• Aucun résultat trouvé

7.1 Mélange final optimisé

7.1.1 Propriétés générales

Il n’existe pas de norme concernant la résistivité électrique du béton dans un contexte de chauffage par résistance électrique. Cependant, certains chercheurs ont établi un seuil maximal de résistivité pour lequel il est possible d’utiliser le béton électriquement conducteur dans les applications de déneigement et de déglaçage, soit 1000 Ω-cm [6]. Le mélange final optimisé, présenté au chapitre 5, a une résistivité de 285 Ω-cm en conditions saturées à 20°C, ce qui est bien au-dessous de cette limite. Ce mélange se situe en deuxième position par rapport aux mélanges présentés à la section 2.4. Bien que les autres chercheurs n’aient pas mentionné la condition du béton lors des tests, le seul mélange qui est plus conducteur est celui de Xie [30]. Par contre, les auteurs présentent un de leurs mélanges ayant une résistivité de 1.2 Ω-cm, ce qui représente deux ordres de grandeur plus bas que les résultats obtenus dans cette étude. En considérant le mélange élaboré (c.à.d. uniquement des particules carbonacées), il semble que leur méthode de mesure de la résistivité ne donnait pas des résultats représentatifs.

Selon les normes du Ministère des Transports, de la Mobilité Durable et de l’Électrification des Transports (MTMDET) [72], la masse volumique d’un béton ordinaire se situe entre 2150 et 2500 kg/m³. La valeur de 2319 kg/m³ mesurée pour le mélange optimisé se situe à l’intérieur de cet intervalle.

Concernant la porosité, il n’existe pas non plus de norme spécifiant la porosité qu’un béton doit avoir. Bien que cette propriété donne une idée de la résistance d’un béton face aux agents agressifs et de

95

sa résistance mécanique, la porosité ne peut pas être un indice de la qualité d’un béton. Selon des données de l’Association Française de Génie Civil (AFGC) [73], la porosité accessible à l’eau du béton ordinaire se situe entre 14 et 20%. La valeur mesurée, 22.3%, est donc légèrement supérieure aux standards.

La porosité accessible avec la méthode d’intrusion au mercure est inférieure de seulement 6.5% à celle mesurée par la procédure expérimentale ASTM C642, ce qui signifie que les pores sont relativement bien distribués en termes de taille. Cette distribution explique probablement les problèmes de gel-dégel qui seront discutés à la section 7.1.4.

7.1.2 Propriétés mécaniques

Pour la résistance en compression, tel que présenté au chapitre 5, la valeur mesurée à 28 jours de 35.2 MPa est supérieure à la valeur minimale de 35 MPa exigée par le MTMDET pour les ouvrages en béton [72], [74]. La mesure avait seulement été effectuée sur un échantillon, mais des mesures avaient été prises sur des échantillons âgés de 7 et 10 jours, toutes deux supérieures à 30 MPa. Il est fort probable que la résistance aurait dépassé les 35 MPa pour ces échantillons à 28 jours étant donné la progression des réactions d’hydratation du ciment [63].

Pour ce qui est de la résistance à la traction par fendage du mélange optimisé, le MTMDET ne spécifie pas de valeur pour ses ouvrages. Comme mentionné au chapitre 4, la valeur mesurée est dans l’ordre de grandeur des bétons ordinaires autoplaçants [61]. Ces bétons sont normalement caractérisés par une bonne résistance tant à la compression qu’à la résistance à la traction par fendage puisque leur fluidité fait en sorte que le coulage de ce type de béton ne laisse pas de défauts de compaction.

7.1.3 Propriétés thermiques

La conductivité thermique mesurée pour le mélange optimisé est environ 3 fois plus élevée qu’un béton ordinaire [75]. Les mélanges effectués par le professeur Tuan avec des fibres d’acier et des copeaux d’acier avaient une conductivité thermique nettement supérieure, soit 13.5 W/m-°C [22]. Cette valeur plus élevée s’explique par le fait que 21.5% du volume du matériau était de l’acier, qui a une conductivité thermique élevée. Dans le mélange développé dans le cadre de cette recherche, la fraction volumique de matériaux conducteurs était d’environ 8%, ce qui explique sa valeur plus basse. Une conductivité thermique trop élevée peut être nuisible au béton chauffant. En effet, il pourrait perdre plus de chaleur lorsqu’un système contrôlé optimisant la consommation d’énergie comme le prototype

96

effectue des cycles avec un certain temps alimenté et un certain temps non alimenté. La valeur mesurée pour le mélange optimisé est donc un bon compromis pour ce type de système.

