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4. Présentation des résultats

4.1.2. Productivité apparente du travail

Le calcul de la productivité apparente du travail par activité internalisée (production primaire, transformation le cas échéant, conditionnement et distribution) nécessite de mesurer la valeur ajoutée que ces activités génèrent par rapport à la vente en circuits longs. Pour ce faire, la valeur ajoutée a été calculée soit par un calcul théorique (dans le cas des exploitations maraîchères diversifiées), soit par des calculs basés sur des données réelles ou estimées par les producteurs enquêtés (produit-coûts). Les résultats obtenus des productivités du travail pour chaque activité (production, transformation, distribution) sont présentés dans le graphique 3.

Il est difficile de dégager une tendance, car, comme le montre le graphique 3, chaque cas semble singulier. On peut toutefois remarquer que la productivité apparente du travail des activités de production est souvent faible (E2, E3, E6, E7, E8, E10, E12, E13), entraînant dans certains cas une valeur ajoutée négative. Cette faible productivité des activités de production des exploitations dont l’axe principal de stratégie de mise en marché est les circuits courts (E1, E3, E4, E6, E7, E8, E10, E13) était prévisible, car tout le système est bâti en fonction de la valorisation par les activités en aval (transformation, vente directe, services d’accueil). Les exploitations qui utilisent significativement les circuits longs (E2, E5, E9, E11, E12) présentent de leur côté une productivité plus élevée en production (sauf les exploitations E2 et E12). Certaines nuances doivent toutefois être apportées. D’abord, les exploitations E2 et E12 sont spécialisées en pommes et vendent une part importante de leur production en circuits longs. Si leur productivité du travail en production est négative, c’est sans doute parce que le prix au producteur rentabilise difficilement les opérations de ces exploitations. Ensuite, si la productivité du travail élevée en production de l’exploitation E5 provient de la valeur ajoutée générée par la vente de céréales en circuits longs (maïs, soya, blé), la productivité du travail positive de l’exploitation E9 provient de la production d’ail et non de la vente de bœuf en circuits longs. Le lien entre utilisation des circuits longs et productivité du travail positive en production ne semble donc pas systématique. En fait, seule l’exploitation E11 apparaît réellement générer une valeur ajoutée significative avec sa production maraîchère via les circuits longs : cette entreprise forme d’ailleurs une compagnie de mise en marché avec un autre producteur afin de concentrer stratégiquement l’offre pour obtenir de meilleurs prix avec les grossistes et pour pouvoir accéder aux grandes surfaces; elle donc est en partie son propre distributeur.

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Toujours en ce qui a trait à la productivité apparente du travail de la production, il faut souligner les biais induits par notre choix de nous baser sur les références du CRAAQ, qui rappelons-le, sont calculées pour des exploitations spécialisées et en circuits longs. D’une part, certaines exploitations ont des pratiques très extensives avec de faibles coûts de production. En retranchant ces faibles coûts du produit moyen par hectare issu des références du CRAAQ, cela peut conduire à surestimer la valeur ajoutée de la production. C’est le cas par exemple de l’exploitation E4, laquelle est une petite exploitation maraîchère diversifiée vendant 100% de sa production en paniers. La productivité du travail de la production apparaît élevée alors que la productivité du travail de sa distribution semble négative, ce qui est une exception. Le second biais concerne les exploitations dont la valeur de production dépasse sans doute le produit moyen de référence du CRAAQ. C’est par exemple le cas de l’exploitation E3. En effet, le système de production de cette exploitation est très intensifié (sous tunnel) et ses coûts de production par hectare sont élevés. Dans ce cas, c’est la valeur du produit moyen qui est sous-estimée par notre mode de calcul, ce qui entraîne une valeur ajoutée de la production négative. Le tableau 12 présente les coûts de production spécifiques par hectare ainsi que la valeur ajoutée par hectare des exploitations maraîchères diversifiées ayant fait l’objet d’un calcul théorique.

