Quelques études, d’origines diverses, se sont déjà penchées sur la nature de la
relation de l’individu à ses objets. En approfondissant un peu plus avant cette
idée, nous postulons sur la base de nombreux indices, présentés en
introduction, que ces objets de consommation composent un système propre à
chaque consommateur à la base de sa communication par la consommation. Ce
système constituerait ainsi pour chaque individu un média ou un filtre
d’interaction avec le marché.
Nous exposons et décomposons les apports de champs de recherche souvent
disjoints, en prenant appui sur la métaphore linguistique, dans notre premier
chapitre. Ceux-ci nous permettent de mettre en avant les mécanismes mentaux à
l’origine de la constitution d’un système et d’exposer par quels processus
d’expression de Soi les individus investissent le champ de la mode. Les
négociations et revendications culturelles par le biais de la mode ont d’ailleurs
souvent été identifiées par les sociologues et exploités en marketing dans
l’approche de consommateurs partageant une certaine communauté de
« style ».
Mais nous n’oublions pas qu’à l’inverse du langage, le système de
consommation n’est pas qu’abstraction et nécessite, pour être pris en compte
dans l’expérience de consommation, que soient observés son fonctionnement et
sa structure au cours de l’interaction organisé/organisant. Le deuxième
chapitre explore ces aspects au cours de l’expérience d’utilisation du système
d’objets ainsi nommé « garde-robe ».
Enfin, parce que l’être humain est un sujet pensant à la recherche de sens,
raison pour laquelle l’expérience ne se réduit pas à une interaction vide, notre
étude poursuit dans le chapitre trois l’analyse de la mise en œuvre du sens
durant l’expérience d’utilisation avec le système de consommation.
Chapitre 1. Vers l’expérience à travers une grammaire des objets
L‟homme construit son rapport au monde en utilisant un grand nombre de
médias parmi lesquels les objets. Pour nombre d‟auteurs, de philosophes et
d‟intellectuels, en particulier français, cette base de réflexion a permis l‟émergence et
le développement de théories à la reconnaissance mondiale (Sartre J.P., 1943 ;
Foucault M., 1966 ; Moles A., 1972 ; Baudrillard J., 1968 ; Barthes R., 1985). Ce
rapport de l‟homme aux Objets et aux Choses a été étudié de manière profonde. Si ces
ouvrages sont régulièrement évoqués dans le champ du marketing et du comportement
du consommateur, le questionnement des chercheurs dans ce domaine s‟est toutefois
essentiellement focalisé sur la projection, la construction ou la stabilisation du « Soi »
au travers des objets. D‟autres champs, comme la sociologie ou la psychologie, ont
envisagé le rapport aux objets de différentes manières comme par exemple par la
catégorisation, souvent exploitée en marketing pour l‟étude des objets abstraits que
constituent les marques. Toutefois, la multiplicité de ces approches nous interroge sur
leur degré de convergence et de cohérence. Les stratégies de réception, d‟interprétation
du marché par le consommateur qui se prolongent par son assimilation naturelle des
biens dans son propre projet identitaire (Arnould E.J. et Thompson C.J., 2005)
constituent un enjeu crucial de compréhension. Observer le marché et l‟interprétation
qui en est faite par les acteurs permet de comprendre le fonctionnement des sociétés
dans le rapport de la production et de la consommation. Cette analyse sociale,
économique et culturelle qui tient compte des impératifs de la vie privée et publique
dénonce les choix et les normes de la culture matérielle. Pour le chercheur en
marketing comme pour les managers en entreprise, la nécessité de compréhension
globale et culturelle du marché est déterminante, sous peine de déconnexion du
marché.
En tant que fait social global, le vêtement pose très distinctement la question de
l‟adaptation de la production face à la demande. François de Garsault, dans « l‟Art du
tailleur », publié en 1769 (cité par Roche D, 1997, p. 213), invite à comprendre ce
cheminement complexe : « de la nécessité de se couvrir on est parvenu à la grâce du
vêtement sous des formes différentes, à la distinction des peuples, et parmi chacun à
magnificence ». Du social à l‟individuel, c‟est un terrain de choix pour comprendre
comment les pratiques identifiées dans des possessions doivent être replacées dans une
analyse globale du marché et de la société. Questionner notre civilisation matérielle, au
sens de la Consumer Culture Theory (Arnould E.J. et Thompson C.J., 2005) nécessite
de croiser, voire de consolider différentes approches. Le courant de recherche de la
CCT a d‟abord été initié outre-Atlantique : s‟appuyant sur les « aspects socioculturels,
expérientiels, symboliques et idéologiques de la consommation » (Arnould E.J. et
Thompson C.J., 2005, p.868), ce courant s‟attache à élargir la compréhension des
phénomènes de consommation. Il a ainsi donné naissance à de nouveaux concepts qui
ont contribué à renouveler et structurer la recherche en comportement du
consommateur, en France comme à l‟étranger. La recherche française a en effet suivi
parallèlement une évolution similaire, marquée par des interrogations postmodernes,
interprétatives et expérientielles et a contribué à la production globale de
connaissances sur les divers thèmes de la CCT, aussi bien en termes méthodologiques
que de résultats conceptuels (Özçağlar-Toulouse N. et Cova B., 2010). Dans cette
perspective culturelle de la consommation et de façon à envisager l‟ensemble des
recherches menées aussi bien dans le champ du comportement du consommateur que
dans les champs connexes que sont la sociologie, la psychologie environnementale,
comportementale ou la linguistique, nous nous attacherons à développer les éléments
contingents de ces divers courants de recherche qui se nourrissent souvent les uns les
autres. Nous nous proposons d‟établir ici les éléments de description et de
compréhension de l‟Objet du consommateur, c‟est à dire du Produit pour le producteur
ou le distributeur. A l‟image du grammairien Pierre Ramus que cite Michel Foucault
(1966, p.50) et dans une distinction reprise par les sémioticiens d‟Outre-Atlantique
(Morris C., 1938, cité par Holbrook M.B., 1987, p.88) nous éclairons ici l‟analogie
profonde entre le langage des objets et plus précisément celui de l‟habillement, et le
langage courant. Notre démarche volontairement syncrétique et délibérément
linguistique nous permet d‟introduire et de consolider les différentes approches
retenues dans un cadre de compréhension structurant auquel il nous sera possible de
faire référence tout au long de notre travail. Avançant pour cela au-delà de la simple
métaphore habituellement usitée nous définissons les contours et le contenu d‟une
grammaire de l‟habillement, en elle-même sujet d‟étude. Cette approche permet de
réhabiliter le vécu du consommateur dans la construction de sa singularité, non pas à
travers la langue car cette langue est, peu ou prou, nous le verrons, universelle, mais
dans la production de son discours, nécessairement unique car conçu de manière