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Si la conversion implique la création d'une nouvelle identité, le prénom et le nom de famille en sont les premiers indices. Il est très intéressant d'étudier le choix du nom pris à la suite de la conversion par les familles conversas. Comment le choisissent-elles ? Correspond- il au lieu d'habitation ? Est-il la traduction en castillan du nom juif ? A-t-il une connotation chrétienne ? Enfin, est-il une allusion au nom du parrain 1? Quoi qu'il en soit, le nom peut

permettre l'intégration : il est le premier marqueur identitaire d'un converti.

Ces noms participent à l'association d'individus à une lignée et deviennent un repère social permettant de structurer une société. Le patronyme permet la construction d'une société « lisible » à l'instar des cadastres ou encore de la monnaie2. La nomination devient l'agent

d'identification par excellence. Ceci renvoie à la nécessité de singulariser les individus et de les inscrire dans un groupe social spécifique, souvent structuré autour de la famille.

Toutefois, il ne faut pas imaginer le système onomastique médiéval comme une matière immuable. C'est pour cela que dans un premier temps, il semble nécessaire de revenir sur les deux principales étapes des modes de nomination en vigueur en Castille entre le XIVe et XVe

siècle. Enfin, je comparerai la stratégie employée par les migrants d'Espagne aux XVIe et

XVIIIe siècles avec celle des judeoconversos.

1 DENJEAN Claude, « Jeux anthroponymique identitaires des juifs et convertis de l'Est de Péninsule ibérique au XVe siècle », Un

juego de engaños, (dir.) SALINERO Grégoire et TESTÓN NÚÑEZ Isabel, Éditions de la Casa de Velásquez, Madrid, 2010, pp. 295- 312.

L'évolution du système onomastique dans la Castille des XIVe et XVe siècles

Le nom est un outil pour le chercheur souhaitant comprendre la filiation biologique, sociale ou spirituelle d'une personne. Cependant, l'historien et notamment le médiéviste doit tenir compte de la variabilité du système onomastique : il n'est pas aussi stable à l'époque qu'il peut l'être aujourd'hui.

Le système onomastique castillan connaît deux étapes aux cours des XIVe et XVe

siècles1. Au XIVe siècle, l'ensemble de la composante onomastique d'un individu comprend le

prénom, le prénom du père, celui du grand-père et enfin une indication sur le métier2. Les

deux dernières informations identitaires données sur la personne permettent de l'inscrire dans une lignée. Il est permis par ces informations de remonter les générations car les deux premières indications ne suffisent pas pour identifier un individu et tendent à favoriser les homonymes.

Malgré la structuration progressive des modes de nomination, le patronyme n'est pourtant pas encore un nom de famille conservé de génération en génération. Son emploi tend à se généraliser vers le milieu du XIVe siècle, certainement dans le souci de faciliter

l'identification des individus3. Le passage du patronyme au nom de famille s'opère

progressivement dès le XIVe siècle en partant de la classe nobiliaire pour finalement être

utilisé par l'ensemble de la société castillane, toutes couches sociales confondues.

Au XVe siècle, l'identification d'un individu s'organise davantage4. Elle comprend le

prénom, le patronyme – qui n'est plus que le prénom du père – et le nom de famille. Les noms de famille se distinguent en quatre catégories : ceux se rapportant à l'origine géographique, ceux découlant des surnoms, ceux renseignant sur le métier, l'état ou la parenté et enfin ceux

1 MOLÉNAT Jean-Pierre, « L'onomastique tolédane entre le XIIe et le XVe siècle. Du système onomastique arabe à la pratique

espagnole moderne », Publications de l’École française de Rome, 1996, vol. 226, n°1, pp. 167-178. 2 Id., p. 173.

3 BECK Patrice, « Le nom protecteur », Cahiers de recherches médiévales, [En ligne], 8 | 2001. 4 Id., p. 175.

dérivés des noms de baptême1. Cependant malgré une simplification des modes

d'identification, la transmission de génération en génération du prénom et du nom peut rendre difficile la hiérarchisation au sein de la famille d'un individu et la confection de généalogie. C'est notamment le cas pour la famille Marmolejo qui compte, en l'espace de huit générations, sept Francisco Fernández Marmolejo. Seules les indications comme le nom des épouses permettent de distinguer un individu d'un autre au sein d'une même lignée2.

Le nom de famille se rattachant à un lieu géographique tend à s'inscrire durablement dans le paysage onomastique dès le XIVe siècle. Pour le cas de Tolède, Jean-Pierre Molénat

note par exemple la forte présence de « de Toledo ». Ce nom est effectivement fréquent : dans l'échantillon des soixante individus fourni par les documents du Tribunal de l'Inquisition, quatre personnes se nomment « de Toledo »3. La hausse de l'usage d'indications

topographiques dans le nom de famille peut notamment s'expliquer par la nécessité pour certaines familles nobles d'indiquer leur lieu d'origine ainsi que leurs possessions lors de voyages sur le territoire ibérique. Ce type de dénomination est valorisante et permet à certains

judeoconversos de faire oublier leurs origines4.

