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La conceptualisation de la limite ne requiert pas d’une définition univoque. A. Green a théorisé ce terme de manière systématique. Nous pourrions estimer que la pensée de D. Anzieu et particulièrement son concept de Moi-Peau, a fortement influencé la pensée de A. Green et de D.N. Stern, qui ont par la suite métabolisé cette théorisation de manière différente. D. Anzieu a énoncé le terme de Moi-Peau, qui représente une limite corporelle. Son approche signale l’importance de la sensorialité pour désigner ensuite, une

130 mise en parallèle de la fonction limite de la peau et du Moi. Comment cette fonction de la limite se trouve impliquée dans les théorisations de A. Green et de D.N. Stern ?

Nous nous réfèrerons d’abord au couple A. Green et D. Stern. En premier lieu, A. Green a élaboré cette notion pour arriver à la formulation du concept en créant le schéma qui donne forme à sa pensée. En s’appuyant sur la clinique des états-limites, il a surtout insisté sur le travail psychique nécessaire pour que toutes les parties de l’appareil psychique se trouvent liées. D.N. Stern de son côté, a creusé plutôt sur le couple mère-nourrisson pour montrer l’importance des origines, et c’est par rapport à ce sujet qu’il a développé l’importance de la sensorialité. C’est comme si, ces deux auteurs, présentés ensemble, couvrent avec leurs théories l’ensemble du processus.

A. Green théorise en termes strictement psychanalytiques, tandis que D.N.

Stern provient de l’Ecole de l’attachement et du côté de la psychologie du développement. Cependant, en travaillant avec des adolescents psychotiques et en étudiant l’élaboration de la limite à travers un atelier de jeux corporels, le point de vue de ces auteurs développe une pensée métapsychologique.

Chez un autre duo, celui de P. Federn-D.W. Winnicott, la liaison est différemment constituée ; cependant, nous pourrions dire qu’une contribution imaginaire de la part de D. Anzieu est toujours présente. P. Federn, comme il est déjà développé, a travaillé sur l’étude du Moi, conçu comme régulateur de l’articulation dedans-dehors étant : « la totalité du sentiment qu’on a de sa propre personne vivante » (Federn, 1979, p.66). Il pointe l’attention sur le corps

131 qui y est impliqué, et sur la surface du corps dont dépendent les échanges premiers et l’activité libidinale. Ainsi, le Moi, constitué du moi-corps et du moi-mental, est une interface entre la réalité psychique et la réalité extérieure, d’où sa proposition suivant laquelle dans la psychose cette fonction régulatrice se perd. Le dialogue imaginaire avec D.W. Winnicott se résume exactement en ce détachement ente l’esprit et le corps, qui conduit à la détérioration de la santé du self : ce que D.W. Winnicott désigne comme clivage entre le vrai et le faux self. Dans une première lecture, leur travail est complètement différent : P.

Federn a mis l’attention sur la psychose, tandis que D.W. Winnicott partant de la clinique et de la première enfance il a pointé l’intérêt sur le domaine de la transitionnalité. Toutefois, ils forment un couple dialectique conçu dans un sens métapsychologique puisque les deux mettent l’accent sur l’importance du sentiment d’habiter le corps.

Ces auteurs, sont tous rencontrés aussi dans l’élaboration des hypothèses étiopathogéniques concernant l’état limite (Estellon V., 2014). Même si ces hypothèses ont été premièrement formulées pour la compréhension de la pathologie dite état limite, nous pourrions aussi les concevoir comme des hypothèses soulignant les causes de défaillances de la fonction de la limite.

Ce sont tous -sauf P. Federn- des auteurs qui ont mis en avant le rôle de l’objet maternel et l’importance de ce rôle. Il nous semble que la notion de good enough mother de D.W. Winnicott traverse toute cette théorisation. Une hypothèse centrale par rapport aux causes de l’état limite soutient qu’il y a une expérience de manque et de solitude liée à une fonction maternelle

132 ordinairement défaillante. Au contraire, quand il y a une rythmicité de l’alternance entre l’absence et la présence, fait qui caractérise aussi le rythme des échanges, le sentiment de sécurité de base peut s’établir. Suite à ces élaborations, des hypothèses ont été émises.

