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Sylvy Jaglin a ainsi proposé une typologie des différences entre les réseaux dits « conventionnels », correspondants aux modèles traditionnels tels que conçus à l’aune des

expériences urbaines des pays du Nord, et « alternatifs » relevant d’une rationalité que je

qualifie de non-surcodée (et donc non assimilé à une action directe de mise en forme des

pouvoirs publics) qui correspondent aux situations diversifiées de la fourniture des services

dans les pays du Sud.

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Modèle conventionnel Modèle alternatif Environnement urbain - Planifié et contrôlé - Equipement > peuplement - Incontrôlé et informel - Peuplement > équipement ? Situation économique des ménages

- Taux d’emploi élevé, salariat dominant

- Pouvoir d’achat stable - Auto-emploi dominant dans des activités informelles - Grande vulnérabilité

- Pauvreté massive

Dispositif de fourniture

- Un fournisseur (public ou privé) en monopole régulé

- Un monopole public non universel et des fournisseurs marchands en concurrence, mal ou non interconnectés

Offre - Fiable et continue

- Exclusive, uniforme et normée (économies d’échelle, standardisation, effets de club)

- Tarifs fixes (subventions croisées, péréquations)

- Un branchement, un abonnement, une facture régulière (mensuelle,

bimensuelle)

- Inconstante et discontinue

- Concurrentielle, hétérogène, à la carte - Tarif au prix de revient

- Paiement au détail, crédit, abonnement à la demande etc.

Demandes - Convergentes - Durablement hétérogènes

Capacité de payer - Stable voire croissante dans le temps long

- Régulière dans le temps court (salariat dominant)

- Variable et réversible à toutes les échelles de temps (pauvreté, précarité, vulnérabilité)

Consommation domestique

- Constante et prévisible (conforme à un schéma d’évolution familiale et résidentielle « standardisé ») - Un fournisseur unique

- Pertes commerciales maîtrisées

- Variable (fonction du revenu, de configurations familiales et résidentielles labiles).

- Fournisseurs multiples combinés entre eux en fonction de critères d’usage, de prix, d’accessibilité

- Pertes commerciales importantes (branchements illégaux)

Consommation industrielle

- Massive et croissante - Très inégales voire inexistantes (poids important des petites et moyennes entreprises et microentreprises, connexions illégales)

Tab. 3 : Comparaison des modèles conventionnel et alternatif de la fourniture des services urbains (tiré de Jaglin, 2012)

Sans rentrer dans une analyse poussée de ce tableau (Tab. 3), il paraît toutefois intéressant

de se pencher sur les grandes oppositions qui le structurent. Je retiens ici principalement

qu’elles se fondent sur un double constat : la forte hétérogénéité des milieux urbains sur lesquels

se déploient le modèle « alternatif » (inégalités socio-économiques des ménages desservis, de

niveaux de demandes…) entraîne une forte hétérogénéité des modalités de services (la

dimension formelle / informelle centrale ici). Je relis cette distinction au regard de la proposition

centrée sur une ingénierie mésologique : les fondements de l’ingénierie mésologique ancrés

dans la modernité tendent à réifier les milieux afin d’en rendre le gouvernement plus simple et

efficient pour un pouvoir centralisé. Les milieux urbains ne présentant pas ces caractéristiques

liées au surcodage du milieu par l’ingénierie se voient ainsi moins « contraints », ou présentent

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des champs de possibles plus étendus, ce qui permet le déploiement de formes d’arraisonnement

alternatives ou composites. Cette lecture composite permet à mon sens de ne pas sacraliser une

différence entre ces deux modèles et de tenter une reformulation permettant d’englober dans un

même geste leur analyse. En considérant le modèle conventionnel comme une forme parmi

d’autres de pratiques d’arraisonnement, la comparaison entre divers régimes de régulation des

flux devient possible sans pour autant les placer dans un rapport hiérarchique qui verrait

certaines formations historiques favorisées au regard de leur capacité d’universalisation par

exemple. Cette reformulation est rendue possible par le truchement de l’analyse centrée sur les

services au profit d’une approche métabolique des flux de matières

20

.

L’entrée par l’infrastructure, et la reformulation que j’en propose ci-dessous, cherchent à

réconcilier ces deux modèles en les présentant comme différentes formes d’arraisonnement des

milieux qui se sont historiquement construites dans des contextes variés, d’où la diversité des

formes observables aujourd’hui. Il s’agit ainsi de s’extraire des débats portant sur les

défaillances des modèles d’ingénierie mésologique pour proposer une approche par les flux

cherchant à rendre compte de différents réseaux socio-techniques permettant d’arraisonner les

milieux urbains. Autrement dit, il s’agit de considérer les éléments sociaux et matériels qui,

dans le milieu, permettent la circulation des matières : « cette ville matérielle se pense à la fois

comme l’ossature qui organise l’espace des circulations et des possibles et comme support de

la construction de nombreuses institutions » (Lorrain, 2011). Pour ces raisons, s’intéresser aux

infrastructures qui sous-tendent ces flux est important car elles en sont la traduction spatiale et

matérielle, et leur analyse permet ainsi de saisir les différents enjeux qui les permettent au-delà

de la notion de réseau aujourd’hui remise en question (Coutard et Rutherford,

2015) : « infrastructure is more effective at capturing flows, movements, congestions and

internments of people and things than a term like network or capital » (McFarlane et Silver,

2017, p. 6). Il s’agit ainsi de proposer une lecture universalisante des infrastructures qui

permette de saisir les spécificités des villes du Sud et du Nord dans un même mouvement. Cette

démarche, qui est au cœur de cette étude, renvoie aux travaux de Sylvy Jaglin qui mentionne

par ailleurs l’ancrage de ce renouvellement de l’approche du réseau dans la confrontation du

modèle d’ingénierie mésologique aux réalités des formes d’urbanisation du Sud : « this

socio-technical diversity is organically linked with the heterogeneity of southern urban

societies, that is both the intrinsic diversity of urban socio-spaces under today’s conditions of

economic globalization, and the qualitative variations in the processes of urbanization

resulting from local agency and contingency » (Jaglin, 2014, p. 435).

20 Cette approche n’est toutefois pas sans poser un certain nombre de questions, car le recentrement de l’analyse sur les infrastructures en tant que réseaux techniques risque de passer sous silence les rapports de force et les interrogations relatives aux enjeux de justice spatiale et environnementale ainsi que l’inscription démocratique de ces réseaux (Verdeil, 2012).

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Avant de proposer une démarche méthodologique adaptée à la comparaison de formes