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I. B Les carbo-benzènes

2. Propriétés des carbo-benzènes

Malgré leur structure hautement insaturée, les carbo-benzènes sont remarquablement stables. Ils ont tous été obtenus sous forme cristalline et présentent des températures de fusion ou de décomposition élevées. Seul l’hexaalcynyl-carbo-benzène I-17 se présente sous forme d’une huile, pouvant s’expliquer par la flexibilité des six substituants triéthylsilyles, comme il a été mentionné précédemment.

La structure Kékulé des carbo-benzènes est composée d’une alternance d’unités butatriéniques et acétyléniques. Alors que les dialcynylbutatriènes isolés sont généralement sensibles, la stabilité des carbo-benzènes peut être attribuée à leur caractère aromatique. Cette aromaticité a fait l’objet de nombreuses études théoriques, dont un résumé est proposé ci- après.

La définition de l’aromaticité retenue par IUPAC est la suivante : « The concept of spatial and electronic structure of cyclic molecular systems displaying the effects of cyclic electron delocalization which provide for their enhanced thermodynamic stability (relative to acyclic structural analogues) and tendency to retain the structural type in the course of chemical transformations. ».31-32 Puisqu’il est question de stabilisation d’une espèce cyclique par rapport à une « référence acyclique », l’aromaticité apparaît comme un concept énergético-topologique qui ne peut être qu’approximativement évalué à partir d’observables physico-chimiques. Cette « référence acyclique » n’est en effet pas un composé chimique existant, mais une « vue de l’esprit à la limite topologique ».33

Les différents critères permettant d’évaluer l’aromaticité peuvent être séparés en deux catégories, selon le contexte d’observation (molécule isolée : statique ; molécule soumise à un champ magnétique extérieur : dynamique). Les critères énergétiques (enthalpie de réaction) et structuraux (alternance de la longueur de liaisons) se distinguent donc fondamentalement des critères magnétiques (RMN, exaltation de la susceptibilité magnétique) (Tableau 1).

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Contexte Statique Dynamique

Critères Structural Energétique Magnétique

Observables Géométrie Enthalpie de

réaction RMN, susceptibilité magnétique Indices Symétrie, longueurs

de liaisons, …

Règles de Hückel, ASEs, REs, …

(dé)blindage des noyaux, NICS, …

Tableau 1. Classement des critères d’aromaticité selon leur contexte.20

L’aromaticité structurale peut être estimée par la moyenne des longueurs de liaisons et l’écart à cette moyenne.

L’aromaticité énergétique peut être évaluée par l’intermédiaire d’enthalpies de réaction impliquant l’ouverture du cycle considéré. Les énergies de résonance (RE), telles que l’énergie de résonance de Breslow (BRE), sont calculées par la méthode de Hückel, alors que les énergies de stabilisation aromatique (ASE) font appel à des méthodes ab initio.

L’aromaticité magnétique, enfin, est couramment quantifiée par le déblindage RMN de certains noyaux et par le déplacement chimique indépendant du noyau au centre du cycle, tel qu’il a été proposé par Schleyer en 1996 (NICS : « Nucleus Independent Chemical Schift »).34

a) Critères d’aromaticité structurale et énergétique

Dès 1998 Ueda et coll. ont souligné la planéité et l’uniformisation des longueurs de liaisons du macrocycle en C18 de l’hexaphényl-carbo-benzène I-14a dont une structure a été établie par diffraction de rayons X.8 Cette observation a été confirmée par l’analyse des structures du tétraphényl-carbo-benzène I-15 (Figure 2),22 et du dialcynyl-tétraphényl-

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Figure 2 : Structure DFT optimisée et diagramme ORTEP du tétraphényl-carbo-benzène I-15.22 Distances en Å : C(1)-C(2) = 1,229(10) ; C(2)-C(3) = 1,356(11) ; C(3)-C(4) = 1,378(11) ; C(4)-C(5) = 1,231(10) ; C(9)-C(10) = 1,375(10) ; C(10)-C(11) = 1,241(10) ; C(12)-C(13) = 1,396(10) ; C(13)-C(14) = 1,240(10). Angles en degrés :

C(1)-C(2)-C(3) = 178,7(7) ; C(2)-C(3)-C(4) = 122,6(6).

Dans les trois structures expérimentales, les « côtés » C-C-C-C, composés d’une liaison courte centrale Csp-Csp de l’ordre de 1,22 Å et de deux plus grandes Csp2-Csp de l’ordre

de 1,38 Å, peuvent être considérés comme intermédiaires entre une unité acétylénique et butatriénique. Cette observation peut être rapprochée du cas du benzène dont les liaisons C-C sont intermédiaires entre des simples et des doubles liaisons. La longueur de ces « côtés » est de l’ordre de 3,98 Å, valeur proche de trois fois celle du benzène (3 x 1,40 ≈ 4,20 Å). Les angles aux sommets compris entre 116° et 121° et la faible déviation des 18 atomes de carbone du macrocycle par rapport au plan moyen sont compatibles avec une symétrie quasi-

D6h. Notons que les substituants phényles ne sont coplanaires ni entre eux, ni avec le macrocycle carbo-benzénique. Cette déviation est due à la répulsion de Van der Waals entre les protons ortho de deux phényles adjacents.

De nombreuses études théoriques ont été effectuées sur des carbo-benzènes par C. Lepetit. La structure du carbo-benzène C18H6 a ainsi été optimisée au niveau de calcul DFT (B3PW91/6-31G**),35 et la géométrie D6h obtenue confirme l’égalisation des longueurs de liaisons Csp-Csp (1,239 Å) et Csp-Csp2 (1,369) (Figure 3).

