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L‟analyse des lignes, plans, couleurs, motifs, reliefs des photographies des silhouettes réalisées par les consommateurs par l‟identification de qualités formelles et

chromatiques qui par leur apparition ou disparition, association ou suggestion (cf.

grille d‟analyse en Annexe 10) a permis de reconstituer une logique de

non-continuation ou de non-disnon-continuation que l‟objet contient dans sa forme plastique et

dans son agencement. Cette approche rejoint l‟analyse de Jean-Marie Floch (1995) que

l‟opposition classique versus baroque (cf. Encadré 5) permet de synthétiser et dont

voici une adaptation illustrée.

Encadré 4.Vision classique et vision baroque

1.Tout d‟abord, nous devons indiquer que le classique et le baroque ne seront pas définis ici

comme des époques de l‟histoire de l‟art occidental (en gros, le XVI et XVIIème siècle) mais comme des « visions » ou « optiques » cohérentes » […].

2. Ensuite, il nous faut préciser que, pour définir ces visions, nous reprenons les travaux de

l‟historien et théoricien de l‟art Heinrich Wölfflin, et nous aurons donc à rappeler les cinq

catégories qui, selon lui, font reconnaître le classique et le baroque comme deux visions contraires. 3. Enfin, nous devons justifier en quoi de telles visions représentent de véritables sémiotiques. Sinon tout ce que nous dirons plus loin du « classicisme » de Chanel n‟aurait rien de sémiotique. Or l‟approche sémiotique est notre approche; et c‟est cette approche de l‟identité visuelle qui est

l‟objet même de cet ouvrage. Concrètement, cela veut dire que nous devons montrer en quoi les visions classique et baroque peuvent être considérées comme de véritables sémiotiques, dotées

chacune d‟un plan de l‟expression et d‟unplan du contenu. […]

Quelles sont donc les cinq catégories qui permettent à H.Wölfflin d‟interdéfinir classique et

baroque : la ligne, le plan, la forme, l‟autonomie des parties et la gestion de la lumière.

Tableau 15. Synthèse des résultats non-continuité/non-discontinuité dans la représentation visuelle

VISION CLASSIQUE VISION BAROQUE

1

Linéaire : ligne contour signifiante

Vêtements unis ou de lignes précises, matières homogènes, moins de couleurs

Pictural : ligne simple élément de hachure Vêtements imprimés ou de lignes floues, mouvantes, plus de couleurs

2

Plans : division de l’espace en zones parallèles

Travail de couleurs contrastes, matières uniformes, plutôt beaucoup utilisées sur une même silhouette

Profondeur : mouvement prenant toutes choses en profondeur

Travail de couleurs fondues, matières souples, mélange de matières ou matières « trompe l’œil » comme les matières transparentes ou chatoyantes

3

Forme fermée : l’organisation plastique prend en compte les qualités du format

Forme ouverte : la forme (format) semble fortuite

4

Multiplicité : une (relative) autonomie est accordée aux différentes parties

Dans le look, les « objets » peuvent être associés les uns aux autres sans perdre de leur pouvoir signifiant individuellement (le tailleur, le chemisier, etc.)

Unité : toute partie perd son droit à une existence autonome

La construction du look se fait de manière « holiste » : les « objets » peuvent être « cassés » par la présence d’autres objets à la signification fortement différente pour former un sens plus général (les boots de sioux, le T-shirt « green » et la veste de smoking)

5

Clarté : la forme se dévoile dans sa totalité

Le but est de montrer la plastique de l’individu et de lui faire porter des valeurs signifiantes et homogènes entre elles « je suis ce que je montre »

Obscurité : la lumière ne coïncide plus avec la forme de l’objet

Le but est de montrer la plastique du vêtement et d’utiliser les valeurs signifiantes des objets comme message « je dis ce que je montre »

Source : adapté de Floch J.M. (1995), p. 72

« Ces régimes de visibilité sont réalité et pratique quotidiennes ; ce sont des

mobiliers systèmes (bureau, cloisons, dispositions des écrans) ce sont des mobiliers de

direction, des sas ou des comptoirs » vous dirait un designer ou un concepteur

d‟espace (d‟après Floch J.M., p.74). Plus généralement, « au delà des sujets traités et

des situations représentées, le classique traitera de la profondeur de l‟être-au-monde

selon une logique de non-continuation alors que le baroque le fera selon une logique de

non-discontinuation. » (Floch J.M., 1995, p.131-132). Les consommateurs s‟opposent

très nettement sur ce mode de représentation du temps. Toutes les silhouettes

proposées par chacun d‟entre eux appartenant très souvent à un seul régime de sens :

classique ou baroque, dont les caractéristiques sont synthétisées dans le Tableau 16.

Tableau 16. La non-continuité et la non-discontinuité comme métaphore du temps

Non continuité Non discontinuité

Préhension morcelée Linéaire

Unicité multiple

Mouvance, confusion et superposition Réalité unique

Unicité indivisible Source : d‟après Floch J.M. (1995)

Si l‟on admet que la profondeur est la forme sensible que prend la présence au

monde (cf. Figure 26) et « si l‟on admet d‟autre part que cette présence est l‟objet du

discours phénoménologique inhérent à toute esthétique », alors il est possible de

considérer que le classique, au-delà des sujets traités et des situations, traitera de la

profondeur de l‟être au monde selon une logique de non continuation c'est-à-dire « un

recul pris par le sujet sur un monde encore à portée de main » alors qu‟à l‟inverse pour

le baroque, selon cette logique de non-discontinuation, c‟est «l‟avancée d‟un monde

encore à portée d‟œil vers le sujet » (Floch J.M., 1990, p. 131). Il est en effet

impossible pour le consommateur d‟accéder au temps objectif durant son interaction et

son expérience (cf. Annexe 11).

Figure 26. La problématique de la présence au monde

Source : Floch J.M. (1995), p.131

Cette résonance du sensible à la conception du temps et donc du choix de

distanciation au monde s‟exprime dans le projet esthétique, c'est-à-dire de « l‟œuvre »

de l‟individu au sens de « l‟œuvre ouverte » (Eco U., 1979) et dévoile une composante

fortement structurante de l‟individu et de son mode d‟interaction dans l‟expérience.

Elle porte en effet en elle-même les dimensions physique : hédonico-sensorielle,

praxéologique : rapport au temps, et rhétorique à la fois socioculturelle bien sûr

puisqu‟il s‟agit de la valeur de signe incorporée dans l‟objet consommé au cours de

différentes situations de consommation (Heilbrunn B., 2008), et rhétorique construite

au fil de l‟expérience et de son « récit » dans l‟observation simultanée (Roederer C.,

2008, p.292).

III. Les « trajets » des consommateurs : une métaphore spatiale du rapport au