• Aucun résultat trouvé

Les judeoconversos n'auraient jamais pu s'unir avec de nobles familles s'ils n'avaient pas la condition sociale requise. Les amitiés entretenues avec certains nobles et rois ont favorisé leur intégration au sein des familles vieilles-chrétiennes. Les stratégies familiales qui sont étudiées dans le cadre de ce chapitre s'imbriquent dans celles de la nomination et du clientélisme vues dans les chapitres précédents. D'une part, l'importance des contacts se retrouvent au cœur des stratégies matrimoniales : le mariage peut en être la cristallisation, il est un moyen de renforcer et d'unifier les réseaux de clientèle et de parenté1. D'autre part, le

nom devient un bien symbolique garant de la pérennité du patrimoine.

Le mariage est une des étapes du processus d'intégration. Surtout étudié en rapport avec l'immigration, il témoigne de l'implantation des sujets au sein de cadres sociaux qui leur sont jusqu'alors étrangers : plusieurs marches se succèdent et les portes s'ouvrent enfin.

Parler de stratégies matrimoniales permet de mettre en exergue le rôle de l'alliance matrimoniale dans l'optimisation du patrimoine matériel et immatériel d'un lignage. Bien que les stratégies étudiées s’appuient avant tout sur le parcours d'un individu, elles s'intègrent dans le champ plus large des stratégies familiales : les choix et les itinéraires d'un membre de la famille touchent l'ensemble de ses parents. C'est pour cela que ces stratégies familiales résultent de calculs fins et intéressés, car il s'agit surtout de pérenniser un lignage. Le nom auquel se rattache un ensemble de données et l'individu par son comportement sont des instruments publicitaires destinés à donner une bonne image d'une lignée. Ces stratégies familiales destinées à anoblir la lignée comprennent les jeux d'alliance matrimoniale mais

1 BONTÉ Pierre, COPET-ROUGIER Elizabeth, « Groupes de parenté et stratégies matrimoniales », Publications de l’École française

aussi les stratégies de communication basée sur la falsification des généalogies.

La notion de stratégie matrimoniale recouvre plusieurs pratiques qui peuvent être utilisées conjointement selon les intérêts des familles. Pierre Bourdieu, au sein de son étude dédiée aux stratégies matrimoniales employées par les paysans béarnais, en dénombre deux principales : celles visant à la transmission du patrimoine dans son intégralité et celles garantissant la continuité biologique de la lignée1. Chaque type d'alliance, qu'il s'agisse de

l'exogamie, de l'endogamie, l'homogamie ou de l'hypergamie, est d'abord destiné à assurer la pérennité du patrimoine matériel et symbolique. Ceci passe toujours par sa sauvegarde et son augmentation, car le mariage est une transaction, un échange entre familles. L'Essai sur le

don de Marcel Mauss, démontre en quoi l'échange est un des principes fondateurs des

sociétés2. Outre construire les systèmes clientélistes, il se retrouve dans les pratiques

matrimoniales. Le mariage est en effet le don réciproque de biens meubles et immeubles, mais surtout de femmes3.

La pratique de l'endogamie exige qu'un individu choisisse son conjoint au sein du groupe de parenté, du groupe territorial ou bien du groupe statutaire4. Elle se divise en deux

catégories : l'endogamie fonctionnelle et l'endogamie vraie. L'endogamie fonctionnelle implique que le choix du conjoint se fasse dans un groupe précis de parents. L'endogamie vraie, quant à elle, renvoie à un choix au sein des groupes d'appartenance tels que le groupe de parenté, statutaire ou territorial. L'exogamie, au contraire, vise à choisir un partenaire hors du groupe. Enfin, l'hypergamie est une pratique impliquant le choix de son conjoint dans un groupe supérieur au sien. Ces diverses pratiques sous-jacentes au mariage concrétisent les liens entre individus. Les stratégies mises en œuvre par les familles sont destinées à faire un maximum de profit.

1 BOURDIEU Pierre, « Les stratégies matrimoniales dans le système de reproduction », Annales. Histoire, Sciences Sociales, vol. 27, n°4, 1972, pp. 1104-1127.

2 MAUSS Marcel, Essai sur le don. Former et raison de l'échange dans les sociétés archaïques, Presses universitaires de France,

Paris, 2007, Coll. « Quadrige Grands textes », 248 p.

3 DELIÈGE Robert, Anthropologie de la famille et de la parenté, Armand Colin, Paris, 2011, Coll. « Cursus. Sociologie », 253 p.

4 BARRY Laurent, BONTE Pierre, GOVOROFF Nicolas , JAMARD Jean-Luc , MATHIEU Nicole-Claude , PORQUERESI GENÉ Enric ,

D’ONOFRIO Salvatore , WILGAUX Jérôme , ZEMPLÉNI András et ZONABEND Françoise, « Glossaire de la parenté », L’Homme, 2000, n°154-155, pp. 721-732.

Les sources comprises dans le corpus dévoilent les mélanges qui se sont opérés entre les familles vieilles et nouvelles chrétiennes. Deux d'entre elles fournissent un substrat de choix à la réflexion : l'Instrucción de Fernán Díaz de Toledo et le traité Contra algunos çiçañadores

de la nación de los convertidos del pueblo de Israel de Lope de Barrientos. En leur sein se

retrouvent des listes de noms et de filiations. Ces discours défensifs évoquent la présence de

judeoconversos dans les grandes lignées vieilles-chrétiennes et a fortiori l'impossibilité pour

les partisans de Pedro Sarmiento d'exclure ou de sélectionner selon les origines.

Il convient donc dans ce chapitre de s'interroger sur les stratégies matrimoniales adoptées par les judeoconversos. Mais avant de réfléchir sur les stratagèmes employés, il semble nécessaire d'étudier les facteurs qui rendent possible leur intégration au sein des familles vieilles-chrétiennes. D'après l'étude des sources, il est possible d'en dénombrer trois : l'argumentation pro-conversos qui encouragent les mélanges entre nouveaux et vieux chrétiens, la condition sociale dont découle le patrimoine et enfin la renommée des ancêtres. Après avoir défini ces divers motifs, il s'agit d'analyser le corpus de sources afin de déceler les pratiques matrimoniales employées par ceux-ci.