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Les auteurs qui ont étudié la métapsychologie de la limite sont partis de la clinique et ils ont formulé des réflexions à partir des nouvelles conceptualisations du fonctionnement de l’appareil psychique. Avant de mentionner la théorisation de la troisième topique ainsi que ses auteurs principaux, il faut revenir aux concepts de projection, d’hallucinatoire et d’enveloppes psychiques, puisque ces concepts s’inscrivent au carrefour d’une

70 articulation entre le dedans et le dehors. Autrement dit, en parlant d’une troisième topique, il faut mettre l’accent sur l’articulation entre la projection, l’introjection et l’hallucinatoire. Selon G. Lavallée, « (…) les enveloppes sont des appareils psychiques ‘incarnés’, circonscrits à certaines fonctions, qui nous permettent d’articuler contenus, contenants dynamiques et processus de transformation, au lieu de les penser séparément. Il nous faut donc concevoir ces enveloppes dans leur multiplicité et penser leurs articulations dans les échanges entre le dedans et le dehors » (Lavallée, 2006, p.142).

La notion des enveloppes psychiques est un concept énoncé par D. Anzieu, après avoir formulé celui du Moi-Peau. Cette réflexion porte sur la description des fonctions contenantes à partir de la sensorialité et sur l’articulation entre le perçu et le pensé. La notion d’enveloppe est décrite selon différents registres sensoriels : enveloppe tactile du Moi-Peau, enveloppe olfactif, enveloppe sonore.

Les notions de projection et l’activité hallucinatoire sont retrouvées chez G.

Lavallée et précisément dans sa réflexion sur la pathologie des limites. Selon l’auteur, le ça est une source d’excitation et porte un potentiel hallucinatoire inorganisé. Son potentiel de vie et d’autodestruction prend la forme d’un hallucinatoire positif et d’un hallucinatoire négatif ; leur désintoxication est rencontrée dans la psychose et les états limites. Dès lors, l’hallucinatoire doit s’organiser et s’articuler en se mettant au service du moi pour éviter l’hallucination. G. Lavallée fait la distinction entre l’hallucinatoire positif associé à une projection excessive et l’hallucinatoire négatif associé à une

71 projection insuffisante ; ces deux termes sont pensés à la suite des pulsions de vie et de mort : « Une dominante hallucinatoire et négative dans la psyché amène un appauvrissement de la projection et des échanges dedans-dehors. Les limites du moi sont trop étanches, le patient a le sentiment d’être enfermé en lui-même (…). Une dominante hallucinatoire et positive “de vie” amène, par excès de projection, soit un ‘transport’ du moi dans l’objet comme dans l’hystérie, soit la projection dans un espace ‘virtuel’ hors réalité psychique (…).

C’est cet excès d’hallucinatoire positif qui dynamise la pathologie des limites du moi » (ibid., p.148-149).

La proposition d’une troisième topique fait l’objet d’un article de B.

Brusset (2006), où se trouvent, d’une part les contributions des auteurs qui y sont impliqués et de l’autre part, les points centraux de cette proposition.

Soulignons que cette proposition est en continuité avec la théorie freudienne et elle prend comme point d’appui les deux topiques freudiennes.

Selon B. Brusset, « parler de troisième topique c’est d’abord soulever la question de la place à donner dans la métapsychologie aux modèles théoriques venus des pratiques des psychanalystes dans d’autres champs, d’autres cadres et d’autres dispositifs techniques (…). Des modèles théoriques affranchis de la référence aux pulsions, au corps, à la mémoire inconsciente individuelle, tendent à privilégier soit des notions nouvelles qui ont surtout une valeur descriptive, soit des modèles structuraux fondés sur les fantasmes originaires et les phénomènes d’identification projective » (Brusset, 2006, p.1229).

Le fondement d’une troisième topique s’appuie sur la production du

72 transfert dans la situation psychanalytique et la construction de l’espace psychanalytique. Comme le note B. Brusset, « l’avantage de l’expression

‘troisième topique’ est de soulever directement la question de l’articulation avec les conceptions freudiennes, y compris celles qui n’ont été qu’ébauchées.

C’est en raison de cette cohérence que je préfère parler de troisième topique, mais, pour éviter un effet de mise en série discutable, on pourrait dire : nouvelle topique ou topique du clivage et des espaces psychiques. L’organisation dont ce modèle théorique tente de rendre compte est la condition de l’intrapsychique que supposent les théories freudiennes » (ibid., p.1274). La définition de la troisième topique implique qu’elle se trouve en continuité avec la théorie freudienne et ne supposant aucunement une réduction de la première et de la deuxième topique de Freud. Les trois références de la théorie freudienne en vue d’une troisième topique sont les suivantes : la projection, le narcissisme, l’objectalité et le fonctionnement psychique du patient et de l’analyste « (…) et son articulation possible avec l’espace intermédiaire de la transitionnalité winnicottienne : l’utilisation de l’objet, la créativité et la symbolisation dans les liens interpsychiques et intrapsychiques » (ibid., p.1276). « Il s’agit de rendre compte des altérations des limites, dedans-dehors, soi et objet, représentation et perception par une métapsychologie des liens qui intègre les modèles des pulsions et ceux des relations d’objet » (ibid., p.1278).

Il devient alors nécessaire de proposer l’existence d’une troisième topique comme cadre d’une métapsychologie pour l’étude des liens ainsi que pour les niveaux de fonctionnement non névrotiques. Pour conclure, il est important de

73 citer l’approche de A. Green, selon laquelle : « la référence à la topique a fait apparaitre la nécessité de prendre en considération la compatibilité entre les états de séparation et de réunion, la nature des relations entre le Moi et l’objet, les registres du fonctionnement du Moi, ce qui appelle une métapsychologie des limites et plus seulement des espaces » (Green, 2002, p.294). Enfin, la nécessité de désigner une troisième topique est due au besoin de définir davantage le concept de frontière et les notions dedans et dehors. Pourtant, cela reste un défi pour l’étude métapsychologique de la limite puisque, de mon point de vue, ces concepts demeurent, au moins jusqu’à un point, indéfinissables. La raison de cette confusion réside dans le caractère essentiellement subjectif de ses notions. De même, la définition du dedans et du dehors implique une difficulté épistémologique pour le champ de la psychanalyse, si on perdait de vue la référence fondamentale et incontournable qui est celle de l’inconscient : en parlant du psychisme nous nous référons qu’aux processus inconscients ou pas ? Qu’est-ce qu’il est conçu comme monde extérieur ? C’est alors un défi à étudier profondément pour que ce sujet acquiert de plus en plus une valeur heuristique, métapsychologique et clinique.

Au regard de cette recherche nous pouvons nous référer à deux points dans la perspective d’introduction d’une troisième topique. En premier lieu, la définition et la fonction de la limite ouvrent à la création d’un espace qui exige une théorisation supplémentaire, à côté de la première et de la deuxième topique. La clinique avec des patients psychotiques et la perspective d’étudier la notion de la limite au regard d’une troisième topique amènent vers le terme

74 de la double limite. Celle-ci signifie l’inscription du bord pacifiant qui doit être construit pour que ces patients acquièrent la capacité à se lier au monde et à autrui. En deuxième lieu, le dispositif clinique qui est le moyen de cette inscription ne coïncide pas avec la cadre d’une psychothérapie ordinaire. Enfin, nous soutenons que l’élaboration d’un travail corporel dans la clinique du transfert peut représenter la fonction manquante de la limite.