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IV. Réinventer un modèle durable : l’avenir du dialogue entre ville et montagne

IV.4 Entre optimisation de l’existant, et nouveaux outils de connaissance du parc

a. L’accompagnement des propriétaires de la rénovation à la location

La refonte du PLU de Chamrousse intègre dans ses orientations les problématiques de son parc immobilier. Ainsi, la commune souhaite accompagner la réhabilitation et l’adaptation du parc existant « face aux attentes » (AURG, 2016). De plus, la commune a engagé des emprunts et des partenariats spécifiques pour financer une partie des rénovations de l’immobilier touristique. À l’image de la « Foncière Rénovation Montagne », la commune de Chamrousse a signé une convention-cadre avec la Caisse des Dépôts et Consignations, en décembre 2014, pour restructurer son parc immobilier, développer son domaine skiable et engager la transition énergétique dans la station. Cet accord représente 70 millions d’euros sur quinze ans, qui pourront servir en grande partie à l’optimisation de l’offre d’hébergement en station.

Néanmoins, c’est le projet d’AKTIS Architecture et Urbanisme Durables qui est le plus ambitieux sur les stratégies d’optimisation de l’existant. En voulant ouvrir la station sur les quatre saisons, Chamrousse est obligée de lancer une grande campagne de rénovation de l’existant. Pour éviter le phénomène de station à deux vitesses, une grande partie des copropriétés doit être rénové, d’autant plus qu’une bonne partie n’ont pas été réhabilitée depuis plus de 25 ans. Le projet prévoit donc de lancer une opération de type OPATB en partenariat avec l’ADEME (AKTIS, 2016). En effet, sans soutien financier extérieur, la cinquantaine de copropriétés de la station ne pourront pas se permettre de faire des travaux lourds. Rappelons que le projet prévoit des travaux d’isolation par l’extérieur, et de remplacement des menuiseries, etc. pour une réduction d’environ 50% de la consommation d’énergie. Il est proposé d’élaborer des « montages gagnant-gagnant » par le biais d’une ingénierie financière privée. Les prestataires intégrés au projet financeront la majeure partie des travaux en empruntant, et revendront des Certificats d’Économie d’Énergie (CEE) à des entreprises « obligées »116. La rémunération pour les prestataires privés surviendra grâce aux économies de charges énergétiques faites par le propriétaire, qui aura l’obligation contractuelle de reverser ses économies au prestataire. Même si les propriétaires continuent à payer le même niveau de charge pendant 10 ans, ils bénéficient d’un logement rénové et correspondant a minima aux normes énergétiques actuelles. En parallèle, un travail de sensibilisation auprès des propriétaires sera effectué pour favoriser cette campagne de rénovation énergétique. Comme la plupart des résidences secondaires sont très peu occupées dans l’année, l’argument de la réduction de la consommation énergétique importe peu. L’enjeu de la valeur patrimoniale des biens, et de leur possible remise sur le marché sera donc mis en avant. Les propriétaires pourront être aussi incités à revaloriser la partie esthétique des immeubles. Le projet priorise donc 11 immeubles pour le Recoin (33 500 mètres carrés), et 13 immeubles Roche-Béranger (30 000 mètres carrés).

L’optimisation de l’existant est assurée par différents processus de rénovation et des financements adaptés, qui ne contraignent pas les propriétaires à payer eux-mêmes la rénovation énergétique. Toutefois, il serait intéressant de proposer des dispositifs d’accompagnement des propriétaires pour les aider et les inciter à louer leurs hébergements secondaires. Si le projet prévoit une potentielle structure d’accompagnement des propriétaires pour rénover leurs biens, un dispositif d’aide à la location et de gestion globale du parc pourrait s’établir en prolongement. L’autre atout serait de créer une culture commune sur les problématiques de stations de sports d’hiver. Les propriétaires privés, d’abord touristes en station de montagne, deviennent aussi concernés par les enjeux de revitalisation du parc immobilier. À l’image de la Maison des propriétaires de Tignes, cela permettrait à la fois d’encadrer la rénovation du parc de lits diffus, de favoriser le basculement des lits froids vers les lits marchands, et enfin d’avoir une vision globale sur les dynamiques du secteur diffus.

116 Créés en 2005, les CEE ont pour principe d'obliger les vendeurs d’énergie (appelés « obligés) à réaliser des économies

d'énergie et d'encourager les autres acteurs à faire de même par l'obtention d'un certificat. Les obligés peuvent soit réaliser eux-mêmes les mesures demandées, soit acheter des certificats aux autres acteurs.

b. L’anticipation des dynamiques immobilières pour le dimensionnement du parc

Pour assurer une rentabilité suffisante du parc immobilier, le projet prévoit l’implantation de trois hôtels (un 4 étoiles, et deux 3 étoiles), ainsi que plusieurs résidences de tourisme. La réalisation de ces lits marchands est vitale aujourd’hui pour assurer une fréquentation minimale pendant les périodes creuses. L’hôtellerie reste en ce sens le produit immobilier le plus pertinent.