Ainsi, lorsque l'historien s’attelle à étudier le système onomastique, il se confronte principalement à un phénomène qu'il faut contextualiser afin de comprendre l'importance de la mode et du conformisme. Le nom est un bien symbolique qui connaît plusieurs fluctuations selon les espaces géographiques étudiés. Le rapprochement de cette science avec la géographie est intéressante car elle révèle l'importance de l'origine réelle ou feinte dans la dénomination. Les judeoconversos, nouveaux-venus au sein de la société chrétienne se doivent de se conformer aux us et coutumes tout comme doivent le faire les migrants afin de s'insérer. La corrélation qui existe entre le statut du judeoconverso et celui du migrant est

1 VIGNAL Marie-Catherine, « Étude anthroponymique : patrons et patronymes à la fin du moyen âge », Annales de Normandie,

1991, vol. 41, pp. 261-294 ; DAUZAT Albert, Dictionnaire étymologique des noms de famille et prénoms de France, Larousse, Paris, 1951, 604 p.

2 MOLÉNAT Jean-Pierre, op. cit., « L'onomastique tolédane entre le XIIe et le XVe siècle. Du système onomastique arabe à la

pratique espagnole moderne », p. 174 ; ROMERO-CAMACHO Montes Isabel, « El ascenso de un linaje protoconverso en la Sevilla Trastámara. Los Marmolejo », eHumanista, vol. 4, 2016, pp. 256-310.

3 MOLÉNAT Jean-Pierre, op. cit., « L'onomastique tolédane entre le XIIe et le XVe siècle. Du système onomastique arabe à la

pratique espagnole moderne », p. 175 . Cet échantillon se base sur les documents annexes contenus dans l'ouvrage de Parello Vincent, pp. 213-221.

4 MOLÉNAT Jean-Pierre, op. cit., « L'onomastique tolédane entre le XIIe et le XVe siècle. Du système onomastique arabe à la

intéressante car elle renvoie à une même logique : imiter pour mieux s'intégrer.

Les nouveaux chrétiens : des migrants au sein de la communauté chrétienne

Le cas des migrants espagnols vers l'Amérique entre le XVIe et le XVIIIe siècle est très

intéressant pour comprendre la facilité avec laquelle un individu peut changer de nom1. En

usant de la transformation complète ou partielle de la nomination, les migrants changent de prénoms ou de noms afin de pouvoir évoluer socialement outre-mer ou bien de cacher leur identité et leur passé : cela nous permet de faire la comparaison avec les judeoconversos. Les

judeoconversos en changeant de nom souhaitent en partie cacher leurs origines et s'élever

socialement. Ainsi, le nom semble être un facteur exclusif ou intégrateur.

Cette comparaison des judeoconversos et des migrants est plausible car les stratégies d'intégration employées semblent être similaires : ils migrent au sein d'une nouvelle société. Tout comme les judeoconversos, les migrants doivent ressembler à leurs nouveaux semblables afin d'être intégrés.

Dans une logique de modification des origines et de l'identité, les migrants modifient également leur nom. Ils usent notamment de cette pratique afin de pouvoir se remarier en Amérique : de nombreux cas de bigamie sont rapportés2. La notion de mélange est également

perceptible : elle garantie, comme pour les judeoconversos, leur intégration. Ici, le nom semble donc favoriser les alliances matrimoniales avantageuses. Cette pratique peut être transposée sur la pratique matrimoniale des judeoconversos. Ces derniers se convertissent en majorité à l'âge adulte. Les mariages contractés avec des femmes juives deviennent caduc et leur union avec des femmes chrétiennes devient possible. La concrétisation de la conversion – par le biais du changement de nom – permet à un sujet d'être un nouvel individu et de créer une nouvelle filiation.

1 TESTON NÚÑEZ Isabel, SÁNCHEZ RUBIO Rocío, « Identités feintes – Anthroponymie et migrations atlantiques, XVIe- XVIIIe siècles », Nuevo Mundo Mundos Nuevos,[En ligne], 2015.

Les pratiques onomastiques des immigrants nobles en Hongrie au XIIIe siècle sont un

autre exemple intéressant pour démontrer la corrélation entre les pratiques des migrants et celles des judeoconversos1. Dans ce cas précis, les parcours, dans leur grandes lignes, sont

quelque peu identiques. Ils changent de noms afin de répondre aux codes anthroponymiques en vigueur à la cour. Ce changement de nomination leur permet de s'intégrer auprès du roi et des hautes strates sociales sous-jacentes ou encore de s'unir avec des familles de la vieille noblesse hongroise. La stratégie du changement de nom est similaire à celle employée par les

judeoconversos. D'une part elle prouve la volonté de normalisation des impétrants. D'autre

part, elle permet de remodeler les généalogies afin de s'insérer dans des strates sociales supérieures. Les ancêtres auxquels se rattachent ces nouvelles lignées sont inventés afin de renforcer le prestige social2. Le nom devient ainsi un formidable outil de transformation

identitaire au profit d'une ascension sociale. Il permet de modifier la condition d'un individu mais également celle de sa famille.

Ainsi, ces hommes nouveaux, qu'il s'agisse des judeoconversos ou des migrants, doivent user d'artifices – conçus selon les codes en vigueur – leur permettant de s'intégrer. Le système onomastique devient un outil de choix afin de se représenter : il participe à la grande métamorphose identitaire requis. L'étude de l'évolution du système anthroponymique permet de comprendre les changements qui s'opèrent au moment même où une nouvelle catégorie de chrétiens apparaît. Le choix du prénom et du nom est soumis à un ensemble de codes et de modes selon les sociétés intégrées.

1 BEREND Nora, « Noms et origines des immigrants nobles en Hongrie (XIIIe siècle). La liste des advenae entre mythe et réalité »,

In. Anthroponymie et migrations dans la chrétienté médiévale, Casa de Velázquez, Madrid, 2010, pp. 247-274. 2 Id., p. 254.