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Les professionnels « multi-transitions » : une même visée pragmatique

Partie 3 – Les professionnels de l’orientation des adultes

3. Les professionnels « multi-transitions » : une même visée pragmatique

Sous ce titre, nous regroupons des professionnels qui ont une expérience sur un type de transition (ici la transition emploi-emploi) mais qui ont été amenés durant les dernières années à élargir leurs activités en se chargeant d'autres publics (ici les demandeurs d'emploi et les licenciés économiques). On aurait pu aussi les identifier par leurs prestations privilégiées : le bilan de compétences (et le bilan de compétences approfondi) et les prestations dites d'outplacement.

À l'instar du groupe de professionnels précédemment évoqué (sur la transition chômage-emploi), les conseillers dont nous allons parler ne se considèrent pas tous comme des professionnels de l’orientation. L’intitulé de leur fonction ne reprend d’ailleurs pas cette terminologie mais se rapporte selon les cas à la prestation, à la structure, à l’objectif visé. Dans leurs propos et dans leurs pratiques, ils se distinguent d’une structure à l’autre sur l’ancienneté de leur profession et son ancrage dans le champ professionnel de l’orientation (cas du CIBC), ainsi que sur le degré d’intervention sur le « projet » de la personne : de sa co- construction à son outillage. Ils partagent néanmoins, et les plus anciens pointent cette évolution, une vision toujours plus pragmatique de leur activité.

3.1. Les consultants

Au sein de la plupart des structures privées, la terminologie employée est celle à l’œuvre dans les services aux entreprises : le professionnel est un consultant.

Dans le cadre d’une procédure d’outplacement il outille et accompagne vers l’emploi les personnes en rupture professionnelle, et ce à un horizon rapide, ce qui interdit de leur point de vue les véritables réorientations professionnelles. Outiller signifie donner à la personne les moyens et les techniques pour être « autonome sur le marché de l’emploi ». Accompagner signifie aider la personne à gérer les répercutions psychologiques du licenciement, à prendre du recul et à « anticiper sur le futur ». Mais leur vision est la même sur le bilan de compétences, qui, selon eux, n’offre pas assez de temps pour « faire de l’orientation

au sens d’une remise en question » (un consultant). Ils semblent donc distinguer l’orientation (qui demande

du temps), de l'essentiel de leur activité qui consiste avant tout à fournir des moyens et des techniques pour rendre la personne plus autonome. Eux-mêmes sont contraints à des exigences de rentabilité plus importante que dans des structures à but non lucratif.

Leurs profils sont variés et diversifiés, la formation en psychologie n’est pas systématique mais ils ont tous une expérience conséquente du marché du travail. Ainsi dans un des cabinets privés étudiés, la personne responsable de l’agence est licenciée de lettres et a pendant de nombreuses années enseigné le français à l’étranger. Ses compétences en matière d’accompagnement et d’aide à l’orientation se sont construites par la pratique, pour l’essentiel au sein même de la société. L’une des collaboratrices consultante de l’agence est psychologue de formation, spécialiste de GRH, discipline dans laquelle elle possède un DESS, l’autre est licenciée en droit. Le consultant a fait une école de commerce puis a suivi une formation de formateur. Tous ont été en interne formés aux méthodes et aux outils propres de l’entreprise : tests, outils d’animation de sessions … L’outil de base reste le ROME, Répertoire opérationnel des métiers et des emplois. Les salaires sont inclus dans une fourchette allant de 1 500 à 2 500 euros brut environ. La division du travail au sein de l’agence, sans spécialiser véritablement les tâches des personnels, distribue les activités au plus près des compétences de chacun : la psychologue administre les questionnaires, dispense les tests d’aptitudes et de personnalité et procède aux restitutions individuelles, la personne licenciée en droit intervient ponctuellement dans le temps d’une prestation en matière de droit du travail ou pour exposer les mesures pour l’emploi, la responsable de l’agence animant la prestation dans son ensemble en assurant la cohérence de son économie générale. Si tous les personnels peuvent ainsi intervenir sur tous types de prestation (aide à l’orientation, accompagnement vers l’emploi, bilan de compétence), ils se sont en revanche, de façon empirique, en partie spécialisés par type de public (cadres, non-cadres, travailleurs handicapés, etc.). Pour reprendre une distinction opérée précédemment, les consultants se positionnent avant tout comme des « généralistes » qui font une référence constante à l’idée d’accompagnement personnalisé en apparentant en quelque sorte l’orientation à une forme de coaching individuel, une aide à la prise de décision construite entre choix rationnel et tâtonnements empiriques : « trouver une voie, ça ne se décrète pas, ça se travaille

[…]. Nous devons accompagner les personnes jusqu’à valider un projet réaliste et réalisable »86

(un

conseiller, organisme sous-traitant ANPE).

