• Aucun résultat trouvé

PROLONGATION DE LA PRISE EN CHARGE APRES 18 ANS

Dans le document Dans l'intérêt supérieur de qui ? (Page 129-132)

supérieur de l’enfant ?

PROLONGATION DE LA PRISE EN CHARGE APRES 18 ANS

« La protection de l'enfance a pour but de prévenir les difficultés auxquelles les parents peuvent être confrontés dans l'exercice de leurs responsabilités éducatives, d'accompagner les familles et d'assurer, le cas échéant, selon des modalités adaptées à leurs besoins, une prise en charge partielle ou totale des

mineurs. Elle comporte à cet effet un ensemble d'interventions en faveur de ceux-ci et de leurs parents. Ces interventions peuvent également être destinées à

des majeurs de moins de vingt et un ans connaissant des difficultés susceptibles de compromettre gravement leur équilibre »

Article L112-3 du Code de l’Action Sociale et des Familles

« Peuvent être également pris en charge à titre temporaire par le service chargé de l'Aide sociale à l'enfance les mineurs émancipés et les majeurs âgés de moins

de vingt et un ans qui éprouvent des difficultés d'insertion sociale faute de ressources ou d'un soutien familial suffisant »

Article L222-5 du Code de l’Action Sociale et des Familles

« [Le service d'aide sociale à l'enfance est chargé] d'apporter un soutien matériel, éducatif et psychologique [...] aux majeurs de moins de vingt et un ans

confrontés à des difficultés familiales, sociales et éducatives susceptibles de compromettre gravement leur équilibre »

Article L221-1 al. 1° du Code de l’Action Sociale et des Familles

« Le président du Conseil général n'est pas tenu d'accorder ou de maintenir le bénéfice de la prise en charge par le service chargé de l'Aide sociale à l'enfance,

mais dispose d'un pouvoir d'appréciation »

Pourtant, c’est sur le caractère facultatif de l’aide provisoire - sous-entendu par l’utilisation du verbe ‘pouvoir’ - qu’il faut porter une attention accrue306. Les APJM ne sont ainsi octroyées qu’à

la discrétion du président du Conseil Général compétent qui évalue unilatéralement le besoin de protection du jeune qui en fait la demande307. Cette condition institue d’abord des disparités

territoriales notables dans l’investissement accordé aux jeunes majeurs. À titre d’exemple, le département de l’Essonne investissait 600 000 euros (soit 0,47% du budget de l’ASE) à l’égard des jeunes majeurs en 2008 alors que les Landes y consacraient 250 000 euros (0,74% du budget de l’ASE)308. Le département du Pas de Calais projetait quant à lui d’investir 2,2 millions

d’euros dans les allocations destinées aux jeunes majeurs en 2007309.

Les présidents des Conseils départementaux utilisent donc leur pouvoir discrétionnaire et intègrent des critères généraux d’octroi des APJM dans leurs règlements départementaux respectifs. Selon les professionnels rencontrés assistant les jeunes dans leurs demandes de prolongation de prise en charge, les refus sont principalement justifiés soit par les insuffisances du parcours de protection préalable (alors même qu’aucune mention dans la loi n’est faite à la nécessité d’une prise en charge préalable), soit par les imperfections de la formation professionnelle des jeunes au motif qu’elles ne conduisent pas à une « autonomisation rapide »310. Les jeunes pris en charge tardivement et/ou dont la prise en

charge a été lacunaire, alors même qu’ils auraient besoin d’une protection renforcée, se trouvent donc en grande difficulté pour répondre à ces conditions.

S’agissant de la régularité du séjour des jeunes majeurs demandeurs de protection, notons que celle-ci ne devrait pas conditionner la mise en œuvre d’une mesure de protection conformément à l’article L111-2 du CASF. Pourtant, pour certains Présidents de Conseils départementaux, l’absence de régularisation « hypothèque la construction d’un réel projet d’insertion et de ce fait l’octroi d’un contrat jeune majeur »311.

Les jeunes rencontrés dans le cadre de notre enquête de terrain étaient pour la plupart conscients du caractère facultatif de la prolongation de leur prise en charge à leur majorité. Beaucoup relevaient des critères non prévus par la Loi mais pratiqués par l’administration, tels les conditions de suivi et le sérieux de leur formation mais surtout leur bonne tenue et leur bon comportement durant leur prise en charge en tant que mineurs.

« Ils ont dit jusqu’à 21 ans m’ont dit maintenant c’est un peu difficile. Si ton comportement ça se passe bien, le Juge peut te prendre jusqu’à 21 ans, si tu es sérieux, si tu fais bien l’école, il peut t’aider jusqu’à 21 ans »

Balla, 16 ans Ce témoignage montre que les jeunes protégés ont souvent assimilé et intégré les logiques de l’assistance qui consistent à exiger des rétributions en retour des prestations sociales, selon le paradigme du ‘contrat’. L’utilisation par les institutions, les travailleurs sociaux ainsi que par les jeunes rencontrés du terme ‘contrat jeune majeur’, qui ne relève d’aucun fondement légal, révèle également cette logique. La ‘contractualisation’ et ‘l’individualisation’ constituent deux paradigmes qui ont émergé depuis la loi de 2002312 dans le champ des politiques sociales313.

306 Article L112-3 du CASF : « Ces interventions peuvent également être destinées à des majeurs de moins de vingt et un ans connaissant des difficultés susceptibles de compromettre gravement leur équilibre ».

307 Sur ce point voir la décision du Conseil d’État du 26 février 1996 n° 155639. 308 Hors salaire des assistantes familiales.

309 Chiffres issus de l’article suivant : DIHL Marjolaine (2007), Quel avenir pour le contrat jeune majeur ?, in Lien

social n° 853, septembre 2007, pp. 8-14.