La mesure indirecte de la capacité thermique massique avec un montage expérimental développé à l’Université Laval (voir section 6.1.2.2) a permis d’obtenir une valeur d’environ 966 J/kg-K, soit le même ordre de grandeur que d’autres chercheurs pour le béton ordinaire [65]. Une mesure directe n’a pas été possible avec les appareils de l’Université Laval. Ces appareils utilisent des volumes inférieurs à ceux des agrégats, qui n’auraient pas donnés une mesure représentative de l’ensemble du mélange développé.

7.1.4 Durabilité

La moyenne des résultats des essais de gel-dégel pour le mélange optimisé (73%) ne rencontre pas les critères exigés par le MTMDET pour la construction d’ouvrages au Québec, qui est de 80% [72]. Tel que mentionné, il aurait été intéressant d’utiliser plus d’échantillons. Bien que la valeur soit légèrement inférieure, ce problème pourrait être résolu avec l’utilisation d’un agent entraîneur d’air qui n’a pas été utilisé dans le mélange. Cet adjuvant crée un réseau de bulles d’air d’une taille plus homogène, qui permet une meilleure répartition des efforts engendrés par le gel de l’eau lors des périodes de gel. L’utilisation de cet adjuvant n’a pas été considérée dans le cadre de ces travaux pour limiter le nombre des paramètres d’étude. Il est donc recommandé de tester l’utilisation d’un agent entraîneur d’air et de refaire des essais de gel-dégel. Ces mesures pourraient également permettre de voir l’effet de cet adjuvant sur la résistivité électrique du béton électriquement conducteur. Il serait également possible d’utiliser une couche en polyuréthane à la surface pour contrer le problème de rouille des fibres d’acier et empêcher l’eau de pénétrer dans les microfissures du béton. Ceci limiterait les détériorations internes dues au gel-dégel.

La valeur calculée du coefficient de diffusion du chlore à partir des mesures expérimentales (5.0x10-12 m²/s) est inférieure à celle mesurée par d’autres chercheurs sur du béton ordinaire avec un rapport eau/ciment semblable, soit une valeur de 14x10-12 m²/s [76]. Il est possible que les inclusions conductrices aient développé des couches électriques qui fixent le chlore, mais une recherche plus poussée est nécessaire pour valider cette hypothèse. Bien qu’un des objectifs de cette technologie soit d’éviter l’utilisation de sels de déglaçage, la vérification de son influence est nécessaire, car le chlore peut se retrouver sur le béton chauffant à partir de projections par éclaboussures ou par la présence

97

brouillard salin. De plus, une longue panne électrique pourrait nécessiter un épandage manuel, ce qui serait le pire cas rencontré. Il est donc intéressant que ce béton soit égal ou plus résistant que du béton ordinaire face à la migration du chlore. Comme mentionné au paragraphe précédent, l’utilisation de la couche en polyuréthane ferait en sorte que le béton ne serait jamais exposé directement au sel et ne pourrait pas se détériorer par ce mode de dégradation.

Puisque les mesures d’écaillage faites dans le cadre de cette étude n’ont pu être menées à termes, de nouvelles mesures seront effectuées sur de nouveaux échantillons par d’autres chercheurs du groupe de recherche. Les résultats seront alors présentés dans la prochaine étude portant sur ce matériau. La corrosion des fibres en surface avait été rapportée par les chercheurs ayant travaillé sur le pont Roca Spur Bridge au Nebraska [40]. Ils ont effectué des carottages sur la surface du pont après 2 hivers et ont constaté que la corrosion des fibres était limitée à une profondeur de moins de 1.6 mm (1/16 po). Ceci ne représente pas un problème de diminution de la conductivité électrique du béton électriquement conducteur. Encore une fois, l’utilisation d’une couche en polyuréthane empêcherait les fibres de se corroder.

7.1.5 Sommaire

Au final, l’objectif (1) d’élaborer et d’optimiser un mélange de béton électriquement conducteur a été atteint. Plusieurs des mélanges présentés au chapitre 3 présentaient des propriétés suffisamment satisfaisantes pour pouvoir être utilisés dans des applications de déneigement et de déglaçage. Le mélange final optimisé a également été caractérisé et ses propriétés générales, mécaniques et thermiques ainsi que sa durabilité sont connues, donc l’objectif (4) a été atteint lui aussi. Certaines propriétés restent à améliorer comme la durabilité, si aucune couche protectrice n’est appliquée en surface du matériau.

