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Plusieurs auteurs ont proposé des théorisations sur des processus se produisant au sein d'une formation de groupe. W. R. BION en 1968 a notamment définit des schémas organisateurs de comportements qui révèlent différents types de relations dans un groupe. Il les nomme les hypothèses de base et en détermine trois :

- La dépendance selon laquelle le groupe cherche la protection du leader. L'équipe des professionnels peut tenir cette place de « leader », ayant ce rôle protecteur et contenant auprès des résidents.

- L'attaque-fuite : dans ce cas le groupe réagit à une menace ou un danger en attaquant ou en fuyant.

- Le couplage : au sein du groupe naissent des liens de sympathie. En effet, j'ai souvent constaté dans mon stage des liens forts qui se créent entre deux résidents, des binômes qui passent beaucoup de leur temps ensemble, ou encore des couples qui naissent au sein des structures.

Mais je constate des limites et dangers à ces phénomènes influençant les comportements. Selon d'abord la première hypothèse de base de dépendance au « leader », j'ai pu observer qu'une tendance excessive de ce fonctionnement peut être délétère pour le sujet addict.

Martin relate dans son histoire une enfance et une adolescence difficiles avec une mère alcoolique, et un père pompier peu présent. Il vivait à la caserne depuis sa naissance. Martin a

donc toujours vécu en institution, très bordé par un cadre solide voire stricte. J'observe qu'il répond très bien à ce cadre au sein du centre de soins, en se pliant aux règles, en s'impliquant fortement dans la vie quotidienne et dans les ateliers. Cependant, il montre de réelles difficultés et

fragilités lorsqu'il se retrouve confronté à des imprévus à l'extérieur du centre, lors de ses sorties. Il est donc très dépendant de ce cadre institutionnel, comme dans une recherche constante de sécurité et de contenance. Cela amène donc à se questionner sur les projets futurs qui pourront se

mettre en place pour Martin. Pourra-t-il sortir de cette dépendance, s'autonomiser et assumer un travail en vivant seul ?

J'ai également constaté des risques dans la troisième hypothèse de base, le phénomène de couplage, notamment dans la formation de couples de résidents au sein de la structure de

soins.

Théo et Léa se rencontrent au sein du centre et se mettent en couple deux semaines après leur rencontre. Ils se soutiennent mutuellement. Mais ils sont également très (trop?) impliqués pour l'un et pour l'autre. Léa voit son premier mois d'observation refusé. Théo est sur le point de

quitter le centre lorsqu'il apprend la nouvelle, se sentant coupable. Ils tentent de s'unir pour surmonter leur difficultés, en vain. Ils finissent par consommer et quittent finalement le centre.

Carole est présente depuis plusieurs mois au centre de soins. Elle se met en couple avec Jean (également présent depuis longtemps). Ce dernier, bien qu'encore fragile et avant la fin de son soin, décide de quitter le centre pour partir s'installer dans son appartement (dans sa ville d'origine, assez éloignée du centre de soin). Carole ne reste qu'une semaine de plus et finit par rejoindre Jean pour vivre avec lui. Ce départ semble soudain et assez risqué pour Carole qui n'était

pas encore stable et assez solide pour vivre seule à l'extérieur.

Les personnes souffrant d'addiction sont fragilisées neurologiquement par les substances psychoactives. Elles ont des pertes de mémoire, des comportements agressifs, une désorientation spatio-temporelle… Tous ces troubles engendrent une désocialisation du sujet, qui devient alors fragile émotionnellement. On peut parfois les qualifier « d'éponge émotionnelle ». C'est-à-dire qu'ils se laissent envahir par les émotions des autres, ne sachant déjà pas gérer leurs propres émotions. Ils ont souvent des difficultés face aux imprévus, qui les poussent à avoir envie de consommer pour palier à la situation qui les met en difficulté ou en souffrance.

