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II. QUELLE PROFONDEUR ET QUELLES NUANCES ATTRIBUER AUX PERSONNAGES FEMININS ?

II.5. Les autres femmes adultes, une incompétence symptomatique

II.5.1. Professeures

Certaines œuvres de notre corpus jouent dans un cadre scolaire sans que n’apparaisse une seule fois un adulte encadrant, comme c’est le cas dans Kung-Fu im Turnschuh et Peau noire, peau blanche. De plus, la proportion d’enseignants masculins est bien plus grande que dans la réalité : sur 9 enseignant·e·s, quatre sont des hommes (Tandem, Vive la France !, Fett Kohle et Max und die wilde 7), soit 44%, alors qu’en réalité « 80 % des professeur·e·s des écoles sont des femmes. »223 D’une part, placer des hommes dans un métier devenu très féminin, mais qui ne l’a pas toujours été, peut être considéré comme une avancée ; d’autre part, représenter la figure d’autorité dans le monde scolaire comme masculine enlève en quelque sorte de l’autorité à l’image de la « maîtresse ».

Comme pour les mères et les filles, les enseignantes sont graphiquement représentées avec des attributs typiquement féminins : Dans Le mensonge, l’institutrice est en robe avec des talons hauts ; Dans Coolman und ich, elles portent toutes les deux une jupe et les cheveux longs. Par ailleurs, on peut remarquer que la répartition professionnelle dans Coolman und ich respecte les stéréotypes et la réalité puisque, sur les trois

adultes qui exercent un métier, les deux femmes sont enseignantes et l’homme est photographe.

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K. Bertrand, Les inégalités femmes-hommes à l’Education Nationale, Master EGALES, Lyon 2 2014 : http://egaligone.org/2014/12/08/les-inegalites-femmes-hommes-a-leducation-nationale/ [consulté le 10.04.2018]

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L’enseignante dans Le Mensonge apparait uniquement sur l’image, dans une liste de situations quotidiennes où le narrateur textuel se contente de répéter « [le mensonge] est toujours là »224. On la reconnait comme professeure à sa position, assise sur le bureau devant le tableau noir. Son visage et son buste sont cachés en grande partie par le mensonge « toujours là », si présent qu’il empêche même l’héroïne et narratrice de percevoir son enseignante et le narrateur textuel de

l’évoquer. Le personnage faillit donc dès le tout début, incapable de s’imposer dans le texte ou de couvrir le mensonge.

L’enseignante dans Coolman und ich est présentée en opposition à sa collègue. Sur l’illustration, la « maîtresse des dinosaures »225 est représentée blonde, avec une queue de cheval et une frange en bataille, souriante, en robe et ballerines rouges (p.14), elle est décrite dans la narration en interne comme « jeune et l’air sympa. »226. Son image la rend sympathique et elle est marquée positivement dans le système axiologique du narrateur interne et héros, Kai. Au contraire, la « maîtresse des grenouilles »227 est représentée

les cheveux bruns coupés au carré, en jupe violette, chemise et ballerine bleues, gilet rose, avec des lunettes carrés. Elle sourit (p.14), mais elle est décrite comme « plus âgée et ayant l’air sévère »228. (Il le répète dès la page suivante : « La maîtresse sévère »229.) De près, elle a un nez en bec d’aigle (p.16). Son apparence (coupe au carré, lunettes carrées, bec d’aigle) confirme la sévérité que lui prête Kai. « Espérons qu’on soit chez les Dinos! » 230 chuchote Coolman à Kai. Sur l’illustration, Coolman est représenté se baissant, les yeux ronds, il lève les mains au ciel. Dès le début, la maîtresse des grenouilles est donc présentée comme le personnage-type de la maîtresse sévère et marquée négativement dans le système axiologique du narrateur et dans celui de Coolman. Pourtant, l’illustration ne confirme pas cette impression : ses vêtements et sa physionomie ne sont pas particulièrement stricts.

Plus tard, la maîtresse est tournée au ridicule. Elle est d’abord représentée dépassée par le chaos provoqué par Coolman et Kai (p.28) : elle se tient en arrière-plan, avec une

224 Le Mensonge, op.cit. : p.20. 225

« Die Lehrerin der Dinos » Coolman und ich, op.cit.: p.15. 226

« ist jung und sieht nett aus. » Idem. 227

« Die Lehrerin der Frösche » Idem. 228

« älter und sieht streng aus » Idem. 229

« Die strenge Lehrerin » Ibid. p.16. 230

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expression d’affolement, les mains devant le visage. Puis, elle gronde Kai pour avoir gêné la photo de classe (« Harry, tiens toi tranquille maintenant. »231), mais Kai a écrit un faux prénom (Harry) sur sa pancarte sur conseil de Coolman (« Si tu fais des bétises, ce sera [un autre] qui sera puni. »232) ; en utilisant le faux prénom, elle prouve qu’elle s’est laissée berner, ce qui fait jubiler Coolman. Le savoir-faire pédagogique de l’enseignante est donc également marqué négativement dans la narration.