7.2 Essais de dallettes

Cette étape a permis de comprendre l’importance de l’espacement, de la surface de contact des électrodes et des propriétés thermoélectriques du mélange sur la performance électrique de l’élément structural. Parmi les dallettes construites, la dallette #9 a été retenue comme configuration optimale, de par sa consommation électrique relativement basse et un voltage sécuritaire de 30 V. Ce voltage ne nécessite aucune certification CSA, puisque cette tension ne représente pas de dangers pour les humains. La tension à la surface a été mesurée à environ 20 V. Selon l’ASP construction, la résistance

98

électrique d’un humain avec la peau sèche et les pieds chaussés est de 50 000 Ω, correspondant à un courant de 0.4 mA (pour 20 V), ce qui est inférieur au seuil de perception qui est d’environ 0.5 mA [77]. La probabilité qu’un humain ou animal circule à pieds nus mouillés sur le béton électriquement conducteur, lorsque ce dernier est en opération l’hiver, est relativement faible. La consommation électrique inférieure à 1000 W/m² pour le prototype d’environ 1 m² permet d’utiliser un transformateur standard (coût plus faible et non-nécessité d’en faire construire un sur mesure). Des calculs préliminaires de résistivité électrique durant cette phase montrent qu‘avec la configuration d’électrodes présentée, la résistance électrique de la dalle est indépendante de la surface (car elle dépend principalement de l’épaisseur ou la distance en diagonales entre les électrodes). En gardant la même distance entre les électrodes, il est possible de construire des surfaces de dalle ECC aussi grandes que désirées. De plus, avec cette configuration d’électrodes, la dalle ECC est moins sensible aux fissures de retrait. En présence de fissures verticales, le système garde son efficacité puisque le courant circule entre les autres électrodes contenues entre deux fissures verticales adjacentes.

La gamme de consommation électrique des essais de dallettes des autres chercheurs est assez large, allant de 150 W/m² pour les essais de Xie et al. à 4000 W/m² pour les essais de Wu et al. Il est assez difficile de comparer les résultats des chercheurs entre eux puisque les conditions d’essais sont différentes en termes de géométrie et conditions externes. De plus, les conditions limites sont rarement détaillés dans les documents consultés. De manière générale, les dallettes ayant eu des consommations électriques élevées ont présenté des taux de chauffage supérieurs (Figure 4.10(b)). Plusieurs chercheurs ont utilisé une configuration semblable, soit des électrodes en acier de différentes formes disposées longitudinalement dans les coins inférieurs des dallettes. Cette configuration fait que la résistance électrique de la dalle est dépendante de la surface de la dalle. Ainsi dans de plus grandes applications, il faut utiliser une tension plus élevée, représentant ainsi un danger pour les usagers avec un besoin de solutions de protection et des coûts de certification. Parmi les autres chercheurs, une configuration à bas voltage et indépendante de la surface est présentée par Bai et al.[37]. Dans nos essais, la consommation électrique de la dallette #9 a été légèrement plus faible (13%) avec un taux de chauffage plus faible (37%). Notre configuration est alors moins efficace pour le dégagement de chaleur, mais elle est plus simple en ce qui a trait à la mise en place et nécessite moins de matériaux conducteurs (c.à.d., un prix de production plus bas). Pour le système de Bai et al., le fait d’avoir à couler le béton en trois couches différentes en plus de mettre des couches de fibres d’acier inoxydable

99

entre les couches et de garder les électrodes au bon espacement représente une tâche laborieuse et des coûts élevés pour les réaliser à grande échelle.

En somme, l’objectif (2) d’évaluer l’effet de l’arrangement des électrodes sur la consommation électrique et la différence de potentiel à la surface de dallettes d’un pied carré a été atteint.