3.2. Les conseillers « bilan de compétences » des CIBC

Les bilans de compétences ne semblent pas constituer une pratique sociale et professionnelle stabilisée. Chacun se constitue des guides pratiques d’analyse des compétences qu’il est difficile de comparer et de mutualiser. Comme il n’existe pas de formation spécifique uniforme sur l’ensemble du territoire pour ce type d’activité, « celle ci ne relève pas d’une profession établie » (Prot 2005 ; Gosseaume et Hardy-Dubernet 2005). Les conseillers des CIBC ne sont pas les seuls à délivrer cette prestation mais ils en constituent en quelque sorte les spécialistes, ces organismes ayant dans leurs missions une réflexion sur l’ingénierie de la prestation.

Si l’on considère l’ensemble des conseillers des prestataires de bilan de compétences, plus de la moitié a reçu une formation de psychologue et une grande majorité d’entre eux possède un diplôme de 3ème

cycle. Ils connaissent un « turn-over » important : 30 % sont recrutés sous statut précaire (CDD et vacataires) (voir Bonaïti C. et Gélot D. 2005). La précarité est moindre dans les CIBC, où, selon les représentants de la Fédération, il n’y a pas de « smicards du bilan ».

Au sein du CIBC, la dénomination est circonscrite à la prestation à partir de laquelle les organismes ont été créés, même si leur activité tend à se diversifier aujourd’hui. L’orientation consiste à « choisir à un moment

donné un chemin, une piste » (une conseillère CIBC). Ils se considèrent tous comme des professionnels de

l’orientation. La psychologie est un passage incontournable dans leurs cursus et leur professionnalisme s’exprime avant tout dans cette dimension. Les tensions sur leur activité, et principalement avec le BCA, sont marquées. Certains conseillers ont, avec cette prestation, le sentiment de se détourner de leur métier, sentiment qu’elles ne partagent qu’avec les professionnels de l’Afpa. Le choix devient éthique : « Est-ce

qu’on ira de plus en plus vers du placement ou est-ce que on continue de travailler sur la thématique de l’épanouissement et de l’orientation ? ». Pour cette conseillère d’un CIBC, l’orientation est associée à l’idée

d’un épanouissement personnel, opposé à l’objectif du retour rapide à l’emploi. Elle signale également cependant que : « On a quand même une orientation qui est de plus en plus utilitaire ».

86

La notion de « projet réaliste et réalisable » appartient aux impératifs inclus au chapitre « contrôle qualité » du cahier des charges de l’ANPE : nous voyons dans cette référence spontanée une intériorisation de la norme énoncée par l’acteur dominant du système.

A contrario, l’évolution est vécue comme plus positive par les instances nationales de coordination des

CIBC qui estiment que l’arrivée du BCA a permis un changement dans les profils et les modes de référence du travail des conseillers, très (voire trop ?) centrés sur l’individu. Les recrutements ont été effectués sur des profils élargis (écoles de commerce, professionnels de gestion des ressources humaines, conseillers ANPE) et les salariés avec le « profil historique » du CIBC (diplômés en psychologie) ont du s’ouvrir à l’économie. On assiste parfois à une forme de spécialisation dans certains CIBC : les conseillers plutôt « ancienne formule » continuent à effectuer des bilans de compétences à destination des salariés, très centrés sur la personne et à forte dimension psychologique, les nouveaux exerçant davantage auprès des demandeurs d’emploi dans le cadre des bilans de compétences approfondis.

Finalement, ce champ professionnel mériterait à lui seul une étude qui s'intéresserait aux formations (cf. encadré 6), outils et pratiques, aux proximités avec le travail social et d'autres pratiques émergentes comme le coaching, et aux mobilités des professionnels internes à ce champ et au-delà.

Encadré 6

UN ACTEUR DE LA PROFESSIONNALISATION ET DE L’OBSERVATION : L’INETOP

L’Institut national du travail et de l’orientation professionnelle (INETOP) du Conservatoire national des arts et métiers est un des acteurs majeurs de la formation des professionnels de l’orientation.