Tableau 12 : Coûts de production spécifiques par hectare et valeur ajoutée théorique par ha, exploitations maraîchères diversifiées

Coûts de production par ha Valeur ajoutée théorique par ha

Conventionnel Biologique Conventionnel Biologique

E3 63 015$ -47 511$ E4 5 778$ 8 752$ E7 16 080$ -576$ E8 16 936$ -1 432$ E13 18 249$ -3 719$ Moyenne du CRRAQ 9 829$ 8 646$ 7 798$ 4 771$

En ce qui concerne la productivité apparente du travail pour les activités de distribution, elle apparaît positive pour les exploitations dont la stratégie principale de mise en marché est les circuits courts (E1, E3, E4, E6, E7, E8, E10, E13). Ce n’est toutefois pas le cas pour les exploitations E4, E10 et E13 : pour l’exploitation E4, comme nous l’avons vu plus haut, cela découle d’un biais dans le calcul théorique de la valeur ajoutée en production qui surestime la valeur ajoutée de la production; pour

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l’exploitation E10, cela s’explique par des coûts très élevés pour le conditionnement des boissons alcoolisées; pour l’exploitation E13, le démarrage récent des activités de l’exploitation explique de manière générale les difficultés économiques qu’elle rencontre. Pour les exploitations vendant presque entièrement leur production en circuits longs (E9, E11, E12), la productivité apparente du travail en distribution apparaît négative.

Quant à la productivité du travail en transformation, elle semble de manière générale négative dans le cadre de productions maraîchères. Cette sous-productivité s’explique dans la plupart des cas par des coûts de transformation très élevés. Seules les exploitations E5 et E10 génèrent une productivité positive. Pour l’exploitation E5, la valeur ajoutée sur les produits transformés n’est en définitive que de 2382$. En revanche, l’exploitation E10 qui produit des alcools artisanaux avec les fruits de son verger, semble très bien rentabiliser ses activités de transformation; il faut rappeler toutefois la grande part de travail bénévole (aucune charge salariale en transformation) au sein de ce système d’activité.

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Graphique 3 : Productivité apparente du travail dans chacune des activités internalisées (production, transformation, distribution) 1

E1 E2 E3 E4 E5 E6 E7 E8 E9 E10 E11 E12 E13

Distribution $15.70 $18.32 $86.31 $(5.08) $5.24 $53.81 $1.21 $11.35 $(16.64) $(6.09) $(14.01) $(1.63) $(27.44) Transformation $(8.36) $(25.57) $- $- $1.96 $(59.26) $- $- $- $12.82 $- $- $- Production $2.27 $(12.70) $(21.83) $7.80 $19.63 $(14.88) $(0.29) $(0.41) $7.64 $0.80 $8.79 $0.15 $(2.40) -60 $ -40 $ -20 $ 0 $ 20 $ 40 $ 60 $ 80 $ Pr od uct ivi té d u tr av ail (h /$)

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Le tableau 13 dresse le portrait de la diversification des exploitations, autant au niveau de la production, de la transformation, de la distribution qu’au niveau des autres services d’accueil offerts. A priori, il ne semble pas y avoir de lien direct entre le degré de diversification et la productivité du travail en production ou en transformation. En effet, la productivité du travail dans ces deux segments d’activité semble dépendre d’autres facteurs. Premièrement, la nature des produits cultivés apparaît jouer sur les performances des entreprise : par exemple, cultiver de l’ail en circuits longs semble plus rentable que de cultiver des pommes uniquement parce que le prix au producteur est plus intéressant et valorise donc mieux le travail des agriculteurs; transformer des alcools artisanaux (E1, E10) apparaît aussi plus rentable que de confectionner des conserves ou du vinaigre de cidre de pommes (E2, E6). Deuxièmement, la productivité du travail en production ou en transformation peut dépendre des modes de production : un système intensif sous tunnel aura certes une plus grande production, mais aussi plus de coûts à supporter (main d’œuvre, installations, etc.) qu’un système extensif en plein champ. Au final, ce qui importe c’est le ratio produit-coûts (création de richesse) : du moment que l’introduction d’une nouvelle production induit plus de coûts qu’elle ne génère de revenus, la productivité du travail est "affectée" par la diversification. Or, le système d’activité choisi vise généralement à trouver un équilibre entre diversification et satisfaction de la clientèle : un exploitant ne décidera d’introduire un nouveau produit que s’il le juge pertinent en termes de temps de travail supplémentaire, de dépenses et de revenus impliqués (les revenus impliqués peuvent être évalués en considérant l’élargissement de la clientèle par l’introduction de ce produit, laquelle consommera aussi les autres produits antérieurement offerts, comme l’ont montré les analyses en termes de paniers de biens (Mollard et Pecqueur, 2007). À cet effet, le nombre d’années d’expérience des exploitants peut jouer, car la connaissance de la clientèle apparaît primordiale. L’exploitant E13, en réorientation et en démarrage, traverse difficilement ces premières années d’apprentissage. Les exploitants E8 et E9, eux aussi dans leurs premières années, semblent mieux maîtriser leur système, notamment parce que l’exploitant E8 travaillait auparavant pour une autre exploitation maraîchère de la région et parce que l’exploitant E9 travaillait depuis son enfance sur la ferme familiale qu’il vient de reprendre.

