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IV. Réinventer un modèle durable : l’avenir du dialogue entre ville et montagne

IV.1 Le projet Chamrousse Village 1650

a. Genèse d’un projet ambitieux

Il était nécessaire de repenser la station, qui présentait jusqu’alors un urbanisme désorganisé. De même, le niveau de Recoin s’est développé aléatoirement, ce qui traduit aujourd’hui un centre mal identifié et un besoin de réorganisation urbaine. L’équipe municipale s’est donc naturellement orientée sur la réorganisation de cette polarité, pour en faire une entrée de station porteuse d’une image forte.

« Ce n'est pas si courant qu'une station historique puisse se reconstruire sur elle-même. On en parle

souvent pour les grandes villes comme Lyon avec la Confluence. Là, on a l'occasion de le faire dans un

tout autre environnement. C’est un projet d’aménagement citoyen avec un préalable économique. »

Éric Brassart, adjoint à l’urbanisme de Chamrousse, Interview pour Mag2Lyon, 2016.

Depuis le début de leur mandat (2014), la nouvelle équipe municipale poursuit l’objectif de redynamiser en profondeur l’attractivité de Chamrousse. La volonté affiché était alors d’en faire un territoire de montagne actif toute l’année, et puisse se définir comme une station périurbaine couplée à la Métropole grenobloise. L’exécutif municipal parle même de réaliser une « station du XXIème siècle » (Brassart, 2015).

Ce projet de développement très ambitieux a d’abord été l’objet de nombreuses études, lancées en 2015, sur des thématiques variées : aménagement, données économiques et touristiques, biodiversité, risque environnementaux, mobilités et déplacements. Ces observations ont permis de dresser un état des lieux global de la station, et de dessiner les enjeux en présence. Pour poursuivre les dynamiques mises en place, la commune a lancé une révision du PLU et a signé une convention d’objectifs avec la Caisse des Dépôts et Consignations. La troisième étape qui a mené au lancement du projet de restructuration de Recoin a été la création d’un appel d’offres pour un concours d’architecture et d’urbanisme, publié en mai 2015.

Au départ, le concours lancé par la commune devait porter uniquement sur le site de la résidence l’Hermitage, c'est-à-dire un périmètre de projet d’environ 8000 mètres carrés en plein centre de Recoin. Cette « friche touristique » comme les qualifie ATOUT France (2015), laissait un creux en plein centre de Recoin, avec le parking central et la résidence l’Hermitage qui fut démolie. Néanmoins, les réflexions de la commune, nourries par les nombreuses études réalisées et les discussions avec l’AURG, ont permis d’élargir le périmètre du concours et sa fonction même. D’un espace relativement restreint ne portant que sur un projet architectural, le concours souhaité par Chamrousse s’est étendu sur un large périmètre avec des critères architecturaux et urbanistiques : question des espaces publics, requalification du front de neige, etc. Cette une véritable vision d’avenir qui a été portée pour les stations de moyenne montagne, et non plus un énième projet architectural pour se raccrocher aux tendances actuelles. In fine, tout l’intérêt d’un concours sur Recoin réside dans cette nouvelle vision : cela

créé une image marquante en entrée de station qui traduit physiquement une ambition globale sur la commune (AURG, 2016). Et l’intérêt de lancer un projet de cette envergure sur un périmètre aussi large, peut aussi se traduire concrètement par la nécessité d’attirer des d’investisseurs. La pertinence de Chamrousse a été de jouer sur cet atout marketing, en lançant un concours aux objectifs très ambitieux pour impulser une dynamique, plus que réaliser un programme prédéfini et de grande ampleur.

Dans les intentions fournies aux candidats, l’exécutif de Chamrousse annonçait déjà vouloir proposer un projet de téléporté, entre l’agglomération grenobloise et la station. S’inspirant d’exemple comme Innsbruck, la commune souhaite s’appuyer sur le réseau urbain grenoblois pour « intégrer un produit touristique avec un

espace de vie ville-montagne » (Ibid.). Il était déjà clair lors de la genèse du projet que le rayonnement de la

nouvelle image de Chamrousse devrait être plus large que le massif de Belledonne. En outre, la station souhaitait proposer de « nouvelles urbanités », et pas seulement de nouveaux équipements. Effectivement, dans les orientations de station durable, il était envisagé le cœur de station piétonnier, facilité pour les mobilités « douces ». Globalement, la commune a lancé ce concours dans une perspective allant jusqu’à 2035 (Brassart, 2015), en cadrant ses investissements sur une échelle de 20 ans.

