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L’informalité est dans ce sens toujours l’expression de la tension entre le milieu urbain et les efforts de surcodage permanents qui s’appliquent sur lui, « a largely exploitative and brutal

process that debases individuals » (Edensor et Jayne, 2012, p. 23). Cette violence inhérente à

la formalisation des milieux est, pour Edgar Pieterse, d’autant plus visible dans les villes du

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Sud (il prend l’exemple des villes africaines) que les inégalités y sont plus importantes : « the

inescapable conclusion is that "the everyday" […] is profoundly sutured by structural and

symbolic violence. This suggests to me that the focus on cityness, on the inventiveness of

survivalist practices and the worldliness of African cities, is first and foremost a story about

terror, a narrative about multiple forms and patterns of abuse, a rebus of pain » (Pieterse, 2010,

p. 213). De ce rapport émergent des formes d’arraisonnement légitimées ou non par l’ingénierie

mésologique dont l’analyse permet de « reflect dominant forms of state, corporate, legal,

residential, and activist power, and debates about the sorts of urbanism that should be valued,

promoted, avoided, or removed » (McFarlane, 2012, p. 103).

Toutefois cette lecture reste problématique car elle ne résout pas le problème de définition

de la catégorie « informelle ». Bruno Lautier soulève cette question en pointant la limite du

qualificatif d’informel et des réalités diverses qu’il reflète : « la question [est] de savoir si,

méthodologiquement et empiriquement, on peut soutenir que les phénomènes sociaux qu’on

peut identifier comme « alternatifs » […] forment une alternative » (Lautier, 2003, p. 199).

Ananya Roy tente d’apporter une réponse à cette question en proposant une définition

processuelle des deux termes : « if formality operates through the fixing of value, including the

mapping of spatial value, then informality operates through the constant negotiability of value

» (Roy et AlSayyad, 2004, p. 5). On retrouve ici l’idée de la stabilisation du milieu par le codage

de l’ingénierie mésologique (« fixing of value ») relevée dans les travaux d’Hernando de Soto

qu’elle oppose au caractère fluctuant du décodage (« constant negociability »). Les travaux de

Roy ne s’arrêtent toutefois pas à cette remarque, et leur apport central réside dans l’idée que cet

état de « permanente négociabilité » relève d’une technologie de pouvoir qu’elle traite, par

exemple, à l’aune du « droit à exclure » (Blomley, 2004). Il s’agit pour le dire autrement de

limiter le codage du milieu à sa plus simple expression afin de permettre aux pouvoirs publics

d’opérer par surcodage une sélection dans les pratiques non-gouvernementales pour en tirer un

bénéfice. La part non-arraisonnée du milieu n’est ici pas pensée comme une anomalie mais

comme normale, et reflète une stratégie d’établissement de formes de proto-ingénierie

mésologique par des pouvoirs ne disposant pas des moyens (politiques et financiers) nécessaires

à l’établissement d’un codage performant qui se recentrent sur des stratégies moins coûteuses.

Cette stratégie, dont l’exemple de la structuration de la gestion des déchets au Caire offre un

exemple criant (voir chapitre 6) ne repose donc pas sur une limitation trop importante des

champs de possibles a priori mais bien sur une régulation a posteriori. Cette approche

gouvernementale du milieu joue ainsi un rôle stabilisateur assez faible au regard des pratiques

d’arraisonnement observables au Nord mais autorise une grande souplesse de la relation des

pouvoirs publics aux milieux. Cette stratégie gouvernementale implique donc, dans une certaine

mesure, des potentialités étendues pour des pratiques d’arraisonnement alternatives que

l’absence de codage strict du milieu autorise à se développer.

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III.B.2 L’informalité comme actualisation des champs de possibles

La reformulation du principe d’arraisonnement formulé par le recours à l’informalité ouvre

donc, en partie, les potentialités d’arraisonnement à des pratiques non-gouvernementales. En

cela l’informalité ne représente pas tant l’expression d’un rejet, d’une altérité à une ingénierie

mésologique qui ne présente pas de cohérence ou d’unité que ce que Michel de Certeau nomme

« une actualisation du champ des possibles ». Il s’agit, à travers l’exemple d’un marcheur, de

constater que « s’il est vrai qu’un ordre spatial organise un ensemble de possibilités (par

exemple, par un mur qui empêche d’avancer), le marcheur actualise certaines d’entre elles.

Par-là, il les fait être autant que paraître. Mais aussi, il les déplace et il en invente d’autres

puisque les traverses, dérives ou improvisations de la marche, privilégient, muent ou délaissent

des éléments spatiaux. […] Et si, d’un côté, il ne rend effectives que quelques-unes des

possibilités fixées par l’ordre bâti […], de l’autre il accroît le nombre des possibles » (De

Certeau, 1990, p. 149). Un codage du milieu « lâche » permet ainsi de favoriser les

débordements qui sont donc tant des transgressions du codage que des moyens d’étendre les

possibilités d’action ou d’expression alternatives aux canaux façonnés par l’ingénierie

mésologique. Si cette approche relève dans l’acception qu’en fait Roy d’une approche

gouvernementale « a posteriori » du milieu, les pouvoirs publics étendant ainsi leur capacité

d’action à travers la légitimation de pratiques non-gouvernementales, elle ouvre également la

possibilité de constitution de pratiques d’arraisonnement alternatives qui nécessitent d’être

incorporées à l’analyse de l’arraisonnement des milieux. Pour ce faire, il s’agit d’accorder une

importance égale aux pratiques d’arraisonnement des milieux minoritaires se déployant en

dehors du codage de l’ingénierie mésologique qu’à cette dernière. Par minoritaire, il ne s’agit

pas ici de faire référence à un aspect quantitatif qui peut aujourd’hui être remis en cause au

regard de la production contemporaine des espaces urbains à l’échelle mondiale qui se déroule

dans les pays dits du Sud selon des formes non-conformes aux modèles occidentaux, mais plutôt

dans le sens que lui donne Gilles Deleuze, à savoir « les minorités et les majorités ne se

distinguent pas par le nombre. Une minorité peut être plus nombreuse qu’une majorité. Ce qui

définit la majorité, c’est un modèle auquel il faut être conforme » (Deleuze, 1990, p. 235). Dans

le contexte de puissances publiques au Sud ne déployant qu’à la marge un codage par

l’ingénierie mésologique, et ce par manque de moyen ou par visée stratégique, l’hybridation

des stratégies forme la norme, permettant la mise en place d’une « specific infrastructure of

capitalist penetration [that] permits a highly targeted and truncated articulation » (Simone,

2006, p. 358). L’hybridation des différentes stratégies d’arraisonnement fait ainsi office de

codage négocié et partagé du milieu et délimite un champ de possible étendu qui permet de

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suppléer des « various administrative machines [who] lack the resources, legitimacy or interest