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Professeur, Université de Neuchâtel, et avocat Introduction

La représentation et l’accompagnement juridique du mineur en situation de migration – plus particulièrement du mineur non accompagné (MNA) – ne sont actuellement pas satisfaisants1. L’articulation entre la personne de confiance, le

curateur/tuteur et le représentant juridique n’est guère évidente2. Il existe des

disparités entre les cantons3 et certains s’étonnent que le représentant légal soit

autorisé à ne pas assister à une audition4.

Dans les lignes qui suivent, par quelques considérations relatives aux enjeux de notre thématique, on tentera de donner quelques pistes de réflexion pour justifier les mesures qui nous paraissent être les plus à même à donner corps et consistance au droit d’être entendu de l’enfant au sens de l’art. 12 de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant (CDE).

L’enjeu

L’enjeu est, par définition, ce qu’une personne a à gagner ou à perdre, dans une activité, une entreprise donnée. L’enjeu est toujours un enjeu pour quelqu’un.

Dans notre contexte, l’identification des enjeux nous amène à nous poser la question suivante : pour un acteur donné, qu’a-t-il à gagner ou à perdre avec la représentation et l’accompagnement juridique du mineur en situation de migration ? L’enjeu pour le mineur

Le mineur en situation de migration a beaucoup à gagner avec la représentation et l’accompagnement juridique.

En effet, présumé fragile et vulnérable compte tenu de sa minorité et de son statut de personne prise dans l’engrenage de la migration, l’enfant dont il est question

* On remercie notre doctorant, M. Matthieu Corbaz, auteur d’une thèse à paraître sur les mineurs non accompagnés en droit d’asile, de nous avoir mis à disposition ses travaux et ses éclairages pour la rédaction de cette contribution. C’est à lui que doit revenir la paternité des conclusions formulées à la fin de notre texte.

1 Voir notamment la Charte des mineurs non accompagnés, 2014.

2 L’OTest prévoit, à son art. 5 al. 1, que dans un centre de la Confédération, le représentant juridique endosse également le

rôle de la personne de confiance.

3 Recommandations relatives aux enfants et aux jeunes mineurs non accompagnés dans le domaine de l’asile de la CDAS, du

20 mai 2016, p. 7.

4 Cette pratique se fonde sur une vieille jurisprudence de l’ancienne CRA, JICRA 1999 n° 18 (le droit de l’enfant d’être entendu

44 ici a besoin de l’intervention d’une autre personne, présumée solide, compétente et capable de l’orienter non seulement dans ses choix de vie mais également dans les méandres du droit des personnes étrangères et de son application.

Mais ce que le mineur a à perdre, c’est que le représentant ou l’accompagnateur juridique ne soit pas à la hauteur de la tâche qui lui est confiée. Par exemple, parce qu’il ne dispose pas des compétences requises, qu’il soit débordé ou qu’il n’arrive plus à suivre les développements d’un droit de plus en plus complexe et changeant.

L’enjeu pour l’Etat

Si on déplace l’angle de vue, on se rend compte que, du côté de l’Etat, l’identification des enjeux est un exercice délicat.

En effet, l’Etat est un mot qui renvoie à une réalité complexe.

L’action de l’Etat se déploie sur plusieurs plans : l’international, l’européen, le fédéral, l’intercantonal, le cantonal, l’intercommunal ou encore le communal.

Les acteurs étatiques sont de plusieurs ordres : l’Etat agissant au plan international, le Constituant, le Législateur, l’Exécutif et son administration ou encore le Judiciaire.

Il serait fastidieux d’examiner toutes les situations. Pour les besoins de cette brève contribution, on se contentera de quelques exemples.

En tant qu’acteur au plan international, la Suisse a agi dans le cadre de notre thématique. Elle a donné, souverainement, sa parole pour que l’art. 12 CDE devienne réalité dans notre ordre juridique. Voici le libellé de cette norme :

1. Les Etats parties garantissent à l'enfant qui est capable de discernement le droit d'exprimer librement son opinion sur toute question l'intéressant, les opinions de l'enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité.

2. A cette fin, on donnera notamment à l'enfant la possibilité d'être entendu dans toute procédure judiciaire ou administrative l'intéressant, soit directement, soit par l'intermédiaire d'un représentant ou d'un organisme approprié, de façon compatible avec les règles de procédure de la législation nationale.

