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Chapitre I INTRODUCTION

E. Production d’acides dicarboxyliques par les levures

Comme nous venons de le décrire, le métabolisme des substrats hydrophobes est complexe impliquant de nombreuses voies métaboliques localisées dans différents compartiments cellulaires. Dans le but de produire des DCA à partir d’alcanes principalement

via des levures, des études ont été menées depuis 1971. Les données disponibles relatives à

ces études sont résumées dans cette partie.

Les souches sauvages de levures excrètent des quantités relativement faibles de DCA. Il a été démontré chez des levures sauvages du genre Candida que les DCA produits sont dégradés, après activation en ester acyl-CoA, par la voie de la -oxydation (Chan et al., 1991). Ainsi, la production de DCA par les levures nécessite l’obtention de mutants.

C. maltosa fut la première levure étudiée, dans le cadre de la production de DCA, par

l’industrie Ajinomoto Company au Japon. Le mutant de C. maltosa, obtenu par génétique classique, est incapable de se développer sur n-alcanes (Shiio et Uchio, 1971). Le taux de production de DCA atteint à partir d’hexadécane est de 21,8 g.L-1 après trois jours de culture (Uchio et Shiio, 1972). Plus tard, un mutant dérivant du précédent, incapable de se développer sur n-alcanes et sur DCA, a conduit à une production de 61 g.L-1 de DCA en quatre jours de fermentation soit une productivité de 0,6 g.L-1.h-1. Un essai pilote a été réalisé en fermenteur de 300 L. Cependant, pour des raisons inconnues, ce procédé n’a pas été industrialisé par cette compagnie. Ceci pourrait être due à la réduction du taux d’oxydation de l’alcane de 10% chez ce mutant comparé aux souches sauvages (Schindler et al., 1990).

Le premier procédé industriel a été développé par la société japonaise Nippon Mining (maintenant Japan Energy Compagny) en utilisant une souche de C. tropicalis (M2030), obtenue par mutagenèse aléatoire (Uemura, 1985). Depuis 1987, cette compagnie produit, à partir du tridécane, 150 tonnes d’acide brassilique (DC13) par an. Ce dernier est utilisé dans l’industrie cosmétique comme lactone macrocyclique de musc (Kato et Uemura, 1982) (Uemura, 1985). A l'heure actuelle, ce procédé est exploité par les sociétés Cathay Biotechnology of Shanghai (Chine) et Cognis (Allemagne et Etats-Unis, anciennement Henkel). Ces industries ont maintenant élargi leur production jusqu’à des DCA comportant quinze atomes de carbone.

Récemment, une étude biochimique sur ce mutant très productif a révélé que les mutations ont amené à l’inactivation de deux acyl-CoA oxydases et de la 3-cétoacyl-CoA thiolase, responsables de la première et quatrième étape de la -oxydation (Kanayama et al., 1998). De plus, l'activité de la deuxième et troisième étape de la -oxydation, réalisée par l'enzyme bifonctionelle (enoyl-CoA hydratase/3-hydroxyacyl-CoA deshydrogénase), est fortement diminuée dans les cellules de ce mutant. Enfin, ce mutant présente, dans les mêmes conditions de culture, un nombre de peroxysomes relativement faible par rapport à la souche sauvage dont il est issu. Le site des mutations entraînant une activité très faible des enzymes de la voie de la -oxydation et une diminution du nombre de peroxysomes n’a toujours pas été mis en évidence.

Cependant, chez cette souche, la voie de la β-oxydation n’est que partiellement bloquée et il

se forme des co-produits de longueurs de chaînes plus courtes et/ou comportant des insaturations ou des groupements hydroxyles supplémentaires. Une étape de purification est donc nécessaire.

