Les objets pour lesquels on a établi la propriété (ii) sont des colimites de systèmes inductifs de faisceaux représentables (indexés par des ensembles ordonnés admettant une suite cofinale). On va voir que cette structure de système inductif permet d’aller plus loin que la proposition iii.10.
Théorème fondamental pour les systèmes inductifs
Théorème iii.16 Soit S un schéma régulier. Soit X• = (Xi)i∈I un système inductif dans
Sm/S indexé par un ensemble ordonné filtrant I possédant une suite cofinale. On pose X = colim X• (la colimite est calculée dans Sm/SoppEns). On suppose que X satisfait la
propriété (ii). Pour tout objet E de H (S), on peut former un diagramme :
HomH (S)(X, E) γ ** T T T T T T T T T T T T T T T T T α //
HomSm/SoppEns(ϕX, ϕE)
β
HomSm/SoppEns(X, ϕE) ∼ //lim
i∈I (ϕE)(Xi)
Alors, les applications α et γ sont surjectives et l’application β est bijective. Si E est muni d’une structure de H-groupe, alors le noyau de α (et de γ) s’identifie au groupe abélien
R1lim
i∈I HomH•(S)(S
1∧ X
i+, E).
L’application α est induite par le foncteur ϕ: H (S) → Sm/SoppEns. La flèche β est
l’application considérée dans la proposition iii.10, elle est donc injective puisque X satisfait la propriété (ii). La bijection
HomSm/SoppEns(X, ϕE)→ lim∼
i∈I(ϕE)(Xi)
résulte simplement du lemme de Yoneda. On pose γ = β ◦ α. La flèche HomH (S)(X, E) → lim
i∈I (ϕE)(Xi) déduite de γ et de la bijection ci-dessus est
bien l’application évidente. Elle est donc surjective d’après la partie « surjectivité » de la suite exacte de Milnor (cf. théorème ii.10 et commentaires subséquents). Puisque γ est surjective et β injective, il vient que β est bijective. Le calcul du noyau de α (et de γ, c’est pareil) dans le cas où E est supposé être un H-groupe résulte aussi de la suite exacte de Milnor.
Nous allons voir que le théorème iii.16 admet une variante pointée.
Définition iii.17 Soit C une catégorie admettant un objet final. On note C• la catégorie
des objets pointés de C , c’est-à-dire qu’un objet de C est un couple (X, x) où X est un objet de C et x un morphisme x: • → X, • désignant un objet final (fixé) de C , un morphisme
(X, x) → (Y, y) entre deux objets de C• étant un morphisme f : X → Y dans C tel que
f ◦ x = y. On dispose d’un foncteur d’oubli du point-base C• → C qui, pourvu que C
admette des sommes directes finies, admet un adjoint à gauche C → C• qui à un objet X
Section 2 — Propriétés (ii) et (K)
On note ainsi Ens• la catégorie des ensembles pointés. Les préfaisceaux d’ensembles
pointés sur Sm/S forment une catégorie Sm/Sopp(Ens
•), que l’on peut identifier à la
catégorie (Sm/SoppEns)
• des objets pointés dans la catégorie des préfaisceaux d’ensembles
sur Sm/S ; on notera simplement Sm/SoppEns
• cette catégorie.
Théorème iii.18 Soit S un schéma régulier. Soit X• = (Xi)i∈I un système inductif
dans Sm/S• indexé par un ensemble ordonné filtrant I possédant une suite cofinale. On
pose X = colim X• ∈ Sm/SoppEns•. On suppose qu’en tant qu’objet de Sm/SoppEns, X
satisfait la propriété (ii). Pour tout H-groupe E de H•(S), on peut former un diagramme :
HomH•(S)(X, E) γ ** U U U U U U U U U U U U U U U U α
//HomSm/SoppEns
•(ϕX, ϕE)
β
HomSm/SoppEns
•(X, ϕE)
Alors, les applications α et γ sont surjectives, l’application β est bijective et le noyau de α (et de γ) s’identifie au groupe abélien R1lim
i∈I HomH•(S)(S
1∧ X
i+, E).
On déduit ce théorème du théorème iii.16 en utilisant le lemme suivant :
Lemme iii.19 Soit E un objet de H•(S) muni d’une structure de H-groupe. Pour tout
objet X de H•(S), le morphisme évident
HomH•(S)(X, E) →
f ∈ HomH (S)(X, E), f⋆(•) = • ∈ HomH (S)(S, E)
est bijectif. Autrement dit, l’ensemble des « classes d’homotopie pointées » s’identifie à l’ensemble des « classes d’homotopies » pointées1.
On a une suite cofibrée S+ → X+ → X dans la catégorie des faisceaux simpliciaux
pointés sur Sm/SNis. En appliquant la suite exacte longue d’homotopie associée à la suite
fibrée obtenue en appliquant hom•(−, E) à la suite cofibrée précédente (E pouvant être
supposé fibrant), on obtient une suite exacte longue qui va se scinder en suites exactes courtes de groupes, S+ → X+ admettant une rétraction évidente et E étant un H-groupe.
On obtient ainsi la suite exacte courte suivante
1 → HomH•(S)(X, E) → HomH (S)(X, E) → HomH (S)(S, E) → 1
qui permet de conclure.
Objets de présentation finie
En vue d’une application dans le paragraphe suivant, on introduit une variante de la définition de la notion d’espace de présentation finie (cf. [76, page 583]) :
1Ce n’est pas toujours le cas, considérer par exemple les morphismes entre classifiants de groupes discrets
(non commutatifs) dans les catégories homotopiques usuelles Htop et Htop • .