81 Nombre de productions Nombre de produits transformés Nombre de canaux de commercialisation

utilisés Services d’accueil

E1 ~7 ~12 5 1 E2 1 4 7 1 E3 >50 4 0 E4 >50 1 0 E5 8 ~12 6 2 E6 ~10 ~75 3 4 E7 >52 4 1 E8 >50 3 0 E9 2 3 0 E10 ~10 9 4 1 E11 ~20 4 0 E12 3 4 1 E13 >50 5 0

Partant, la diversification semble bien souvent être partie intégrante du système d’activité raisonné en fonction de la stratégie de commercialisation de l’entreprise, laquelle semble conditionner la répartition de la productivité du travail entre les segments d’activité. De manière générale, plus l’entreprise écoule de produits en circuits courts, plus la valeur ajoutée de ses activités de distribution risque d’être élevée (car calculée par rapport aux prix en circuits longs). Mais en même temps, plus l’entreprise vend en vente directe, plus le contact avec les clients l’amène à diversifier ses productions (primaires ou transformées), ce qui semble réduire la productivité apparente du travail dans les activités de production et de transformation. Cette conclusion ne semble pas être une surprise pour plusieurs agriculteurs qui savent pertinemment que leurs activités de production ou de transformation semblent peu productives au regard du temps qui y est consacré, mais qui savent aussi que la valeur ajoutée de leurs activités de distribution permet de compenser les pertes. C’est particulièrement le cas des exploitations maraîchères diversifiées qui vendent en direct. Les deux exploitations ayant la plus grande productivité du travail en distribution (E3 et E6) illustrent bien ces propos. Dans le premier cas (E3), une exploitation maraîchère hautement diversifiée, l’exploitant enquêté confirme que « ça serait plus payant d’acheter des légumes et de les revendre que de les produire ». En même temps, cela reste une hypothèse pure dans le sens où les coûts de transaction pour retrouver la même diversité et la même qualité de produit seraient exorbitants et rendent la possibilité de se fournir sur des marchés extérieurs sans doute impossible. Or, c’est cette diversité et cette qualité que ses clients apprécient et qui justifient en partie la valeur ajoutée qui lui revient sur le

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prix de vente en circuits courts (paniers surtout dans ce cas). Dans le deuxième cas (E6), les exploitants ont débuté la transformation des produits dans un souci de minimisation des pertes. Aujourd’hui, fortement orientée vers l’accueil client, ils acceptent de supporter divers coûts induits par la diversification des produits transformés surtout, justement, pour satisfaire les clients et leur offrir une expérience complète qui vaille la peine de se déplacer et de payer (services d’accueil payants). Ces deux cas illustrent au fond la difficulté à analyser de façon séparée les différents segments (production, transformation, distribution) dans la mesure où ces segments sont étroitement articulés entre eux et font système.