Le 3 décembre 2015, le lauréat du concours d’architecture et d’urbanisme a été désigné : l’équipe portée par AKTIS Architecture et Urbanisme Durables108 avec son projet « Chamrousse Village 1650 ». La Commission d’Appel d’Offres de Chamrousse avait sélectionné à l’unanimité le projet, quelques jours plus tôt. Selon l’exécutif de Chamrousse, ce projet répond à leur volonté de repenser entièrement « le modèle de développement de la

commune » (Chanet, 2015). L’autre atout qui a séduit la commune, c’est l’opérationnalité de la proposition, qui

peut permettre de démarrer le projet rapidement. En effet, la commune envisage de créer une SEM rapidement pour piloter l’ensemble du projet, en partenariat avec la Caisse des Dépôts et Consignations et la Caisse d’Épargne Rhône-Alpes (Héritier, 2015). L’objectif est de démarrer les travaux pour l’anniversaire des J.O. de 1968, donc en 2018. Cette relative précipitation peut s’expliquer par l’échéance du mandat municipal qui prend fin en 2020.

« J’ai beaucoup d’échos sur le projet me disant « c’est très ambitieux ! », mais on est obligé d’être

ambitieux, surtout quand on voit ce qui se passe chez nos voisins. Ce n’est pas un projet utopique : les

standards on changés, on est en fin de cycle et c’est important de revoir la totalité de l’aménagement

de la station, […] avec tout ce qui fera les thématiques innovantes de demain. »

Philippe Cordon, maire de Chamrousse, Grand Air-TéléGrenoble, 2016.

Aujourd’hui, la commune définie sa stratégie de redynamisation de la station dans une logique systémique : le nouveau modèle touristique, tout comme la perspective d’ouverture sur la vallée, fonctionnent avec le projet urbain et architectural, et inversement. Cette interdépendance permet à la station de mener une action globale, mais concrète. Depuis peu, l’équipe municipale a annoncé engager ce projet comme une première étape, qui débouchera dans quelques années sur le renouvellement urbain de Roche Béranger. Des réflexions et un dialogue seraient déjà en place avec les propriétaires et les commerçants pour préparer le futur projet de Roche Béranger (Chanet, 2016).

b. Présentation des logiques du projet « Chamrousse Village 1650 »

Le projet conçu par l’agence AKTIS Architecture et Urbanisme Durables défend l’idée de créer la première « Smart Station » (France Écologie Énergie, 2016). Digne héritier des logiques soutenues dans les Écocités, le concept de Smart Station est défini par Laurent Gaillard, directeur de l’agence AKTIS, comme une « Écostation ». C’est une approche intégrée qui est mise en avant, avec la prise en compte d’enjeux aussi variés que l’énergie, les mobilités, les nouveaux usages numériques, et surtout l’environnement. En s’appuyant sur ce concept central, le nouveau modèle de tourisme 4 saisons, et la connexion à Grenoble d’un côté et au PNR de Belledonne de l’autre, viennent créer une logique d’ensemble plus territorialisée.

108 TPFI (bureau d’études TCE), AquaConseils (professionnel centre aquatique), Atelier Gardoni (paysage), Groupe Degaud

(foncier, environnement), SARECO (stationnement, mobilité), J.-F. Lyon-Caen (architecte consultant).

Le fil conducteur du projet architectural, c’est l’intégration au territoire : préservation des vues, intégration dans la pente, etc. Dans une logique de « station renouvelée » (Grand Air-TéléGrenoble, 2016), Recoin a été pensé comme un cœur de station piéton, qui doit donc offrir les meilleures perspectives aux usagers. La rénovation à la fois énergétique et architecturale de l’existant est aussi très importante, puisqu’il y a un enjeu majeur de connexion du projet avec l’existant. Cette phase de requalification de l’existant permettra aussi d’augmenter la capacité d’hébergement de la station. Concrètement, le cœur de Recoin sera requalifié avec plusieurs infrastructures de commerces, loisirs et services, appelés « séracs ». Le belvédère qu’offre l’ancien terrain de la résidence l’Hermitage permettra d’implanter un complexe hôtelier et aqua-ludique. Enfin, l’offre globale d’hébergements sera rehaussée dans les dents creuses de l’entrée de station, sans urbaniser d’espaces naturels (CF Annexe 4).