Définition iii.20 Soit S un schéma noethérien. Soit Esp
tf
•,S la plus petite sous-catégorie
strictement pleine de la catégorie des faisceaux simpliciaux pointés sur Sm/SNis telle que
(1) Si X ∈ Sm/S et K est un ensemble simplicial fini, alors (X × K)+∈ Esptf•,S;
(2) Pour tout carré cocartésien
A
//B
C //D
dans la catégorie des faisceaux simpliciaux pointés sur Sm/SNis, si A → B est un
monomorphisme et que A, B et C sont dans Esptf
•,S, alors D aussi.
Il est facile de montrer que Esptf
•,S est une catégorie essentiellement petite, stable par
sommes finies, produits finis et ∧-produit dans la catégorie des faisceaux simpliciaux pointés sur Sm/SNis.
Lemme iii.21 Soit (Eα)α∈A un système inductif indexé par un ensemble ordonné filtrant
A dans la catégorie des faisceaux simpliciaux pointés sur Sm/SNis, on note E sa limite
inductive. Soit X un objet de Esptf
•,S. Alors l’application évidente
colim
α∈A HomH•(S)(X, Eα) → HomH•(S)(X, E)
est bijective.
Il s’agit là d’une conséquence facile du théorème de Brown-Gersten (cf. [57, lemma 1.18, page 101]), la propriété « B.G. » (cf. [ibid., definition 1.13, page 100]) étant stable par formation de colimites filtrantes.
Lemme iii.22 Soit (Xi)i∈I un système inductif dans la catégorie des faisceaux simpliciaux
pointés sur Sm/SNis indexé par un ensemble ordonné filtrant I . On note X la colimite de
ce système. Soit E un objet de H•(S) et deux morphismes f, g : X → E dans H•(S) tels
que pour tout i ∈ I , les morphismes fi, gi ∈ HomH•(S)(Xi, E) soient égaux où fi et gi sont
déduits de f et g par composition avec le morphisme canonique Xi → X. Alors pour tout
morphisme h: U → X dans H•(S) avec U ∈ Esptf•,S, on a f ◦ h = g ◦ h.
C’est évident car d’après le lemme iii.21, pour i suffisamment grand, le morphisme h : U → X se factorise dans H•(S) par la flèche Xi → X.
Remarque iii.23 Sous les hypothèse du lemme et dans le cas où E est un H-groupe, on
peut écrire f = δg avec δ : X → E un morphisme dans H•(S), le morphisme δg : X → E
étant le produit des deux morphismes δ et g pour la structure de H-groupe sur E. Le morphisme δ : X → E a alors la propriété d’induire l’application nulle
HomH•(S)(U, X)
δ◦−
→ HomH•(S)(U, E)
pour tout objet U de Esptf
Section 2 — Propriétés (ii) et (K)
Extension canonique d’une transformation naturelle en degrés supérieurs Théorème iii.24 Soit S un schéma régulier. Soit X• un système inductif dans la catégorie
Sm/S• indexé par un ensemble ordonné filtrant I admettant une suite cofinale. On note X
la limite inductive du système X• calculée dans Sm/SoppEns•. On suppose que X• satisfait
la propriété (ii). Soit E un objet de H•(S) muni d’une structure de H-groupe. Alors, pour
tout objet U de Esptf
•,S, l’application évidente
HomH•(S)(X, E) → HomEns•(HomH•(S)(U, X), HomH•(S)(U, E))
se factorise (de manière unique) par HomH•(S)(X, E) → HomSm/SoppEns•(ϕX, ϕE).
En particulier, pour tout entier naturel n, on a une application canonique :
µn: HomSm/SoppEns•(ϕX, ϕE) → HomSm/SoppEns•(ϕRΩnX, ϕRΩnE)
où RΩn: H
•(S) → H•(S) est le foncteur « n-ième espace de lacets » (adjoint à droite du
foncteur Sn∧ −).
D’après le théorème iii.16, l’application γ : HomH (S)(X, E) → lim
i∈I HomH (S)(Xi, E)
est surjective. En utilisant le lemme iii.19, on voit que sa variante pointée HomH•(S)(X, E) → lim
i∈I HomH•(S)(Xi, E)
est également surjective. D’après le lemme iii.21, on peut en déduire que l’application HomH•(S)(X, E) → HomEns•(HomH•(S)(U, X), HomH•(S)(U, E))
se factorise par HomH•(S)(X, E) → lim
i∈I HomH•(S)(Xi, E) pour tout objet U de Esp tf •,S.
Par ailleurs, la flèche
HomSm/SoppEns(ϕX, ϕE)
β
→ lim
i∈I HomH (S)(Xi, E)
est bijective (encore par le théorème iii.16), sa variante pointée HomSm/SoppEns
•(ϕX, ϕE) → lim
i∈I HomH•(S)(Xi, E)
est également bijective grâce au lemme iii.19, ce qui permet de conclure qu’il existe bien une flèche (évidemment unique)
HomSm/SoppEns
•(ϕX, ϕE) → HomEns•(HomH•(S)(U, X), HomH•(S)(U, E))
vérifiant la condition voulue.
Pour tout entier naturel n, l’application µn: HomSm/SoppEns
•(ϕX, ϕE) → HomSm/SoppEns•(ϕRΩ
nX, ϕRΩnE)
s’obtient à partir de ce qui précède en considérant simultanément tous les objets U de Esptf•,S de la forme Sn∧ Y+ avec Y ∈ Sm/S.