Le projet prévoit la réalisation d’environ 600 appartements en résidences de tourisme. L’impact sur le territoire local risque d’être significatif, aussi bien pour la fréquentation, que pour les retombées économiques. Toutefois, nous avons vu que les risques associés à la réalisation de nombreuses résidences de tourisme sont nombreux. Avec les systèmes biaisés de défiscalisation, les résidences de tourisme n’ont pas eu une bonne publicité ces dernières années, notamment parce que l’érosion des lits marchands vers le secteur diffus est conséquente. Le maire de la station en a bien conscience, et assure que « l’ANMSM y travail » (Publicimes, 2015). M. Cordon défend une refonte totale du système des résidences de tourisme, hors des procédés de défiscalisation pure. Aujourd’hui, la station s’oriente inévitablement vers une production importante de résidences de tourisme, et cela semble présentement la solution la plus adaptée et la plus efficace. Cependant, il faut que la municipalité garde à l’esprit les risques associés à ce type de produits touristiques. Si l’Association Nationale des Maires de Stations de Montagne sont en train d’œuvrer pour faire évoluer le système des résidences de tourisme, il semblerait rassurant que le projet de Chamrousse puisse en bénéficier rapidement. Dans l’hypothèse d’une dangereuse érosion des lits marchands à la fin des baux de gestion, il est certain que la commune élaborerait des dispositifs de compensation. Néanmoins, il serait délétère de sombrer dans une « fuite en avant immobilière », alors que le modèle touristique et économique de la station est grandement prometteur.

Sans être catastrophiste, mais au contraire en tentant de rester objectif, le développer immobilier important soulevé dans le projet peut poser certaines questions. Si la fréquentation est au rendez-vous, et que la station est aussi attractive que le projet le laisse à penser, n’y-a-t-il pas un risque de trop forte pression foncière sur l’immobilier de loisir ? Des communes annexes comme Saint-Martin d’Uriage, Uriage ou Vaulnaveys-le-Haut deviendraient-elles les « bassins d’hébergements secondaires » de Chamrousse ?

Il est extrêmement compliqué de dimensionner de manière pertinente le parc immobilier des stations. La variation des pics de fréquentation oblige les communes-stations et gestionnaires de station à surestimer la production de logement sur l’ensemble de l’année. Même si la station engage des stratégies pour diffuser, dans les prochaines années, les pics d’affluence sur les quatre saisons, elle doit dimensionner son parc dans l’immédiat. Si le projet propose aujourd’hui plus de 600 logements en résidences de tourisme, c’est aussi un enjeu marketing pour attirer les investisseurs. Ne proposer qu’un hôtel, et une ou deux résidences de tourisme, ne lancerait pas une dynamique médiatique suffisante pour attirer des investisseurs sérieux. Tout comme l’annonce de l’Alpe d’Huez qui a annoncé vouloir investir 350 millions d’euros sur les cinq prochaines années pour développer son domaine skiable et redynamiser son parc immobilier (Bert, 2016).

Les questions prospectives que nous avons posées dans le paragraphe précédent pourraient amener à prévoir les risques liés à l’évolution du parc immobilier de Chamrousse. Une sur-production de logements touristiques est catastrophique, dans la mesure où il est très long et coûteux de réadapter ces hébergements. Si la station souhaite être en avance sur les prochaines réglementations énergétiques, elle pourrait aussi expérimenter des plans stratégiques d’anticipation immobilière. Prévoir des mesures spécifiques pour encadrer la surproduction de lits marchands non pérennes en station pourrait être envisagé. Se prémunir des risques de « fuite en avant » du parc immobilier ne semble pas inutile quand on connaît les problématiques de lits froids des stations de moyenne montagne depuis les années 2000.

c. Intégrer les innovations de l’économie collaborative ?

Si la rentabilité et le remplissage des lits marchands neufs ne seront pas un souci, l’enjeu pour la station va être de réussir à gérer son secteur diffus existant, même réhabilité. Nous avons vu que la création de dispositifs d’accompagnement des propriétaires peut permettre de favoriser la remise sur le marché des résidences secondaires. Ces solutions sont intéressantes, mais elles ne suffisent pas à compenser totalement la sous- occupation des logements.

D’autres innovations existent, comme l’économie collaborative. Comme l’explique ATOUT France (2015) : « Ce

n’est pas la résidence secondaire qui est remise en question mais le partage de sa propriété et de sa location ».

Les propriétaires utilisent alors les plateformes web dédiées à cet effet, pour rencontrer des acquéreurs potentiels qui souhaiteraient partager leur bien. Cette pratique est à mettre en relation avec les nouvelles dynamiques des usages partagés. En outre, des plateformes web comme AirBnB peuvent aussi être considérés dans cette économie collaborative qui tend à réduire les lits froids. En France, AirBnB a comptabilisé plus de 6000 annonces cet hiver, rien que pour les Alpes. La firme américaine a annoncé que ce chiffre avait doublé par rapport à la saison 2014/2015. Aujourd’hui, un pôle de développement dédié à la montagne a été créé au sein de l’entreprise, et son responsable Alexis Dussillol, affirme que « la société contribue à augmenter l’offre en station et permet d’attirer

une clientèle internationale » (Ibid.).

Ces nouvelles manières de gérer l’immobilier de montagne bouleversent les systèmes actuels, et il est difficile de déterminer si des risques existent. En février 2016, le député Pascal Terrasse a déposé un rapport qui propose de mieux encadrer l’économie collaborative. Il propose dans un premier temps de clarifier les clauses légales des plateformes web, souvent étrangères, et de fixer un cadre fiscal à l’ensemble de l’économie collaborative. Pour finir, il est clair qu’une connaissance approfondie de l’immobilier touristique est nécessaire pour les stations comme Chamrousse. Il est très compliqué aujourd’hui d’observer avec précision les taux de remplissage du secteur diffus. Si la station a su mener les études nécessaires pour juger l’état de son parc immobilier afin de calibrer le programme du projet, il serait intéressant de proposer des indicateurs et outils innovants pour évaluer en temps réel les dynamiques du parc immobilier.