7.3 Prototype

7.3.1 Résultats

La construction du prototype représente l’aboutissement des travaux d’optimisation réalisés sur les mélanges et les dallettes. Suite aux résultats présentés au chapitre 4, il est possible d’affirmer que le prototype a montré des performances satisfaisantes pour les 3 différents scénarios hivernaux considérés. Un problème a été rencontré au niveau de l’acquisition des données : la communication entre le contrôleur et le logiciel pour compiler les données s’interrompait subitement. La dalle a donc été testée à plusieurs reprises dans le cadre de chutes de neige, cependant des plages de données sont manquantes, rendant les résultats difficilement présentables. Les photographies prises par la caméra de surveillance à proximité a permis de visualiser des performances satisfaisantes du prototype lors de ces interruptions de communication. Pour l’essai du 21 mars 2018, la quantité de neige imposée a été fondue complètement en moins de 7 heures en conditions relativement froides, ce qui est très satisfaisant comparé aux autres systèmes de déglaçage existants. Pour l’essai du 16 avril 2018, la performance a également été satisfaisante puisqu’aucune glace ne s’est formée à la surface de la dalle, ce qui est primordial lorsqu’une chute de pluie verglaçante survient. Un problème a été rencontré lors de l’essai du 4 avril 2018, une formation de glace au périmètre de la dalle a empêché l’eau de s’écouler hors de la surface provoquant une accumulation de glace et de neige au- dessus de la dalle. L’énergie fournie à la dalle pour cet essai n’était pas suffisante pour faire en sorte que l’eau de fonte de neige était évaporée au fur et à mesure que la neige tombait, donc le flux de chaleur dégagé était inférieur au q0 nécessaire présenté à la section 2.3.3. Un problème de ce genre

ne se produirait pas dans le cadre d’une application réelle puisqu’il n’y aurait pas de périmètre isolant autour du béton électriquement conducteur. Cependant, cet évènement doit rendre attentif le concepteur pour bien veiller à l’évacuation des eaux qui peuvent s’accumuler au-dessus du matériau. Dépendamment du besoin pour une application donnée, il est possible de fournir l’énergie différemment de deux façons pour éviter l’accumulation de neige. D’abord, il est possible de jouer avec la configuration des électrodes pour dégager plus d’énergie pour éviter l’accumulation de neige en tout

100

temps. Il est aussi possible d’imposer une température minimale au béton en tout temps dans le matériau en période hivernale, ce qui diminue le temps de chauffage jusqu’à la température de fonte de neige. Ces deux solutions seraient utiles par exemple pour une entrée d’hôpital, où aucune accumulation de neige ne serait acceptable. Les coûts engendrés seraient alors plus importants tant au niveau équipement qu’au niveau énergétique, puisqu’il faudrait poser des équipements permettant de fournir une plus grande puissance et puisqu’il y a une consommation électrique en tout temps. La configuration des électrodes est donc dépendante de l’application voulue et de la vitesse de fonte de neige. Dans le cadre du prototype, nous voulions tester le mélange optimisé et la configuration des électrodes optimisée dans des conditions réelles en demeurant avec des équipements standards pour la transmission de l’énergie au béton. En choisissant de rester dans les standards, l’accumulation d’une petite quantité de neige était donc acceptable avec des conditions hivernales très sévères pendant des tempêtes de neige. Le problème, dû à l’isolation sur le périmètre de la dallette, a permis également de tester le comportement du prototype en présence d’une couche épaisse de glace. L’accumulation de glace sur la surface du béton chauffant pourrait survenir par exemple lors d’une panne de courant pendant une chute de pluie verglaçante. Le prototype s’est avéré efficace dans cette situation en faisant fondre toute la glace accumulée en moins de 4 heures malgré le fait qu’il continuait de neiger. La consommation électrique de 386 W/m² pour les 3 scénarios testés est du même ordre de grandeur que les dalles du Nebraska et de l’Iowa. Comme il a été mentionné au dernier paragraphe, la consommation électrique dépend du besoin d’éviter l’accumulation de neige en tout temps ou non. La consommation électrique dépend également de la conductivité électrique du béton, qui varie en fonction de la température. Il n’est donc pas vraiment judicieux d’utiliser la consommation électrique comme comparatif de performance. Les dalles du Nebraska et de l’Iowa ont eu des performances satisfaisantes à plusieurs reprises en conditions de chute de neige, tout comme le prototype réalisé dans le cadre de cette recherche. Le prototype est donc comparable à ceux réalisés par d’autres chercheurs si l’on regarde le côté performance. Par contre, ces dalles utilisaient des voltages supérieurs à 200 V, ce qui peut représenter un danger potentiel pour les usagers. L’utilisation de 30 V pour chauffer rend le prototype de l’Université Laval plus sécuritaire. Puisque la dalle élaborée par Heymsfield et al. n’a pas eu de performances satisfaisantes, les résultats du prototype testé dans le cadre de cette recherche n’ont pas été comparés à cette dernière.

En résumé, l’objectif (3) de tester le béton électriquement conducteur optimisé et les électrodes optimisées dans un prototype automatisé préfabriqué en conditions hivernales réelles a été atteint. Il

101

est donc possible de pousser aujourd’hui ce système vers des projets pilotes de vraie grandeur pour des besoins sociétaux.

Documents relatifs