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Préparer un dîner ou un discours sont tous les deux des actes sémiotiques parce qu‟ils sont tous les deux porteurs de sens, codé s par une culture, pour eux et pour leurs

récepteurs. La syntaxe crée des contraintes sur les items qui, une fois manipulés

ensemble, rendent possible une sémantique par la contribution que chacun des

éléments pris séparément apporte comme sens à l‟ensemble (le lapin dans l‟imagier de

la ferme et le lapin de « Bambi » ne véhiculent pas le même discours car ils ne sont pas

les produits de la même intention de sens). La pragmatique reconnaît l‟intention et le

contexte d‟émergence du signe par le consommateur : un ensemble d‟éléments

disparates devient unique.

Il existe plusieurs façons d‟envisager les objets « écrits ». Pour Roland Barthes,

ce sont les discours de la presse écrite, des romans ou des films autour des vêtements.

Le vêtement image est le vêtement photographié ou dessiné. Pour Jean Baudrillard, ce

sont les objets dans leur discours global : « ce que se disent les objets les uns aux

autres » (Baudrillard J., 2000, p.11) dans le monde du consommateur. Il en ira de

même pour nous et nous envisagerons le fait de discours du vêtement dans les vies

ordinaires des consommateurs, tels qu‟ils se donnent à lire lorsqu‟ils sont portés.

Nous distinguerons ainsi l‟habillement, fait de l‟individu, qui s‟approprie ce qui

lui est proposé par le groupe, du costume ou du vêtement qui sont des éléments d‟un

système formel et normatif consacré par la société. « Les faits primitifs de protection,

de parure, de pudeur ne deviennent faits de vêtements que par la reconnaissance des

différents groupes sociaux et à travers leur langage ». (Roche D. 1997, p. 210). Pour

exemple, la mode elle-même n‟a pas toujours signifié la même chose. Au VII

ème

siècle,

elle désigne la coutume, le conformisme des usages et des façons de faire, et

secondairement, tout ce qui change selon le moment et le lieu. C‟est ce second sens qui

aujourd‟hui s‟est étendu à la société avec le même cortège d‟interrogations sur son

bien-fondé. Car « c‟est au moment où la Civilisation des mœurs et de la Cour arrive à

son apogée que la mode est interrogée par la valorisation de l‟artificiel ; car la mode,

qui associe et qui distingue, construit désormais autant d‟identités individuelles que de

personnalités collectives. Le divorce du paraître et de l‟être devient un lieu commun de

la philosophie avec Rousseau. » (Roche D., 1997, p. 270). Dans le langage courant de

notre société actuelle, mode et habillement ont fusionné (Lipovestky G., 1987). La

mode renvoie aujourd‟hui simultanément à l‟usage du vêtement dans une société

donnée en même temps qu‟à son exploitation par l‟industrie de l‟habillement au travers

des tendances. Il n‟existe aucun moyen de s‟y soustraire, et quand bien même l‟on

chercherait à adhérer le moins possible aux « tendances », ceci reste un acte de

positionnement dans la société au travers d‟un ensemble précontraint. Support du moi,

l‟habit se révèle aussi dans ce que tisse imperceptiblement son agencement particulier

et dont seule l‟histoire personnelle permet de déchiffrer l‟entière signification.

Souvent, il est envisagé aussi dans son rôle « restaurateur » d‟une identité malmenée

dont la fêlure s‟énonce au niveau de la représentation sociale, comme en atteste la

dévotion pour les vêtements griffés ou des marques, ou encore quelquefois la course

aux modèles de luxe. Cette vision prolonge l‟analyse de Belk R.W. (1988) pour qui les

possessions matérielles peuvent être considérées comme l‟extension du Soi, dans la

mesure où les individus s‟investissent psychologiquement dans leurs possessions car

celles-ci contribuent à rendre une consistance physique et à structurer l‟identité

individuelle. Nous soulignerons que la contribution des biens matériels à l‟identité

individuelle doit être complétée par l‟analyse du rôle des biens matériels dans la

construction de l‟identité sociale. Richins M.L. (1994b) insiste par exemple sur la

nécessité de distinguer les significations publiques et privées des biens matériels que

les individus valorisent. Les possessions matérielles ont ainsi naturellement vocation à

participer à l‟expression de l‟identité sociale. Douglas B. et Isherwood M. (1979)

poussent le raisonnement encore plus loin. Ils font la proposition selon laquelle

l‟activité de consommation est une manière de s‟inscrire socialement et qu‟à l‟inverse

ne pas être en mesure de consommer conduit à l‟exclusion sociale. Les possessions

sont alors le moyen d‟engager avec autrui des échanges de significations.

I. Des objets aux possessions

L‟objet possédé ne peut pas être une médiation pauvre. Il est toujours d‟une

singularité absolue. Non pas de fait : la possession de l‟objet « rare », « unique », est

évidemment la fin idéale de l‟appropriation ; mais d‟une part la preuve que tel objet est

unique ne sera jamais faite dans un monde réel, d‟autre part, la subjectivité se

débrouille fort bien sans cela. Sa singularité absolue lui vient d‟être possédée par moi –

ce qui me permet de me reconnaitre en lui comme un être absolument singulier.

« Tautologie majestueuse, mais qui fait toute la densité de la relation aux objets, sa

facilité dérisoire, son illusoire, mais intense gratification. » (D‟après Baudrillard J.,

1968, p. 217-218)

L‟environnement d‟objets privés et leur possession est une dimension aussi

essentielle qu‟imaginaire de nos vies. Il est certain que s‟il était possible de priver

quelqu‟un de cette évasion-régression dans le jeu possessif, s‟il était empêché de se

tenir son propre discours dirigé, de se décliner soi-même hors du temps à travers les

objets, le déséquilibre serait immédiat. Les objets nous aident à résoudre cette

irréversibilité de la naissance vers la mort. A travers le jeu complexe du « recyclage »

de la naissance et de la mort dans un système d‟objets, l‟homme trouve, non pas

l‟assurance de survivre, mais de vivre dès maintenant continuellement sur un mode

cyclique et contrôlé le processus de son existence et de dépasser ainsi symboliquement

cette existence réelle dont l‟événement irréversible lui échappe. (D‟après Baudrillard

J., 1968, p.135-136) « On comprend mieux ainsi la structure du système possessif : la

collection est faite d‟une succession de termes, mais le terme final en est la personne

du collectionneur. Celle-ci est constitutive de la possession de l‟objet, c‟est-à-dire de

l‟intégration réciproque de l‟objet et de la personne. » (Baudrillard J., 1968,

p.127-128) idée reprise dans le champ du marketing par Russel W. Belk à de nombreuses

reprises (Belk R.W. et Bahn K., 1982 ; Belk R.W. et al, 1988). « De cette discussion

nous retiendrons l‟idée que les objets non utilitaires collectés ou collectionnés sont