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Figure 3. Géométrie optimisée du carbo-benzène C18H6 au niveau B3PW91/6-31G**.35

Le cycle carbo-benzénique est donc décrit par la résonance entre deux structures Kékulé équivalentes.

Diverses énergies de résonance (RE) et de stabilisation aromatique (ASE) du carbo- benzène, calculées au niveau DFT, montrent qu’il est légèrement moins aromatique énergétiquement que le benzène.20 Notons qu’au niveau Hückel, le [18]annulène C18H18 et le

carbo-benzène C18H6 ont la même valeur de BRE (BRE = 0,816).

D’un point de vue topologique, l’aromaticité du système πz du carbo-benzène est en effet identique à celui du [18]annulène, les orbitales πxy étant considérées comme indépendantes. Cette aromaticité topologique est exactement quantifiée par l’énergie de résonance topologique (TRE) définie indépendamment par Aihara et Trinajstic en 1976.36-37 La TRE est définie de façon abstraite via la théorie des graphes chimiques, mais n’a cependant été développée que pour des systèmes à sommets sp2 seulement, formellement constitués d’une alternance de doubles et simples liaisons.

Un couplage entre les systèmes πxy et πz peut cependant être pris en compte. Le système le plus simple envisagé selon ce principe est l’éthyne qui est considéré comme un « cycle à deux côtés ». La pertinence chimique de ce paradoxe est justifiée par l’existence d’un courant de cycle autour de la triple liaison (cf. critère magnétique I.B.2.b). L’application de cette approche montre que la TRE du carbo-benzène (0,08906) est très légèrement supérieure à celle du [18]annulène (0,08765), mais trois fois inférieure à celle du benzène (0.27259).38-39

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b) Critères d’aromaticité magnétique

L’aromaticité (respectivement l’antiaromaticité) magnétique est la manifestation d’un courant de cycle diatropique (respectivement paratropique) induit par un champ magnétique extérieur. Les effets de ce champ sont tout d’abord observés en RMN sur les protons situés à l’extérieur du cône de blindage. Les déplacements chimiques expérimentaux des protons portés par le macrocycle en C18 ou par ses substituants peuvent ainsi servir de « sonde » pour évaluer l’aromaticité magnétique des carbo-benzènes. Les déplacements chimiques RMN 1H des composés I-14a, I-14b, I-14c, I-14d, I-15, I-16, I-19 et I-20 sont regroupés dans le

Tableau 2.8-9

Cycle

proton I-14a I-14b I-14c I-14d I-15 I-16 I-19 I-20

H - - - 9,87 9,70 - - 9,90 o-C6H5 9,49 9,45 ; 9,38 9,52 9,50 9,55 9,44 9,58 m-C6H5 8,01 8,02 ; 8,00 7,94 8,00 8,05 7,91 8,01 p-C6H5 7,74 7,73 7,67 - 7,77 9,23 à 7,42 7,70 7,75

Tableau 2. Déplacements chimiques RMN 1H en ppm des carbo-benzènes I-14a, I-14b, I-14c, I-14d, I-15, I- 16, I-19 et I-20 en solution dans CDCl3.8-9

Dans tous les cas, les protons portés par le macrocycle de I-14d, I-15, I-20 sont fortement déblindés vers 9,8 ppm, soit plus de 4 ppm par rapport aux déplacements observés dans les précurseurs hexaoxy[6]péricyclynes. Les signaux des protons ortho des substituants aryles sont aussi particulièrement déblindés entre 9,23 ppm et 9,58 ppm, soit environ 2 ppm de plus que dans les précurseurs [6]péricyclynes.

L’effet du courant de cycle peut cependant être résumé et corrigé des effets co-latéraux par la valeur de NICS au centre, ou à la verticale du centre (par exemple 1 Å au dessus) du cycle. Cet indice d’aromaticité est approximatif, mais simple et globalement fiable.34

Les valeurs du NICS(0) calculées au niveau B3LYP/6-31+G** pour les carbo- benzènes I-14a, I-15 et C18H6 sont très négatives (respectivement -13,5 ppm, -14,8 ppm et - 17,9 ppm),9 et très inférieures à celle calculée pour le benzène (-8,0 ppm). Selon cet indice, le

carbo-benzène est donc magnétiquement plus aromatique que le benzène !

Le phénomène à l’origine de l’aromaticité magnétique reste cependant le courant de cycle. Celui-ci a été calculé par P. Fowler et coll. pour le carbo-benzène au niveau CTOCD- DZ/6-31G**//B3PW91/6-31G** : un très fort courant de cycle diatropique est observé pour les orbitales moléculaires πz (Figure 4).

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Figure 4. Carte de courant de cycle (contribution des orbitales πz) induit par un champ magnétique

perpendiculaire au plan de la figure, calculée au niveau ipsocentrique CTOCD-DZ/6-31G**//B3PW91/6-31G** pour le C18H6.

L’effet du champ magnétique externe sur les électrons occupant les orbitales moléculaires πxy est de générer des courants de cycles « locaux » autour des unités Csp-Csp,

similaire à celui observé pour l’acétylène. Cette analyse suggère de considérer le carbo- benzène comme un pseudo-heptacycle (le [18]annulène étant un monocycle) (Figure 5).33

(a) (b) (c)

Figure 5. Cartes de courant de cycle induit par un champ magnétique perpendiculaire au plan de la figure, calculées au niveau ipsocentrique CTOCD-DZ/6-31G**//B3PW91/6-31G** pour : (a) : C18H6 (contribution des

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