Le projet urbain de Chamrousse peut donc se définir en 5 thèmes (CF Annexe 5). Le premier thème concerne le numérique, avec un modèle de station « connectée ». Cela commencera par l’installation de la couverture internet très haut débit, et par l’utilisation d’objets connectés. L’objectif est d’inscrire Chamrousse comme une station pionnière de l’ère du numérique. S’appuyer sur la dynamique technopolitaine de l’agglomération permettrait de faire de la station une vitrine métropolitaine de l’économie de la connaissance. La relation entre ville et montagne peut par ailleurs être favorisée grâce au réseau numérique. Un espace dédiés aux objets connectés, et un espace de co-working seront insérés dans les séracs du cœur de station.

Le deuxième thème concerne les usages, avec une diversification de l’offre commerciale concentrée sur le centre de Recoin. Outre l’espace de co-working et de vitrine des savoir-faire technologiques locaux, les séracs pourront proposer des produits du terroir local, un lieu de découverte des randonnées du parc de Belledonne, ou encore une salle multi-usages.

Le troisième thème porte sur les mobilités durables, avec des navettes électriques, et un cœur de station complètement piétonnisé. L’offre de stationnement sera complètement revue, avec à terme environ 700 places de stationnement, dont un parking sous-terrain de 400 places. L’autre proposition marquante de ce nouveau plan des mobilités est bien évidemment le téléporté entre Grenoble et Chamrousse, qui relierait la vallée à la station en 25 minutes environs (avec l’avantage d’arriver à Chamrousse skis aux pieds).

Le quatrième thème du concept de Smart Station concerne l’intégration de la nature dans le cœur de station, et la prise en compte des enjeux environnementaux. Dans un premier temps, la piétonisation du front de neige va permettre de faire descendre la végétation plus profondément dans le cœur de station. Le retour de l’eau au milieu de la place centrale va aussi engendrer une certaine désimperméabilisation des sols, avec le prolongement d’un ruisseau existant. Grâce à la désimperméabilisation globale de Recoin, la capacité résiduaire en eau potable est ainsi estimée à plus de 200 mètres cubes par jour, ce qui permet aisément de programmer le centre « balnéotonique » sans impacter la ressource en eau de la commune. Le projet prévoit, par ailleurs, de réduire les déchets en station et mieux gérer leur système de recyclage.

Enfin, le dernier thème de la Smart Station porte sur la question énergétique. Il est donc prévu une Démarche Carbone spécifique à la station, avec la prise en compte de critères plus précis que les Bilan Carbone classiques. L’idée est donc de réduire l’empreinte carbone de Recoin, tout en fixant une qualité environnementale du projet bien au-dessus des engagements de la Charte Nationale du Développement Durable des stations. Parmi les réalisations concrètes du projet : un mini réseau de chaleur au bois, la généralisation du solaire thermique, un SmartGrid, l’éclairage public solaire, une « ferme photovoltaïque » de 4000 mètres carrés, etc. Pour accompagner ces infrastructures, toutes les constructions neuves du projet seront conçues avec 100% d’énergies renouvelables, et intégreront des systèmes de récupération de chaleur sur les eaux grises. Pour ne pas créer une station neuve respectueuse de l’environnement, et une station obsolète disséminée autour, il est prévu une logique rénovation énergétique des bâtiments existants, avec une réduction de l’énergie grise. L’enjeu global sur la question énergétiques est d’intégrer le maximum d’énergies renouvelables, pour ne plus utiliser aucune énergie fossile à terme.

Le projet de restructuration de Recoin est pensé dans une logique systémique, pour que chaque élément tienne compte des nombreux enjeux de la station. Nous venons d’avoir un aperçu global du programme, mais il est aussi intéressant d’observer la question architecturale. En effet, un effort tout particulier a été fourni pour offrir une

image très contemporaine à l’entrée de station, bien loin des sempiternelles architectures traditionnelles récurrentes pour les résidences de tourisme neuves. Ce caractère résolument moderne permet de traduire cette vision neuve de la montagne.

« Alors que tout évolue, j'ai constaté que seule l'architecture en montagne régresse. On y fait du vieux

avec une mentalité de vieux. Et pourtant ce devrait être un champ d'expérience : la montagne attire

toutes les classes de la société et tout l'éventail des âges... »

Jean-François Lyon-Caen, Architecture raisonnée ou architecture commerciale, 2007.

Aujourd’hui, les premiers jalons pour la création d’une UTN sont lancés. Cela entraînent la mise en compatibilité du PLU et du SCoT, et la création d’une SEM est en train d’être débattue en conseil municipal. Le début des travaux de terrassement pour le parking central devront commencer après la prochaine saison de ski. La machine est donc lancée, mais de nombreux points sont encore en débat pour améliorer le projet.