En premier lieu, le domaine des interactions précoces a influencé la conception des états limites. Ainsi, l’investissement maternel primaire et les interrelations précoces marquent le degré de la solidité du sentiment de l’identité. Par ailleurs, le concept du complexe de la mère morte énoncé par A. Green (1980), peut aussi être conçu comme une des hypothèses causales de l’état limite. Ce concept se résume en la transformation subite de l’imago maternelle qui est présent physiquement mais absent psychiquement. Ce désinvestissement traumatique de l’objet primaire laisse des trous psychiques et provoque des effets pathogènes dans la construction tant du narcissisme que des relations objectales, il a également un effet désorganisateur dans la construction des phénomènes transitionnels. En plus, un troisième champ important, est celui basé sur le concept de Moi-Peau, dans lequel l’environnement maternel est omniprésent : la qualité et la rythmicité des contacts influencent la constitution de l’enveloppe interne et cette expérience tactile permet l’articulation entre l’endogène et l’exogène. Quand cela concerne le psychisme, la peau psychique solidement constituée permet de se sentir tenu, porté et nourri, tandis que chez les états limites cette force liante est défaillante. Enfin, les défaillances du système de pare-excitations peuvent aussi représenter un facteur causal. Dans les deux dernières dimensions, on trouve non seulement la dynamique de la

133 pensée de D. Anzieu et de A. Green, mais aussi celle de P. Federn, dans le sens où ce qui est souligné renvoie à la nécessité d’un filtrage fonctionnant comme interface entre l’interne et l’externe pour que les frontières du Moi soient suffisamment solides.

Des auteurs avec des approches différentes, qui ont vécu dans des époques différentes, et malgré tous les conflits qui ont eu lieu entre eux, ils peuvent se réunir autour d’un concept qui offre l’ouverture au dialogue pour la recherche.

134 Synthèse du Chapitre I

Les pistes théoriques de cette recherche sont liées entre elles : le concept de limite, le processus adolescent et la psychose et la relation tonico-émotionnelle entre le nourrisson et la mère qui fonde la notion du jeu. Ces champs ouvrent sur le domaine des références bibliographiques ayant trait à la thématique de la danse et à celle des médiations corporelles. Cette recherche bibliographique nous a permis d’articuler la pensée clinique aux hypothèses de recherche. Les auteurs pionniers sur ces sujets mettent en perspective les outils métapsychologiques nécessaires pour la discussion des résultats de cette recherche sur le concept de limite.

S. Freud a introduit le concept principal de pulsion, en indiquant ainsi le rôle central du corps dans et pour le fonctionnement psychique. P. Federn a parlé du Moi mental et du Moi corporel et malgré la polémique contre ses théorisations, la lecture de son œuvre met l’accent sur les concepts d’interface et de frontière. Cela rejoint le concept de limite, formulé et développé par A.

Green, le travail duquel a suscité une série de travaux ultérieurs. D. Anzieu, de sa part, partant des canaux sensoriels, a formulé la notion de Moi-peau, en rejoignant la pensée de A. Green quant à l’importance de la fonction protectrice de la limite pour l’appareil psychique. D.W. Winnicott, avec sa proposition sur le Jeu et la construction d’un troisième espace, l’espace potentiel, l’aire intermédiaire d’expérience, a ouvert la voie vers l’exploration d’une série de nouveaux dispositifs psychothérapeutiques différents de la cure analytique

135 classique, appliqués non seulement aux enfants mais aussi aux adolescents et aux adultes.

Ces « rencontres » théoriques démontrent comment la constitution de la limite est liée à la notion d’altérité qui tient sa source dans une relation mère-enfant de qualité. Les cliniciens de la première enfance, ponctuent l’essence de cette communication tout en insistant sur les origines sensorielles de la situation corporelle qui marque le processus de subjectivation.

Il en résulte que cette situation corporelle première est très importante concernant l’apparition de la psychopathologie ultérieure au cours de l’adolescence. Précisément, quand l’espace potentiel n’a pas été construit lors d’un moment précoce, les limites psychiques sont fragilisées ne permettant pas l’articulation entre le dedans et le dehors. Les dérivations pathologiques et notamment l’apparition de la psychose désigne l’expulsion du dedans dans le dehors, marquant ainsi le non-fonctionnement de la limite.

Il semble que les trois champs théoriques étudiés sont enrichis par la clinique de la psychose à l’adolescence, ouvrant sur un dispositif psychothérapeutique. Dans un atelier de jeux corporels, le but central est l’élaboration de la limite à travers laquelle est travaillée la restauration de l’espace de jeu.

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