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Qui sont les étudiants Erasmus ?

% /ensemble des

2.1.2 Un programme féminisé ?

Jusqu’à une période récente, dans les analyses en sociologie de l’éducation, le sexe servait comme simple critère de comptage et non comme une véritable source de variation qui débouchait sur un foyer réel de réflexion. Ce n’est que tardivement que l’intérêt pour les différences de scolarité, de trajectoires entre les genres s’est fait jour en sociologie. L’histoire de la scolarisation des filles a moins de deux siècles. En France, ce n’est qu’en 1882 et 1924, que respectivement, le baccalauréat devient accessible aux filles et que les programmes d’enseignement sont rendus communs aux deux sexes. En Angleterre la première école publique devenue mixte (coeducational boarding school) a été celle de Bedales fondée par John Haden Badley en 1898. Mais de nombreuses écoles non-mixtes (single-sex schools) n’acceptent les deux sexes que depuis quelques décennies, c’est le cas par exemple de Clifton College (en 1987). La première université au Royaume-Uni qui admit les femmes fut celle de Londres, en 1878. En 1880, seules 4 étudiantes obtenaient

leur licence (BA examination). En 1900 elles représentaient 30% des effectifs pour le premier niveau. Depuis, les filles surpassent les garçons dans bien des domaines scolaires. Aujourd’hui leurs résultats au GCSE et au ‘A’ Levels en Mathématique et Physique sont supérieurs à ceux des garçons96. En Italie, l’historien Marino Raicich97 parle des avantages du retard italien dans la création d’un système éducatif féminin. Sans structures spécifiques pour les filles, elles se sont orientées de fait vers les écoles de garçons, ouvrant la voie à une éducation mixte. C’est aussi le peu de sérieux accordé à certains départements universitaires qui à cette époque assure, comme en Angleterre, un espace pour les femmes. Mais l’analogie s'arrête là. Car dans les universités de l'Italie unifiée (lorsque commença la mise en place d’une législation sur l’organisation d’un système universitaire national), il n'y avait pas de séminaires en tant que lieux formalisés, à l'exception de l'Université de Padoue qui avait subi l'influence du modèle autrichien. Il n'y avait pas non plus d'exclusion formelle des femmes de l'université comme à Cambridge ou à Oxford, pas plus que des filières spécifiques pour filles dès le lycée comme en France, étant donné le faible nombre de femmes qui souhaitaient s'y inscrire. Les femmes eurent la possibilité d'entrer à l'Université puisque la loi ne l'empêchait pas explicitement. Il n’est reste pas moins que leur nombre était dérisoire et leur statut social très élevé.

A l’heure actuelle en Europe, on assiste à une véritable poussée, rapide et quantitative, des filles dans la scolarité, à laquelle s’ajoute la qualité dans leur travail scolaire. A l’école primaire, elles redoublent moins que leurs homologues masculins ; au lycée, elles sont plus nombreuses et obtiennent de meilleurs résultats au baccalauréat. Dès 1971 d’ailleurs, les filles dépassent les garçons en nombre de diplômés au baccalauréat en France. Elles se retrouvent également majoritaires sur les bancs de l’université. Pourtant on relève toujours un usage différentiel de l’appareil scolaire et des divergences d’orientation. En effet les filles se retrouvent dès le lycée, davantage au sein de cursus littéraires qui sont moins prestigieux, en raison de la suprématie des mathématiques dans les filières d’excellence. Elles s’orientent moins souvent en sciences exactes que les garçons et elles sont majoritaires en premier et second cycle, pour devenir largement minoritaires en troisième cycle d’études dans certaines disciplines.

96

UK resource centre for women in science, engineering and technology.

97 RAICICH, (M) Scuola, cultura e politica da De Sanctis a Gentile / Pisa : Nistri-Lischi, 1982, 475 p SOLDANI (S) (ed.) , L’educazione delle donne. Scuole e modelli di vita femminile nell’ Italia dell’Ottocento, Milano, Angeli, 1989, 568p.

PORCIANI (I), L’Università tra Otto e Novecento. I modelli europei e il caso italiano, Napoli, Jovene, 1994, 400p.