L’existence de ces deux paragraphes signifient que la Suisse a, au plan international, donné sa parole. Cette parole-là est d’une qualité particulière, en ce sens qu’elle est exprimée dans le cadre d’une convention et adressée à d’autres Etats contractants. Elle est différente d’une norme constitutionnelle, législative ou

45 réglementaire, car dans ces trois cas l’Etat se donne à lui-même une parole au travers du Constituant, du Législateur ou du Pouvoir réglementaire. Respecter la parole donnée au plan international (pacta sunt servanda, art. 26 CV) constitue un enjeu fondamental pour la Suisse. Ce qu’elle a à y gagner ou à y perdre, c’est sa crédibilité, la confiance que les autres Etats ont en elle et par là même son pouvoir d’action au- delà du territoire helvétique. Autrement dit, et pour revenir à l’art. 12 CDE, donner corps et consistance à cette norme conventionnelle, c’est aussi faire honneur à la souveraineté de la Suisse et, en même temps, contribuer à sa crédibilité au plan international.

L’existence des deux susdits paragraphes signifient aussi que le droit d’être entendu de l’enfant ne sert pas seulement son intérêt mais également l’intérêt public. La raison en est simple : pour agir, c’est-à-dire appliquer les normes de droit public qui sont impératives, n’importe quelle entité publique a besoin d’informations. Par exemple, pour déterminer si une personne a ou non la qualité de réfugié (art. 1 CR, art. 3 LAsi – normes impératives), le Secrétariat d’Etat aux migrations et, sur recours, le Tribunal administratif fédéral, doivent disposer de données fiables et en quantité suffisante. Lorsqu’il s’agit d’un requérant d’asile mineur, il est indéniable que la qualité et la quantité des éléments qu’il livre aux autorités sont meilleures s’il bénéficie d’une représentation et d’un accompagnement juridique adéquats. En d’autres termes, ce que l’Autorité administrative et le Juge administratif ont à gagner ou à perdre (l’enjeu pour chacun d’eux) c’est non seulement le droit d’être entendu du mineur (respect de l’art. 12 CDE) mais également la correcte application du droit public impératif grâce aux informations recueillies.

Quelques conséquences pour le requérant d’asile mineur non accompagné en guise de conclusion

Nous avons pu identifier quelques enjeux et devons maintenant en tirer les conséquences.

Au plan interne, il existe plusieurs normes qui mettent en œuvre le droit d’être entendu au sens de l’art. 12 CDE, à savoir :

 art. 17 al. 3 LAsi,  art. 7 al. 2 à 4 OA1,  art. 5 OTest,

 art. 17 al. 3 nLAsi, ainsi que, de façon plus générale les art. 102f à 102k nLAsi dont l’entrée en vigueur est prévue courant 2019.

Plus concrètement, pour le requérant d’asile mineur non accompagné, il est question de personne de confiance, de curateur/tuteur et du représentant juridique. Privé de parent-s, il est désormais face à trois figures qui n’apparaissent pas nécessairement en même temps ni ne subsistent parallèlement jusqu’à la fin. La personne de confiance précède le curateur/tuteur, mais il peut arriver que cette mesure, destinée à être limitée dans le temps, perdure. Une personne peut endosser

46 à la fois le rôle de représentant juridique et de personne de confiance de même que le juriste du droit d’asile (représentant juridique) est aussi compétent pour assurer la communication avec les autorités, les établissements de santé ou encore, dans des cas particuliers, dispose de surcroît des qualités de psychologue (personne de confiance).

Comme mentionné en introduction, la situation actuelle n’est guère satisfaisante.

A notre sens, au-delà des difficultés liées au fédéralisme d’exécution, à l’organisation administrative ou encore au coût généré par la représentation et l’accompagnement juridique des MNA, on devrait, compte tenu des quelques enjeux identifiés plus haut, à savoir :

 l’intérêt supérieur de l’enfant,

 le respect de la parole donnée au plan international (crédibilité de la Suisse et confiance des autres Etats en elle),

 le respect de la souveraineté qui s’est exprimée au travers de l’adhésion à la CDE,

 l’intérêt public d’une correcte application du droit objectif impératif au moyen d’informations fiables et en quantité suffisante.

Donner véritablement corps et consistance à l’art. 12 CDE en : 1. supprimant la figure de la personne de confiance ;

2. ordonnant la mesure de curatelle/tutelle dès le dépôt de la demande d’asile et en la généralisant dans tous les cantons ;

3. nommant un représentant légal dès le dépôt de la demande d’asile et en l’obligeant à assister à toutes les auditions.

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Health care challenges for children and