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Prison de Champ-Dollon Population générale

4.7. Que proposer en milieu carcéral pour contenir l’hépatite B ?

Aux Etats-Unis, le CDC préconise, en milieu pénitentiaire, la vaccination systématique des détenus, le dépistage de l’hépatite B chronique et une éducation à la santé ciblant la prévention des hépatites virales (Weinbaum 03). L’étude coût-bénéfice réalisée par Pisu et collaborateurs montre que la vaccination en milieu carcéral permet de dégager un bénéfice pour le système de santé (Pisu 02).

Au vu de la prévalence de l’hépatite B au sein de la population carcérale de Champ-Dollon, des facteurs de risques de transmission inhérents à ce milieu (toxicomanie, promiscuité,

altercations sanglantes, échange de rasoirs et de brosses à dents, tatouages) et de l’opportunité offerte par l’incarcération pour prendre en charge ces personnes, la mise en œuvre de recommandations idoines doit absolument être renforcée, afin de protéger la communauté dans son ensemble.

4.7.1. Vaccination systématique ou stratégie vaccinale différenciée ?

La réalisation d’une sérologie préalable à la vaccination peut présenter plusieurs avantages, qui peuvent se regrouper en 3 volets.

- Le premier s’inscrit dans un souci de coût-efficacité : la vaccination de personnes ayant déjà contracté la maladie est inutile, ainsi que celle des personnes qui ne se souviennent plus d’avoir été correctement vaccinées.

- Le deuxième est lié aux implications découlant du dépistage de l’hépatite B chronique. En cas d’HBsAg positif, un bilan complémentaire peut être proposé afin de définir une éventuelle indication au traitement. Aussi, ces personnes diagnostiquées peuvent bénéficier d’un enseignement thérapeutique afin de limiter le risque d’évolution défavorable de la maladie (par ex : seulement 15% des détenus savent que la consommation d’alcool peut aggraver l’atteinte hépatique en cas de HBV). De plus, des entretiens individuels avec les détenus chez lesquels un diagnostic d’hépatite B chronique est posé peuvent être mis en place afin de prévenir la transmission aux co-détenus ainsi que dans la communauté. En outre, un faux sentiment de sécurité découlerait d’une vaccination de personnes souffrant d’hépatite B chronique, augmentant le risque de transmission du virus à d’autres (Awofeso 02).

- Le troisième avantage est lié à l’adhérence à la vaccination : une personne chez laquelle la susceptibilité à l’hépatite B est prouvée par un examen sérologique pourrait avoir une probabilité plus importante d’adhérer à une proposition de prescription de vaccin que lorsque la vaccination est proposée de manière systématique à chacun.

Néanmoins cette hypothèse reste à prouver au sein de la population carcérale.

Au sein d’une population caractérisée par une prévalence conséquente d’infections résolues, le dépistage de l’anti-HBc permet de limiter les coûts, en évitant de vacciner inutilement les personnes positives. Plus le prix unitaire de la sérologie est bon marché, plus la prévalence cut-off sera basse. Plus la dose unitaire de vaccin est onéreuse, plus le cut-off s’élève. Une formule simple permet de définir la valeur cut-off de la prévalence à partir de laquelle l’indication de la sérologie peut-être retenue : prévalence = (prix sérologie anti-HBc)/ (3 x prix unitaire vaccin HBV). Par exemple, si la sérologie anti-HBc coûte CHF 44.- (prix incluant la taxe administrative) et chaque dose de vaccin coûte CHF 45,15.-, l’indication au dépistage sérologique sera retenue si la prévalence dans la population est supérieure à 32%.

Dans quelles conditions serait-il judicieux de dépister une protection acquise par la vaccination ?

Le même raisonnement peut être fait en considérant la probabilité pré-test d’être protégé suite à une vaccination, en particulier lorsque les patients ne disposent pas de leur carnet de vaccination et l’anamnèse est peu fiable. La formule pour l’estimation de la prévalence cut-off pour cette question sera : prévalence = (prix sérologie AntiHBs) / (3 x prix unitaire vaccin HBV). Si le prix de la sérologie AntiHbs est aussi de CHF 44.- et la dose unitaire du vaccin toujours de CHF 45,15.-, l’indication au dépistage sérologique sera retenue lorsque le taux de couverture vaccinal est supérieur à 32%. Lorsque dans la population le taux de couverture vaccinale est de l’ordre de 14% comme dans notre population d’étude, le dosage systématique des anti-HBs ne sera pas préconisé, mais pourra néanmoins être proposé aux personnes qui pensent avoir été vaccinées, et chez lesquelles la probabilité pré-test dépasse la valeur cut-off.

Si l’anti-HBc est aussi recherché, la demande d’antiHbs se fera uniquement si les anti-HBc sont négatifs afin de limiter encore les coûts (par exemple dans notre population d’étude, 41%

des personnes qui pensaient avoir été vaccinées avaient des anti-HBc positifs). Chez les personnes ayant les anti-HBc négatifs, 70% avaient effectivement des anti-HBs positifs.

Dans quelles conditions serait-il judicieux de dépister l’antigène Hbs ?

Des études de coût-efficacité ont validé les recommandations qui préconisent un dépistage systématique de l’hépatite B chronique (HBsAg positif) lorsque la prévalence dans la population est supérieure à 2% (Hutton 2007, Verdhuijzen 2010, Rossi 2013, Fretz 2013).