En 2004-2005 au Royaume-Uni, les femmes représentaient parmi les inscrits (à temps plein) en première année du premier degré universitaire :

• 62,5% des effectifs en biologie

• 41,1% en physique

• 38,3 % en mathématiques

• 29,4 % en architecture, “building and planning”

• 18,3 % en informatique

• 15,1 % en ingénierie et technologies

Les statistiques, issues des publications des ministères du Royaume-Uni (Social trends) de la France (Repères et Références Statistiques) et de l’Italie (MIUR), indiquent les mêmes tendances. Ainsi par exemple en France en 2005-2006, les femmes « nouvelles entrantes » à l’université représentaient 84,1% des inscrits des disciplines de langage, alors qu’elles n’étaient que 35,2% des effectifs en Sciences fondamentales et appliquées. Des divergences d’orientation qui se répercutent sur leur insertion professionnelle et leur place sur le marché du travail. Le tableau suivant nous donne la proportion des femmes en France, en Italie et au Royaume-Uni, dans des emplois « scientifiques », d’ingénieurs et de techniciens, en 2004.

Tableau 19 : Proportion de femmes en France, en Italie et au Royaume-Uni dans des emplois « scientifiques », d’ingénieurs et de techniciens (SET), en 2004

(En pourcentage)

2004 UK FR IT

Proportion women in SET occups (%)

Proportion de femmes avec un emploi de « scientifique », d’ingénieur ou de technicienne

24.1 20.7 18.6

Proportion women in SET occups excl. managers (%)Proportion de femmes avec un emploi de « scientifique », d’ingénieur ou de technicienne, Excluant les managers,

dirigeantes.

20.8 18.7 18.9

SET: Acronym for Science, Engineering and Technology. Source: Eurostat EU Labour Force Survey

NB: Basé sur une échantillon de l’étude ‘labour force surveys’ au second quart de chaque année.

Ce tableau se lit ainsi : 24,1% des femmes au Royaume-Uni ont un emploi « scientifique », d’ingénieur ou de technicienne en 2004.

De nombreux sociologues ont tenté de comprendre la source des différences, notamment dans la socialisation au quotidien. Ils ont relevé le rôle primordial des pratiques éducatives, qui sont différenciées de manière très précoce et de l’offre de formation. Ainsi « la fabrication des différences » se situe non seulement dans les effets d’attente, mais elle se trouvent également dans les contenus de formation. Mais quelles sont leurs attentes en terme de mobilité ? Les femmes européennes seraient-elles plus mobiles que les garçons ? Les femmes ne représentaient que 43% des étudiants étrangers habitant dans les 12 pays membres de l’UE en 1995, nous informe l’étude de Jallade (JP) Gordon (J) Lebeau (N) 98. Ils nous apprennent également que la majorité d’entre elles provenait des pays d’Europe de l’Est. Dans les deux principaux pays hôtes, les États-Unis et le Royaume-Uni, la proportion d’étudiantes étrangères était respectivement de 42 et 48 % (alors que les femmes constituaient 56% et 55% respectivement, de leur population étudiante). Autrement dit, les jeunes femmes font moins fréquemment des études à l’étranger que leurs homologues masculins. Il serait intéressant de connaître la répartition par sexe des étudiants étrangers selon le pays d’origine pour chaque pays européens, mais cela ne suffirait pas à l’analyse des facteurs qui déterminent la décision de poursuivre des études à l’étranger (facteurs familiaux et sociaux, soutien ou orientation académique).

En France, l'OVE, dans sa dernière enquête sur les "profils et conditions de vie des étudiants étrangers99" note que 82,8% des étudiants étrangers ont obtenu leur bac à l'étranger en ayant en même temps leurs parents hors du territoire français, ce qui en fait des étudiants en « réelle "mobilité" ». Les autres sont définis comme des "étrangers résidents". La répartition par sexe des étudiants étrangers est symétriquement inverse de celle des étudiants français: les filles représentent 46,5% des étudiants étrangers (alors que 55% des étudiants français sont des étudiantes). Cependant, les filles sont largement majoritaires parmi les étudiants issus d'un pays européen (68,7%) alors qu'elles sont minoritaires parmi les non européens (40,8%).

98

JALLADE (JP) GORDON (J) LEBEAU (N), Student mobility within the European Union : A statistical

analysis, rapport publié par la commission européenne, European Institute of Education And Social Policy,

mai 1996

99 PROFILS ET CONDITIONS DE VIE DES ETUDIANTS ETRANGERS par Ronan VOURC'H, Ingénieur d'études à l'Observatoire de la vie étudiante, PAIVANDI, Centre de Recherches sur l'Enseignement Supérieur, Université Paris 8, OVE, Infos N°12 - Juin 2005

En Italie, d’après les données du ministère, parmi les étudiants étrangers inscrits100 en 2004-2005, 29,2% proviennent d’un pays de l’Union Européenne (dont 58,2% de femmes) et 42,9% sont originaires d’autres pays européens, dont 62,6% de femmes. Inversement pour les 10,1% d’étudiants originaires d’Asie et les 9,7% d’Africains où les femmes représentent toujours moins de 45% de l’ensemble101. Cependant, au niveau « Doctorat » les hommes sont toujours majoritaires : les écarts hommes/femmes se creusent pour la quasi-totalité des zones géographiques de provenance.

