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Le projet des souks, « catalyseur de la reconstruction »

Partie 1 : La reconstruction d'un espace commercial de centre-ville, les Souks de Beyrouth

1.3 Les Souks de Beyrouth, élément principal du projet de reconstruction du centre-ville

1.3.2 Le projet des souks, « catalyseur de la reconstruction »

Dès les premiers projets de reconstruction du centre-ville, la reconstruction des souks fait l'objet d'une attention particulière. Cette position fait consensus chez les acteurs de la reconstruction : Solidere, CDR, Etat et municipalité de Beyrouth. Il est admis que cet espace doit bénéficier de son schéma directeur particulier. Le territoire des Souks de Beyrouth correspond au secteur E dans le zonage du schéma directeur de reconstruction du centre-ville. Contrairement aux autres secteurs, la définition des droits et des usages n'est pas très précise. Le zonage indique seulement que les activités autorisées sont les « activités commerçantes, de bureaux, résidentielles et culturelles53 ». La réalisation d'un schéma directeur spécifique aux souks, dans le respect du schéma directeur général, permet de préciser le projet de reconstruction des souks. C'est aussi reconnaître la nécessité d'un temps de concertation et de conception pour le projet de reconstruction des souks, auquel le schéma directeur général ne peut satisfaire. Comme le schéma directeur général, celui des souks doit être approuvé en conseil des ministres. En préalable à la rédaction de ce schéma directeur, un concours à idées international d'architecture est lancé pour la reconstruction des souks de Beyrouth, en 1994.

Ce régime spécifique met en évidence l'importance donnée aux souks dans le projet de reconstruction du centre-ville. Il montre aussi comment leur reconstruction doit servir la reconstruction du centre-ville.

Le projet de reconstruction des souks fait même figure de modèle pour les autres opérations d'aménagement du centre-ville. Tout d'abord, ce sont les critères formels qui sont appelés à devenir les standards des opérations de reconstruction. « De par la qualité de la conception, de la 52 SOLIDERE, 1994, La reconstruction du centre-ville de Beyrouth, brochure d'information

technologie et de l'exécution, ils [les souks reconstruits] donneront le ton à tout le centre-ville »54 résume un rapport annuel de Solidere de 1995. Mais, la reconstruction des souks est également érigée en modèle dans le sens où elle synthétise les objectifs de la reconstruction.

Ainsi, ils doivent permettre de restaurer l'identité d'un centre-ville défiguré. Les souks, même détruits, demeurent un lieu symbolique du centre-ville. Connue de tous les libanais, cette centralité commerciale a marqué les mémoires collectives. Aussi, reconstruire, « dans l'esprit des souks » permet d'instaurer un point de repère dans une ville transformée par trente années de conflit. C'est pourquoi il est demandé aux lauréats du concours d'idées pour la reconstruction de reprendre la notion de « souk », laquelle définit non seulement un espace commercial, mais aussi « une image, une mémoire, un certain art de vivre et de faire du commerce »55.

Si les souks d'avant-guerre nourrissent les représentations collectives du centre-ville, c'est en raison de leur importance économique et marchande mais aussi de leur rôle social. C'était, dans le centre- ville, l'endroit par excellence, de coexistence inter-communautaire. La reconstruction des souks doit donc proposer un « environnement social qui engendre la tolérance et permette la diversité et les échanges »56 et constituer ainsi un lieu de rencontres possible au sein d'une société fragmentée. Ainsi, ce projet de reconstruction sert aussi des enjeux politiques.

Enfin, la reconstruction des souks concourt à la restauration de la centralité du centre-ville. La reconstruction des souks doit jouer le rôle « d'aimant urbain »57 dans la reconstruction du centre- ville. La reconstruction du centre-ville, n'est, d'ailleurs, pas seulement physique : elle passe par un renversement de l'organisation urbaine établie pendant la guerre où la fonction de centralité du centre-ville s'était érodée au profit de nouvelles centralités établies en périphérie. L'espace commercial des souks reconstruit doit jouer un rôle de catalyseur dans le développement du petit commerce et des boutiques spécialisées. Il doit attirer une clientèle qui n'a plus l'habitude de fréquenter le centre-ville. Ainsi, le projet de reconstruction des souks doit avoir un effet d'entraînement pour l'ensemble du projet de reconstruction. Il doit générer des flux qui vont bénéficier à l'ensemble du centre-ville et permettre le succès des projets de reconstruction futurs. L'expression « aimant urbain » témoigne aussi d'une ambition pour le projet des souks de Beyrouth qui dépasse celui d'une reconstruction d'un espace économique, à vocation marchande. En fait, la fonction économique du projet de reconstruction des souks ne semble pensée que dans son rapport à

54 SOLIDERE, 1995, Annual Report

55 SOLIDERE, 1994, Concours d'idées international pour la reconstruction des Souks de Beyrouth, conditions générales et dossier de préparation

56 idem

la reconstruction du centre-ville. Elle apparaît comme une fonction urbaine indispensable à la restauration de la centralité. Le projet de reconstruction des souks doit être « économiquement réaliste et compatible avec des activités commerciales modernes »58 explique le cahier des charges du concours architectural de 1994. Ceci semble être la seule attente, en termes de rentabilité économique, du projet. Habib Ghaziri, responsable du projet des Souks de Beyrouth chez Solidere, confirme cet état d'esprit : « Au départ, Solidere n'attendait pas de bénéfices avec l'exploitation commerciale des souks reconstruits »59. Ceux-ci devaient être réalisés avec les plus-values immobilières attendues par les retombées de l'attrait des Souks de Beyrouth sur les immeubles alentours.

Irréalistes ou non, ces objectifs se retrouvent dans la programmation des nouveaux souks de Beyrouth, ainsi que dans le premier schéma directeur des souks de Beyrouth, élaboré en 1995. Il s'agit d'un programme mixte qui doit accueillir des commerces, des bureaux et des logements. Les espaces non-bâtis des souks sont conçus pour jouer le rôle des espaces publics. Ceux-ci concourent aussi à l'insertion urbaine des Souks de Beyrouth. Cette insertion doit être fonctionnelle, à travers le double rôle d'espace public et d'espace commercial. L'insertion urbaine est aussi formelle. Le maintien d'un plan d'organisation « street based and permeable »60, fondé sur le tracé viaire d'origine doit favoriser les circulations avec le reste du centre-ville. La programmation s'équilibre entre équipements de nature commerciale et équipements à vocation culturelle ou de divertissement (complexe cinématographique, musée ou galerie d'art, parc archéologique). Les équipements commerciaux doivent reprendre des structures traditionnelles comme les souks d'habillement ou le marché aux fleurs et aux légumes mais aussi intégrer des structures plus modernes comme une grande surface ou un grand magasin prévu dans le Khan Antoun Bey.

Ainsi, dans les années 1990, le projet des Souks de Beyrouth s'inscrit dans une démarche d'ensemble de reconstruction du centre-ville. Les souks doivent être à la fois un modèle pour les autres projets de reconstruction, un catalyseur pour la reconstruction du centre-ville et une centralité de la capitale reconstruite. La fonction commerciale semble être au service d'un projet urbain.

58 SOLIDERE, 1994, Concours d'idées international pour la reconstruction des Souks de Beyrouth, conditions générales et dossier de préparation

59 Propos tenus par Habib Ghaziri, architecte de Solidere, en charge des phases de conception et de construction des Souks de Beyrouth, entretien du 18 mai 2012

60 TABET Jad, THOMPSON Benjamin & Associates, 1995, Beirut Souks Master Plan, general report, éditions Solidere