L’enseignante dans Je porte la culotte, le jour du slip, Mme Hamah, n’est pas décrite physiquement. Dans Je porte la culotte, ses yeux « s’agrandissent jusqu’à occuper tout son visage puis prennent une couleur étrange jaune-vert avant d’afficher de gros points d’interrogation tout noirs »233 en voyant la coiffure de Laëtitia Taponi. La description est surréaliste, soulignée par l’usage de l’adjectif « étrange » et du verbe « afficher », usage erroné pour les yeux. Elle les « écarquille » encore quand Coco ne s’installe pas à sa place habituelle.234 Elle est donc traitée sur un ton humoristique moqueur et par une métonymie, ses yeux figurant toute sa personne.

Dans Le jour du slip, les verbes associés à l’enseignante renvoient à des formes d’autorité (« crie »235, « [l]’a remise à sa « vraie » place »236, « [l]’interroge »237). De plus, Coco réalise qu’elle « [l]’interroge moins souvent que d’habitude. Et quand elle le fait, et qu’[elle] réponds juste, elle a l’air étonnée. »238 Il s’agit donc ici de souligner les différences de traitement entre garçons et filles. Pour autant, cela marque négativement l’enseignante.

231

« Harry, jetzt halt doch mal still. » Ibid. p.30.

232 « Wenn du Mist machst, kriegt [ein Anderer] den Ärger. » Ibid. p.22. 233

Je porte la culotte, op.cit. : p.19. 234

« Décidemment, Mme Hamah va perdre ses yeux à force de les écarquiller comme ça. » Ibid. p.20. 235

Le jour du slip, op.cit.: p.13. 236 Ibid. p.15 237 Ibid. p.16 238 Idem.

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L’enseignante dans Fett Kohle, Mme Meyer-Kowalke, est la professeure principale et la professeure d’allemand de Niklas. Elle représente une figure d’autorité aux yeux de Niklas, puisque c’est elle qui prévient ses parents de ses absences et c’est également à elle qu’il pense quand il fait l’école buissonnière. (« Peut-être que Mme Meyer-Kowalke comprendra cette fois, pourquoi je fais l’école buissonnière. »239) Elle a des cheveux « noirs très courts. »240 Cette description est suivie de deux jugements de valeur : L’un de la part de Hatice « Elle était chez le coiffeur. (…) Ca lui va bien. »241, l’autre de la part de Niklas : « Heureusement notre prof principale ne se coupe pas les cheveux elle-même, comme maman. »242 Ces deux jugements marquent positivement le savoir-jouir (son goût en matière de coiffure) et le savoir-faire de la professeure (elle va chez le coiffeur plutôt que de se couper les cheveux elle-même). Son portrait reste cependant largement incomplet et cette incomplétude n’est pas compensée.

Quelques pages plus tard, une scène relate comment le héros et son meilleur ami tombent sur elle en pleine nuit. La professeure leur remonte aussitôt les bretelles : « Vous savez quelle heure il est ? (…) Ne me raconte pas des salades, Niklas (…) Et ne me prend pas pour une idiote ! Vous marchez dans la mauvaise direction. (…) Pourquoi j’ai l’impression que vous avez quelque chose en tête ? »243 Ces paroles provoquent l’embarras chez le narrateur, surpris en flagrant délit : « J’étais comme paralysé de frayeur. »244, « Je me raclais la gorge. »245, « je déglutis »246. Loin de se laisser mener par le bout du nez, la professeure raccompagne Niklas jusqu’à devant sa porte. Cette scène illustre l’inquiétude et le sens du devoir du personnage. De plus, le respect que Niklas lui témoigne valorise son attitude dans son système axiologique. Cependant, elle se retrouve dans la fonction d’opposante au plan des garçons et ne parvient d’ailleurs pas à les empêcher de ressortir aussitôt pour le mettre à exécution. Son rôle se limite donc à celui d’un garde-fou qui avertit Niklas, directement ou par discours interposés.

On peut en conclure que toutes ces enseignantes ont comme point commun d’échouer dans leur fonction : Celle de Le mensonge ne parvient même pas à atteindre son élève ; celle de Coolman und ich est marquée négativement et incapable de tenir sa classe ou de réaliser la supercherie ; celle Je porte la culotte, le jour du slip traite différemment les garçons et les

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« Vielleicht versteht Frau Meyer-Kowalke es dieses Mal, warum ich schwänze. » Fett Kohle, op cit. : p.84. 240

« Ihre schwarzen Haare waren ganz kurz. » Ibid. p.129. 241 « Sie war beim Friseur. (…) Sieht gut aus! » Idem. 242

« Zum Glück schnitt sich unsere Klassenlehrerin die Haare nicht selbst, so wie Mama. » Idem. 243

« Wisst ihr, wie spät es ist ? (…) Schwindle mich nicht an, Niklas (…) Und halte mich nicht für blöd! Ihr lauft in die falsche Richtung. (…) Wieso habe ich das Gefühl, dass ihr irgendwas im Schilde führt? » Ibid. p.133.

244

« Ich war vor Schreck wie gelähmt » Idem. 245

« Ich räusperte mich. » Idem. 246

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filles ; et celle de Fett Kohle, bien que plus profonde et réaliste que les autres, échoue à empêcher ses élèves de faire une bêtise.