Cet organisme a la charge de la formation des conseillers d’orientation psychologues, directement pour les personnes formées à Paris, indirectement car il organise la formation dispensée dans les centres universitaires de formation à Aix- en-Provence, Lille et Rennes.

Son offre de formation continue est en outre destinée à tous les professionnels de l'orientation des jeunes et des adultes en vue d'actualiser leurs compétences en matière d'observation, de conseil, d'accompagnement des processus d'insertion professionnelle et des démarches d'élaboration de projets.

L'INETOP développe des stages qualifiants et diplômants. Il propose ainsi en formation continue un master professionnel « Psychologie et pratiques de l'orientation », destiné aux personnes qui exercent dans les structures d’orientation, et principalement dans les Missions locales et les CIBC.

Pour conclure, les interlocuteurs rencontrés, représentants des grands réseaux ou responsables institutionnels, s’accordent dans leurs discours sur la volonté de décloisonner les différents réseaux, et de construire un professionnalisme basé a minima sur une « culture commune » partagée par l’ensemble des professionnels de l’orientation (via des échanges de personnels, des partages d’expériences, des formations communes). C’est également une des préconisations du rapport du CCRFP (Reignault 2004), traduite par la mise en place de formations transversales aux différents professionnels et réseaux intervenants sur ce champ. Selon ce rapport, un plan de formation commun à tous les personnels serait le moyen de construire une culture commune, base de la professionnalisation des équipes.

Ces volontés affichées passent néanmoins difficilement le stade de la réalisation, en dehors de pratiques localisées et d’initiatives régionales. C’est le cas de la démarche de professionnalisation mise en œuvre en région PACA.

Ce dispositif de professionnalisation, financé par l'État et la Région avec le soutien du FSE, poursuit pour 2005 la politique de professionnalisation impulsée depuis 1996 par la DRTEFP PACA. Ce dispositif s'adresse à tous les acteurs de l'orientation, de la formation et de l'insertion intervenant dans le domaine de la formation professionnelle continue de la région Provence-Alpes-Côtes d'Azur. Il est composé d’actions courtes de perfectionnement et de formations diplômantes, financées en partie par l’État dans le cadre du contrat de plan État/Région, l’autre partie restant à la charge de l’organisme. Une convention a également été signée avec les Missions locales pour la certification de niveau III des conseillers ainsi qu’avec l’Afpa. Conseillers auprès des demandeurs d’emploi ou auprès des salariés partagent néanmoins le même objectif implicite dans le contenu des prestations : amener les individus à être « autonomes ». Cette autonomie serait la condition de transitions réussies. Une autonomie pour une décision d’orientation en quelque sorte « délibérée », c’est-à-dire à la fois libre et éclairée par sa mise en débat. En ce sens, l’horizon des représentations et des valeurs à partir duquel les professionnels guident leur propre action, renvoie d’abord à la dimension éducative de l’orientation, nourrie des enseignements de la psychologie. Sur le registre des compétences mobilisées, un relatif consensus des acteurs rencontrés fait état de la nécessité d’une double compétence, psychologie/économie (qui se traduit finalement par une connaissance des réalités du marché du travail) nécessaire au travail d’orientation, ceci afin de gérer les tensions entre les aspirations de la personne et les réalités du marché du travail, tensions au cœur de l’orientation professionnelle.

Mais cet horizon – l’autonomie – est aujourd’hui plus qu’hier pensé en situation d’interdépendances aux réalités du marché du travail et des « injonctions » institutionnelles. Les praticiens, aux profils aujourd’hui diversifiés, semblent plus qu’avant intégrer à leur corps de « normes » professionnelles les dimensions économiques (adaptation au marché du travail) et sociales (traitement du chômage et des freins sociaux à l’emploi) des problématiques des personnes au regard de l’emploi : ils assignent à leurs pratiques de nouvelles fonctions. De nouvelles professionnalités se font jour : ingénierie de parcours, connaissances des sources multiples de leur financement, etc. À l'aune des observations que nous avons faites, nous avons évoqué le glissement de l'orientation vers l'accompagnement, non seulement comme pratiques mais comme cadre organisant ces pratiques. Aux termes de cette étude, il apparait que ces notions sont polysémiques y compris pour les professionnels. Mais elles sont toutes deux et de plus en plus mises au service de la mobilisation des personnes (de l'activation pour les chômeurs) par l'affirmation d'une finalité, le retour rapide à l'emploi.