Enfin, le nombre de canaux de mise en marché joue moins sur la productivité du travail que la nature des canaux utilisés : vendre au kiosque à la ferme est nécessairement le canal le plus rentable dans tous les cas étudiés (marge la plus élevée par rapport aux circuits longs, coûts de mise en marché très faible). Mais, le volume qui peut y être écoulé demeure néanmoins limité sauf, semble-t-il, lorsque les exploitations offrent des services d’accueil : 51% du chiffre d’affaires (CA) est réalisé au kiosque à la ferme pour l’exploitation E1, 30% du CA (excluant le CA des grandes cultures) pour l’exploitation E5 et 100% du CA pour l’exploitation E6. Dans les cas étudiés, il appert que les exploitants diversifient leurs canaux de commercialisation pour parvenir à écouler l’ensemble de leur production. Les maraîchers diversifiés (E3, E4, E7, E8, E13), lesquels vendent surtout en système de paniers, vendent parfois à des détaillants directs ou à des restaurateurs lorsqu’ils ont des surplus; la vente en marché est aussi parfois vue comme un moyen complémentaire au système en paniers pour écouler la production. Les exploitations davantage orientées vers les circuits longs et la vente aux détaillants directs (E2 (68% du CA), E11 (95% du CA), E12 (95% du CA)) voient dans l’ouverture d’un kiosque à la ferme en été ou à l’automne (parfois avec autocueillette), une opportunité économique, car la valeur ajoutée sur le volume vendu augmente significativement par rapport à ce qu’ils perçoivent chez les grossistes. Les pourcentages du chiffre d’affaires tirés des différents canaux de commercialisation pour chaque exploitation enquêtée sont disponibles en annexe 1. En outre, pour faire suite à ces constats concernant la productivité du travail des exploitations, il est intéressant de dresser un portrait global des performances économiques des entreprises (tableau 14). En considérant le revenu net des entreprises, la rémunération que perçoivent les exploitants devient un indice particulièrement pertinent pour évaluer la viabilité financière des exploitations :

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d’une part, la rémunération des exploitants permet d’évaluer dans quelle mesure les exploitants peuvent vivre des activités agricole; d’autre part, le montant restant permet d’évaluer la rémunération du capital de la ferme. En outre, puisque les activités agricoles s’intègrent dans le système d’activité du ménage, il faut tenir compte des revenus globaux du ménage et du niveau de rémunération recherché par le ménage. Dans la population étudiée, 6 exploitants affirment ne prélever aucun revenu; ces ménages semblent réussir à couvrir leurs frais de base avec un salaire extérieur, parfois gagné par l’exploitant lui-même, parfois par la conjointe ou le conjoint, parfois par les deux. Dans certains cas même, il appert que ce sont ces salaires extérieurs qui compensent les pertes des activités agricoles. Ce qui est frappant dans ce portrait financier, c’est que même dans les exploitations dont les performances économiques apparaissent faibles, la satisfaction financière est relativement positive : un seul exploitant se dit insatisfait de son niveau de rémunération (E9); six exploitants sont neutres sur cette question; les six autres sont soit satisfaits ou très satisfaits. Certes, les exploitants qui se montrent très satisfaits (E3, E6, E11) sont ceux dont le revenu net se rapproche des normes du marché du travail, soit plus de 80 000$ par année pour un couple.

Tableau 14 : Revenu net des entreprises, rémunération des exploitants, revenu du ménage et satisfaction financière 1 Revenu net Rémunération des exploitants (nombre d’exploitant) Revenu extérieur

(ménage) Satisfaction financière

E1 25 076$ 66 400$ (2) Non Satisfait

E2 -20 115$ 0$ (1) Conjoint salarié sur l’exploitation Ni satisfait ni insatisfait

E3 119 049$ 109 400$ (2) Oui Très satisfait

E4 21 731$ 13 873$ (2) Oui Ni satisfait ni insatisfait

E5 19 990$ 0$ (2) Oui Ni satisfait ni insatisfait

E6 292 584$ 80 000$ (2) Non Très satisfait

E7 207$ 0$ (3) Revenu de retraite Satisfait

E8 16 453$ 16 453$ (2) Oui Ni satisfait ni insatisfait

E9 8 000$ 6 800$ (1) Oui Insatisfait

E10 8 000$ 0$ (1) Oui Satisfait

E11 180 000$ 90 000$ (2) Non Très satisfait

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E13 -14 200$ 0$ (1) Oui Ni satisfait ni insatisfait

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