Néanmoins, les modèles mathématiques ayant démontré un cut-off de coût-efficacité à 2%

tablent sur un accès au traitement de la grande majorité (58% à 100% selon les modèles de chacun des auteurs) des personnes dépistées HBsAg positives avec indication au traitement

(Hutton 2007, Verdhuijzen 2010, Rossi 2013). Dans les prisons du canton de Genève, la grande majorité des personnes souffrant d’hépatite B chronique active sont des migrants sans statut légal, incarcérés pour une période assez limitée, et qui vont quitter la Suisse à leur sortie de prison, ou du moins avoir des conditions de vie rendant aléatoire un suivi médical régulier.

Lorsqu’un traitement d’hépatite B est prescrit, il l’est généralement pour plusieurs années, même parfois à vie, et l’observance est primordiale, afin de limiter le risque d’apparition de résistances. Dès lors, une mauvaise observance peut générer un problème majeur de santé publique, avec un risque d’apparition et de transmission de virus résistants dans la communauté. Pour ces raisons, nous estimons que les conclusions de ces études ne peuvent pas être appliquées sans réserve au sein des populations carcérales. Actuellement, nous ne disposons pas encore de données suffisamment précises pour réaliser un modèle de Markov permettant de définir le cut-off « coût-efficace » dans notre population carcérale pour le dépistage de l’hépatite B chronique. Le dépistage de l’HBsAg peut néanmoins déjà trouver sa place dans un modèle de demande séquentielle des marqueurs de l’hépatite B. Il peut être recherché uniquement chez les personnes positives pour l’anti-HBc afin de différencier les personnes ayant une hépatite B résolue de celles ayant une hépatite B chronique.

A noter que dans le modèle séquentiel ne proposant pas de dépistage sérologique des anti-HBc dans les populations dont la probabilité pré-test est inférieure à 32%, les personnes ayant une hépatite B chronique ne seront pas diagnostiquées. Néanmoins, cette attitude peut être éthiquement acceptable, la prévalence d’hépatite B chronique étant relativement faible dans ces sous-groupes de population. Dans notre population d’étude, si les personnes originaires de pays d’endémicité modérée et faible ne bénéficiaient pas du dépistage des marqueurs de l’infection, seuls environ 0.7% (IC95% 0.02-4) des personnes échapperaient au diagnostic d’hépatite B chronique.

4.7.2. Modélisation des coûts engendrés par ces 2 stratégies à la population carcérale de Champ-Dollon.

Si une vaccination systématique était proposée sans aucun screening sérologique, le coût par

Tableau 6 : Comparaison des coûts selon un schéma de vaccination systématique versus un algorithme différencié incluant des sérologies.

Prison préventive de Champ-Dollon, Genève, 2009-2011

Vaccination systématique Algorithme différentié selon l’origine et des sérologies Prestations Coût

(CHF)

Proportion de bénéficiaires

Prix moyen par patient

Proportion de bénéficiaires

Prix moyen par patient

Vaccination 3 doses (135.45) 100% 135.45 61.2% 82.90

Vaccination 1 dose (45.15) 0% - 3.7% 1.67

Sérologie anti-HBc (20.-) 0% - 49.8% 9.96

Sérologie antiHbs (15.2) 0% - 9.5% 1.44

Sérologie HBsAg (17.4) 0% - 31.1% 5.51

Frais admininistratif sérologies

(24.-) 0% - 55.3% 13.27

TOTAL 135.45 CHF 114.75 CHF

Diagramme 1 : Flowchart de vaccination-dépistage-prévention de l’hépatite B selon une stratégie différenciée.

Prison préventive de Champ-Dollon, 2009-2011

Parmi les personnes originaires des pays d’endémicité faible ou modérée, une vaccination d’emblée serait proposée, excepté aux personnes qui pensent sans certitude avoir déjà été vaccinées et qui pourraient bénéficier d’un dépistage d’anticorps anti-HBs. Si cette stratégie était appliquée, le coût moyen par personne serait de CHF 115.- (Tableau 6, p.27).

Par rapport à la vaccination systématique de tous les détenus, l’application d’un algorithme incluant des dépistages sérologiques selon une stratégie différenciée permettrait d’obtenir une couverture vaccinale optimale, tout en économisant 15% des frais globaux et permettant de diagnostiquer la grande majorité des personnes souffrant d’hépatite B chronique.

Limitations de la stratégie différenciée comportant des dépistages sérologiques

L’estimation des coûts tient compte du prix des sérologies, y compris des taxes administratives, néanmoins il ne tient pas compte du temps infirmier dévolu aux prises de sang. Il ne prend pas non plus en considération les inconvénients organisationnels additionnels, à savoir que le patient susceptible devrait revenir en consultation une fois de plus pour l’administration de la première dose vaccinale, ce qui impliquerait en prison des conduites supplémentaires au service médical, sous surveillance de gardiens. Cette contrainte pourrait éventuellement être levée avec l’emploi de tests rapides. Nous avons d’ailleurs profité de cette étude pour évaluer des tests rapides de la firme Lumiquick : cette évaluation a montré des résultats encourageants. En effet, nous avons démontré une bonne spécificité de ces tests, ce qui est primordial pour définir les personnes auxquelles une vaccination doit être proposée (Annexe 2, p.35).

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