Plus récemment, plusieurs études ont été réalisées, par le groupe Cognis, afin d'améliorer la production de DCA par des expériences de mutagenèse dirigée à partir d’une souche sauvage de C. tropicalis. Dans un premier temps, les gènes codant deux acyl-CoA oxydases (POX4 et POX5) ont été disruptés chez C. tropicalis et ont conduit à une accumulation de DCA (Picataggio et al., 1991). Cette même équipe de recherche a, dans un deuxième temps, surexprimé les gènes codant un cytochrome P450 et la NADPH cytochrome P450 réductase impliqués dans la première étape limitante de l’ -oxydation (Gilewicz et al., 1979; Picataggio et al., 1992; Picataggio et al., 1995). Cette souche AR20 (ATCC20962) permet une amélioration de la production de DCA de 30%. De plus, lors des fermentations utilisant des acides gras comme substrat, un niveau faible d’ -hydroxy acides gras est accumulé. Ceci indique que la deuxième étape de la voie de l’ -oxydation est également limitante (Wilson et al., 2004). Cependant, les mutants de C. tropicalis obtenus selon ces techniques ne semblent pas totalement stables et se prêtent à des réversions. C’est pourquoi des améliorations ont dû être apportées (Wilson et al., 2004). Enfin, dans un troisième temps, cette équipe a identifiée, chez C. tropicalis, trois gènes codant des alcool oxydases (FAO1-3). Le gène FAO1 est fortement induit en présence d’acides gras et Fao1p oxyde l'acide gras en

L'augmentation du nombre de copie des gènes FAO et/ou de l'activité de transcription pourrait entraîner une forte activité de l’alcool oxydase et une augmentation de la productivité de DCA (Craft et Eirich, 2003; Wilson et al., 2004).

Néanmoins, certaines contradictions apparaissent. En effet, le mutant AR20, bloqué au niveau de la -oxydation et surexprimant les gènes du système P450, le groupe de Picataggio chez Cognis décrit une production de DCA de 150 g.L-1 (productivité de 1,65 g.L-1.h-1) à partir de methymyristate (C16) (Picataggio et al., 1992). Or, en utilisant cette même souche, le groupe General Eclectric Compagny obtient 34,4 g.L-1 (productivité de 0,9 g.L-1.h-1) de DCA à partir du même substrat (Mobley et Shank, 2000). Ces niveaux de production sont plus proches des valeurs que nous avions obtenues au cours des essais de production que nous avions réalisés avec cette souche AR20.

Y. lipolytica est capable d’accumuler des DCA par un mutant délété de quatre acyl-

CoA oxydases (Smit et al., 2005). Cette levure présente un certains nombres d’avantages par rapport aux levures du genre Candida. Comme nous l’avons vu précédemment, c’est une levure haploïde et la séquence de son génome entier est disponible. De plus, de nombreux outils génétiques ont été développés. Ceci facilite l’élaboration de stratégies d’ingénierie génétique. Y. lipolytica est une des « levures non-conventionnelle » les plus étudiée à l’heure actuelle et elle est considérée comme un organisme modèle pour l’étude du métabolisme des alcanes et des acides gras.

Enfin, un autre avantage de Y. lipolytica sur C. tropicalis pour la production de DCA à partir d'esters d’acides gras ou d’huiles végétales, est le suivant : la transformation des huiles naturelles en DCA par C. tropicalis nécessite une hydrolyse chimique au moins partielle du substrat avant la mise en œuvre de la fermentation. Cette hydrolyse est réalisée par une saponification conduite en présence d’hydroxyde de calcium ou de magnésium. Elle produit les sels d’acides gras (savons) correspondants. Or, Y. lipolytica présente la capacité d'assimiler les triglycérides comme source de carbone. La première étape de ce catabolisme implique l’hydrolyse des triglycérides en acides gras libres et glycérol par les lipases. Y.

lipolytica hydrolyse donc directement les esters et les huiles naturelles en acides gras libres et

glycérol dans des conditions de pH compatibles avec la conduite de la fermentation. Dans ces conditions, l’hydrolyse de l'ester ou de l’huile et sa conversion en DCA a lieu simultanément, ce qui présente l'avantage de mener à un protocole opératoire simplifié l'étape d'hydrolyse

Chapitre II - MATERIEL ET METHODES