Au Royaume-Uni, les statistiques de l’Education statistics Agency102 sur la proportion de

femmes selon le niveau d’études universitaires et la région d’origine des étudiants étrangers (cf tableau 20 suivant), résument assez bien les différents phénomènes relatifs au « genre » en éducation. Plus on « s’élève » dans les cycles d’études, moins on trouve de femmes, que ce soit pour les autochtones ou les étudiants étrangers. Il y a parmi ces derniers une majorité d’hommes. Mais suivant la zone géographique d’appartenance le déséquilibre s’accentue ou diminue. C’est ainsi que les étudiantes en mobilité du Moyen-Orient représentent toujours moins de 40% de l’ensemble des étudiants en mobilité de ces pays. Par contre les européennes dépassent ce pourcentage, quelque soit leur niveau d’études au Royaume-Uni.

Tableau 20 : Femmes étrangères inscrites dans des institutions d’enseignement supérieur britanniques par niveau d’étude et région d’origine,

en 2004-2005 (en pourcentage) D Postgraduate M Postgraduate L Undergraduate Tous niveaux confondus Moyen orient 33 32 28 31 Afrique 28 33 45 40 Asie 40 46 47 46 Australie 42 44 59 49 Amérique du sud 41 48 54 50 EU 45 47 51 50

Autres pays d’Europe 49 48 57 54

Amérique du Nord 44 56 62 57

Etudiants Britanniques 46 54 56 59

Ensemble des étrangers 41 46 49 47

Ensemble des étudiants 44 51 55 57

Source: www.hesa.ac.uk

Ce tableau se lit ainsi : il y avait 33% de femmes provenant du Moyen Orient, en doctorat au Royaume-Uni parmi les inscrits originaires du Moyen Orient, en 2004-2005.

100 Les étrangers représentent toujours moins de 3% de la population étudiante inscrite.

101 Sur 301 298 étudiants diplômés, tous niveaux, toutes nationalités et sexe confondus, (dont 172 429 femmes), seul 1,5% sont des étrangers en Italie

Observe-t-on les mêmes tendances pour la mobilité institutionnalisée ? Quelle est la répartition par sexe des étudiants ERASMUS ? Les chiffres de la commission européenne, ne sont pas sans rappeler les évolutions constatées ces dernières années dans l’enseignement supérieur en Europe. Comme dans le reste de la population estudiantine, les femmes sont désormais majoritaires. Environ 59% des étudiants ERASMUS sont des femmes (cf tableau 21 ci-dessous). Mais une analyse plus fine doit être entreprise, pour permettre de différencier cette population en fonction des disciplines concernées. Car si ce taux était le même dans les disciplines de Lettres et de Langues, où la proportion des filles atteint 80% de l’ensemble des inscrits, elles demeureraient sous-représentées.

Tableau 21 : Répartition des étudiants ERASMUS par Sexe, selon le domaine d’études –en 2000- (en pourcentage de l’ensemble des participant à l’enquête)

% Langues Sciences Humaines Sciences Sociales Sciences

naturelles Ingénierie Mathématiques Ensemble

F 84 63 62 51 23 35 59

H 16 37 38 49 77 65 41

Total 100 100 100 100 100 100 100

N 1520 417 790 460 861 259 8943

Les 4636 unités non présentées correspondent aux inscrits des disciplines suivantes : Agroalimentaire, Architecture, Lettres, Sciences de la communication, Droit, Sciences de l’éducation, Géographie, Gestion et Médecine. Ce tableau se lit ainsi : parmi les étudiants Erasmus sortants en langues, 84% étaient des femmes en 2004-2005.

Source : Enquête sur la situation socio-économique des étudiants ERASMUS

Pichon (L.A), Comte (M) et Poulard (X), dans leur étude103 ont tenté d’isoler l’effet propre (« toutes choses égales par ailleurs ») du facteur Femme, par une modélisation. Ils montrent ainsi que le fait d’être femme n’augmente pas la propension à partir à l’étranger. Un taux de départ féminin sensiblement plus élevé s’explique par les conséquences des choix d’orientation. En effet, au sein de chaque filière, les calculs de proportion de femmes par rapport à l’ensemble des inscrits (hommes et femmes) et leur nombre parmi les étudiants Erasmus partants, révèlent des taux similaires. Le tableau ci-dessus montre que les femmes sont sous-représentées parmi les Erasmus en mathématiques et en ingénierie et largement surreprésentées parmi les étudiants Erasmus en langues. Dans les trois universités choisies pour l’étude de cas, le croisement des variables sexe et discipline d’études, à partir des bases de données fournies par les services de relations internationales, nous ont permis aussi de confirmer ces résultats. Le sexe ne semble pas être un facteur influant en soi le départ.