Le fait de vivre au sein de ce groupe, d'appartenir à celui-ci peut participer à les soutenir, les porter et à trouver du soutien auprès de modèles qui peuvent les aider à surmonter les difficultés. Les personnes addictes ont également un imaginaire assez faible et des capacités de représentation limitées. Le groupe peut alors permettre de penser à plusieurs, de créer ensemble, notamment grâce à des ateliers créatifs proposés en centres de soins. Cela permet au sujet de s'appuyer sur les autres membres, et sur le cadre du groupe lui-même. « Le toxicomane trouve dans la forme du regroupement des individus une ébauche d'organisation de l'espace et du temps propice au déploiement d'une certaine élaboration fantasmatique » (R. KAES). Et cette organisation du temps et de l'espace permet, selon J. BERGERET, la mise en place d'une « structure imaginaire », qui pourra être prise en compte dans les vécus relationnels. Ces progrès de conscientisation sont possibles grâce aux fonctions défensives que permet le groupe, tandis que l'individu isolé est dans l'incapacité de trouver les défenses

suffisantes.

D. ANZIEU (1984), s'est particulièrement penché sur ce phénomène qu'il appelle

l'imaginaire groupal. Il s'agit du processus selon lequel les membres d'un groupe projettent

leur fantasmes inconscients dans le groupe, qui va s'organiser autour de ces fantasmes. Et l'interprétation pouvant en être faite mettra en lumière un dénominateur commun de ces fantasmes inconscients : ce qu'ANZIEU appelle « le contenu latent et manifeste » des échanges. Il s'agit du contenu du discours, des échanges entre les membres du groupe, de leur signification. Le groupe peut alors être considéré comme un lieu de rêve, une réalisation imaginaire des désirs des individus, qui ont pu être réprimés (car interdits) ou non satisfaits.

ANZIEU décrit trois organisateurs psychiques inconscients que sont le fantasme

individuel (scénario imaginaire exprimant affects et pulsions de l'individu), l'imago (d'abord

parental, que l'on projette sur les autres, qui est donc l'introjection de ces liens) et les

fantasmes originaires (scénario imaginaire inconscient, commun à tous les hommes). Ces

trois types de fantasmes viennent structurer, organiser le fonctionnement du groupe, à travers l'expression des imaginaires des individus qui le composent. Cela organise la pensée de groupe. Suivant cette idée, je citerai également J-B CHAPELIER : « Le groupe remplit une fonction d’accomplissement imaginaire du désir ».

ANZIEU décrit d'autre part une forme d'expression de ces fantasmes : l'illusion

groupale. J.-B. CHAPELIER la définit comme un état psychique collectif dans lequel les

membres du groupe se sentent bien, ensemble, avec un sentiment d'appartenir à un groupe. Cette illusion groupale permet aux membres de développer des mécanismes de défense contre des angoisses archaïques, elle génère des identifications primaires ou narcissiques. En effet face à une menace, une angoisse, qui atteint le narcissisme individuel, l'illusion groupale vient parer à cela par la formation d'un narcissisme groupal. C'est alors que l'identité individuelle

est remplacée par une identité de groupe.

J.-B. CHAPELIER s'étant concentré sur la période de l'adolescence, il fait référence à ce processus d'illusion groupale en lien avec le remaniement et le questionnement identitaire de l'adolescent. Il précise qu' « au moment de l'illusion groupale, le groupe devient un objet libidinal, et les membres du groupe agissent sous l'emprise de la toute-puissance narcissique. Cette restauration narcissique libère l'adolescent de ses hésitations et inquiétudes identitaires ». Ce processus groupal pourrait ainsi aider le sujet à surmonter ses angoisses concernant les questionnements et les doutes sur son identité. Pour cela, le sujet va s'éloigner du groupe primaire familiale pour aller vers un groupe de pairs : « Le groupe de pairs

(relations horizontales et indifférenciation générationnelle) se substitue au groupe familial (relations verticales et mélange des générations » (J.-B. CHAPELIER).

On peut alors imaginer que la formation en groupe peut soutenir les processus d'identifications amenant progressivement à la constitution d'une identité propre et individuelle.