vont atteindre prématurément leur extension limite. Elles cèderont donc, c’est la raison pour laquelle lors du cycle suivant la contrainte est moins élevée à un λ donné. Un tel mécanisme implique une irréversibilité du phénomène.

D’autres interprétations de l’effet Mullins ont également été données. Ainsi Dannenberg[30] attribue l’effet Mullins à une rupture ou à un glissement à l’interface charge-matrice. Wolff [31]et Mullins parlent également de rupture du réseau de percolation formé par les charges. Saintier[30,32] quant à lui invoque de la cavitation aux pôles des inclusions ou des amas de charges.

Le phénomène d’adoucissement cyclique a également été observé dans les élastomères non chargés[27,28,33].

Les propriétés ultimes

Harwood et Payne[34,35] se sont intéressés aux propriétés ultimes de nombreux polymères et ont mis en évidence une relation en loi de puissance entre l’énergie à la rupture Eb et l’énergie de perte H (l’aire du cycle hypothétique de même amplitude que l’amplitude à la rupture).

(eq. II-33) 3 / 2 H Eb =

La Figure II-11 montre les données obtenues pour toute une série de matériaux. Une telle relation met en évidence la relation existante entre les propriétés ultimes et la capacité du matériau à dissiper de l’énergie. L’énergie à la rupture semble donc être le paramètre pertinent permettant de rendre compte de l’effet des systèmes renfort sur les propriétés ultimes des élastomères. De plus, il permet de tenir compte à la fois de la modification de la contrainte et de la déformation.

Figure II-11 : Energie à la rupture en fonction de l’énergie dissipée pour du caoutchouc naturel, du caoutchouc naturel isomerisé, styrène butadiène, acrylonitrile butadiène, et du butyl et cis1,4 polybutadiène, pur (o) ou avec du noir de carbone (●)[35].