310 Voir Arrêt n° 1222113/6-1 du Tribunal administratif de Paris du 27 septembre 2013.

311 INSPECTION GENERALE DES AFFAIRES SOCIALES- IGAS, INSPECTION GENERALE DES SERVICES JUDICIAIRES-

IGSJ, INSPECTION GENERALE DE L’ADMINISTRATION- IGA (2014), op.cit., page 27.

312 Loi n°2002-2 du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale.

Ces logiques permettraient de mieux prendre en compte la situation individuelle, les besoins et les aspirations de chaque allocataire, mais - comme le souligne Robert Castel - le placent également dans une situation de forte dépendance à l’égard de l’administration: « la logique contractuelle dont le paradigme est l’échange marchand, sous-estime gravement la disparité des situations entre contractants. Elle place le bénéficiaire d’une prestation en situation de demandeur, faisant comme s’il disposait du pouvoir de négociation nécessaire pour nouer une relation de réciprocité avec l’instance qui dispense les protections »314. De plus,

l’individualisation des aides pour les jeunes majeurs entraine la mise en œuvre de plus en plus fréquente de ‘contrats jeunes majeurs’ à durée déterminée qui peuvent s’étendre sur quelques mois uniquement (le temps de terminer une formation en cours par exemple).

c. Devenir ‘sans-papiers’ le jour de son dix-huitième anniversaire

Les dispositions contenues dans l’encadré 18 ci-dessous énumèrent les conditions d’octroi des titres de séjours dont les jeunes majeurs isolés étrangers doivent se prévaloir lorsqu’ils ont atteint leur majorité. Il nous faut à présent analyser brièvement ces critères et la manière dont leur interprétation peut compromettre l’avenir de nombreux jeunes majeurs anciens mineurs isolés étrangers vivant en France.

Il existe une triple distinction légale entre les mineurs ayant été pris en charge par l’ASE avant l’âge de 15 ans (pour l’obtention de la nationalité), ceux pris en charge avant l’âge de 16 ans (pour l’obtention d’un titre de séjour vie privée et familiale), et ceux qui ont été pris en charge entre 16 et 18 ans. S’agissant de l’obtention de la nationalité, soulignons que celle-ci ne concerne qu’une faible proportion de mineurs isolés en ce que les jeunes pris en charge avant l’âge de 15 ans ne représentent qu’une faible proportion de ceux accueillis à l’Aide sociale à l’enfance315.

Parce qu’il est délivré et renouvelable de plein droit et qu’il permet aux jeunes isolés étrangers d’exercer l’activité de leur choix, le titre de séjour ‘vie privée et familiale’ obtenu sur le fondement de l’article L313-11-2 bis du CESEDA paraît être le document plus protecteur et sécurisant. 569 anciens MIE avaient obtenu ce titre de séjour en 2012 et 681 en 2013316.

Malgré sa délivrance de plein droit, les critères énoncés dans l’article introduisent des formes de discrétion laissées au Préfet. D’abord, aucune mention dans l’article n’est faite des mineurs pris en charge par la Protection Judiciaire de la Jeunesse, ni de ceux confiés à un tiers digne de confiance. L’article se limite à mentionner les jeunes pris en charge par l’ASE.

L’appréciation du caractère réel et sérieux des études exigé par la norme est elle aussi laissée à la discrétion du Préfet. Ainsi, en plus de la possible prise en compte de tous types de formations (cursus général ou professionnel, apprentissage ou remise à niveau du français), la Préfecture peut examiner l’assiduité d’un jeune, son inscription aux examens, voire la progression de ses études.

Le critère lié à la nature des liens avec la famille restée dans le pays d’origine317 semble

particulièrement brumeux. Les sources mobilisables en vue de l’apprécier sont très limitées et il pourrait aller à l’encontre des missions des services de l’ASE auxquels le jeune a pourtant été

314 CASTEL Robert (2003), L’insécurité sociale, qu’est-ce qu’être protégé ?, Seuil- La république des idées, 96 p., voir p.

78.

315 Concrètement, 12,5% des situations de jeunes évalués mineurs isolés étrangers et isolés du 1er juin 2013 au 31

mai 2014. Voir DPJJ (2014), op.cit.

316 INSPECTION GENERALE DES AFFAIRES SOCIALES- IGAS, INSPECTION GENERALE DES SERVICES JUDICIAIRES-

IGSJ, INSPECTION GENERALE DE L’ADMINISTRATION- IGA (2014), op.cit., p. 79.

confié au préalable318. Selon tous les départements consultés dans l’étude conjointe de l’IGAS,

l’IGSJ et l’IGA, l’un des principaux motifs de refus des Préfectures résidait dans la conservation des liens avec la famille dans le pays d’origine et l’incapacité pour le jeune de démontrer son impossibilité de « faire sa vie » dans ce pays319.

Enfin, l’avis de la structure d’accueil sur l’insertion dans la société française, bien que souvent favorable, relève aussi d’une logique subjective. On peut supposer que, par la faiblesse de fondements objectifs des conditions requises pour l’obtention de ce titre de séjour, l’Etat

318 L221-1 al. 4 du CASF : L’ASE doit « pourvoir à l’ensemble des besoins des mineurs confiés au service et veiller à leur orientation, en collaboration avec leur famille ou leur représentant légal ».

319 INSPECTION GENERALE DES AFFAIRES SOCIALES- IGAS, INSPECTION GENERALE DES SERVICES JUDICIAIRES-

IGSJ, INSPECTION GENERALE DE L’ADMINISTRATION- IGA (2014), op.cit., p. 81.

Encadré 18

Dans le document Dans l'intérêt supérieur de qui ? (Page 129-132)