Dans les trois institutions d’enseignement supérieur les femmes sont largement majoritaires. Elles représentent environ 60% de l’ensemble des sortants de l’université de Bristol, mais entre 70% et 75% de l’ensemble à l’université de Provence et de Turin (variable suivant les années). Cette surreprésentation notable des femmes à l’Université de Provence peut-être expliquée en partie par le découpage des filières entre les trois universités à Aix-Marseille et par le système dual français préalablement discuté. A Turin, la présence de l’université Politecnico (regroupant un grand nombre de facultés « scientifiques », techniques et d’ingénierie), qui a, par ailleurs, un taux de participation au programme Erasmus supérieur à celui de l’Università degli studi di Torino (prise pour l’enquête), pourrait avoir une influence sur la supériorité numérique des filles dans cette dernière. Néanmoins, les tableaux suivants, construits à partir de nos échantillons nous révèlent que ce sont bien, là encore, les disciplines d’inscription qui jouent sur un taux de départ féminin plus élevé.

Tableau 22a : Répartition des étudiants ERASMUS des universités de Bristol, de Turin et de Provence par Sexe, selon le domaine d’études –en 2004-05

(pourcentage en ligne) Université de BRISTOL Université de Turin Université de Provence F H F H F H

Lettres & Langues 87,5 12,5 92,6 7,4 85,1 14,9

SHS 77,3 22,7 73,8 26,2 78,4 21,6 Sciences 35,7 64,3 43,7 56,3 50,0 50,0 Ensemble N= 67,0 55 33,0 27 74,0 94 26,0 33 82,6 128 17,4 27 χ2 = 19,5 p < 0, 001 χ2 = 12,5 p < 0, 01 χ2 = 3,9 NS

Tableau 22b : Répartition des étudiants ERASMUS des universités de Bristol, de Turin et de Provence par Sexe, selon le type de baccalauréat passé

–en 2004-05- (pourcentage en ligne)

Université de BRISTOL Université de Turin Université de Provence F H F H F H Bac scientifique 36,4 63,6 62,5 37,5 66,7 33,3

Bac éco. et social - - - - 78,7 21,3

Bac littéraire et/ou linguistique 81,6 18,4 80,7 19,3 92,1 7,9 Bac technique et prof. 63,6 36,4 75,0 25,0 60,0 40,0

Autres - - 90,0 10,0 - - Ensemble N= 67,0 55 33,0 27 74,0 94 26,0 33 82,6 128 17,4 27 χ2 = 14,2 p < 0, 001 χ2 = 6,3 p < 0, 10 χ2 = 11,8 p < 0, 01

Dans les trois universités, les femmes sont systématiquement sous-représentés parmi les détenteurs d’un baccalauréat scientifique, comme parmi les inscrits des filières d’études scientifiques. Mais peut-on repérer des différences dans les parcours et dans la définition d’un projet entre filles et garçons ? Une logique de l’excellence (attribut des dominants) s’opposerait-elle à une logique du goût (attribut des dominés) ? Des différences non négligeables entre les universités existent en ce qui concerne les destinations majoritaires des étudiants et étudiantes Erasmus. Alors que le sexe n’influe pas sur le pays où se déroulera le séjour à l’université de Bristol et à l’université de Provence (corrélation entre les variables sexe et destination non avérée, non significative, une fois la variable filière d’études contrôlée), il influe de manière importante à l’université de Turin. Ainsi les Hommes se trouvent surreprésentés parmi les sortants pour le Royaume-Uni, la France et la Belgique, tandis que les femmes le sont parmi les sortants pour l’Espagne et le Portugal pour ne prendre que deux exemples. Il semblerait donc qu’une logique d’excellence s’opposerait bien à une logique du goût en Italie plus qu’ailleurs. Quel séjour ERASMUS pour quelles stratégies utilitaristes ou pour quels motifs plus épicuriens ? Pour répondre à cette question, l’âge des étudiants et des étudiantes qui partent à l’étranger n’est pas sans importance. Il nous permet d’avancer dans la compréhension de la complexité des parcours et de l’entrelacement des éléments influant la prise de décision de mobilité. L’observation de la répartition par niveau d’études des étudiants Erasmus, qui informe sur l’âge moyen de cette population, est un des moyens d’y accéder. Elle révèle des parcours souvent rapides et sans encombre pour une majorité d’étudiants Erasmus, qu’ils soient filles ou garçons.