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Les processus de la conception

4.2 La caractérisation de la conception architecturale

4.2.1 Les processus de la conception

En étudiant les rapports de production de la forme architecturale aux processus de sa significa- tion, Broadbent (Broadbent et al., 1980) différencie clairement entre la sémiotique peircéenne (signe-objet-interprétant) et la sémiologie saussurienne (signifiant-signifié) et en optant pour la première, plus générale, argumente en faveur de son caractère non-déterministe dans le traitement de ces rapports (Broadbent et al., 1980, p. 337, 352). La comparaison de ces deux théories du signe dépasse le cadre de la thèse. D’ailleurs, la signification correspond à une référence possible entre une forme architecturale et une entité non présente au moment de l’observation ou de la conception (Mitchell, 1990, p. 202). Au niveau interprétatif représen- tant les processus de création architecturale, la qualification du savoir-concevoir nécessite une généralisation des opérations élémentaires engagées dans la conception. Broadbent analyse

quatre catégories de processus de conception (Broadbent, 1973, p. 412-430) : pragmatique, iconique, analogique et canonique. En outre, Rosenman et Gero (Rosenman et Gero, 1992, p. 127-130) en proposent aussi quatre, respectivement équivalentes : combinatoire, analogique, mutation, et principes premiers.

Les deux ensembles de définitions s’accordent d’une façon générale sur tous les termes mais la mise en correspondance de chaque terme avec son équivalent ne peut être complètement précisée. Toutefois, nous avons mis en correspondance « iconique (Broadbent) » et « ana- logique (Rosenman et Gero) » et par conséquent, « analogique (Broadbent) » et « mutation (Rosenman et Gero) » parce que chaque terme, à l’intérieur de sa correspondance, reflète convenablement le contenu informationnel (cf. §3.3.5) de son équivalent. Dans ce qui suit, la terminologie de Rosenman et Gero est adoptée en soulignant qu’il semble qu’ils ont été influencés par les catégories de Broadbent bien que leurs références ne le citent pas.

4.2.1.1 La combinaison

La combinaison désigne la sélection d’un ensemble d’éléments, ou de propriétés, dans plu- sieurs objets et leur organisation pour produire un nouvel objet (cf. Figure4.3(e)). Elle réduit l’individualité de chaque élément et, d’une certaine façon, augmente l’entropie de cet objet. La combinaison matérialise des possibilités de compatibilité et d’appartenance, des éléments traités, à une même classe de solutions. Si elle utilise des opérations déjà connues, elle tend vers un emprunt, formel ou conceptuel, par le biais de la similarité et par conséquent s’ins- crit dans une conception de routine (cf. §4.4.1.1). Par contre, si la combinaison introduit de nouvelles relations entre les éléments concernés, elle réfère à une conception innovatrice (cf. §4.4.1.2) ou créative (cf. §4.4.1.3). Ces nouvelles relations conservent « l’histoire » des parties agrégées.

4.2.1.2 La mutation

La mutation représente la modification de la structure d’un élément existant dans l’objet considéré par la conception (cf. Figure4.3(d)). La modification affecte les propriétés intrin- sèques de cet objet telles que le volume, la masse et la géométrie. Alors, trois résultats sont possibles : une augmentation ou une réduction ou une constance du contenu information- nel (cf. §3.3.5) de l’objet. Ce processus utilise une même forme de relations sur laquelle il applique des transformations (par exemple, allonger, raccourcir, arrondir, modifier l’échelle, etc.). De plus, la mutation organise hiérarchiquement les transitions entre les autres processus

de conception.

4.2.1.3 L’analogie

L’analogie a pour finalité la recherche d’une solution à partir de l’extérieur du domaine de connaissances du problème de conception étudié (cf. Figure4.3(b)- croquis montrant l’Opéra de Sydney dont la forme, en coques emboîtées, est inspirée des voiles d’un bateau). Elle dé- finit la production d’associations de ressemblance entre les données de ce problème et les généralisations extérieures à ce domaine. Elle puise une abstraction d’une forme de relations dans un domaine différent du problème considéré et marque fortement l’intention du concep- teur. D’un côté, l’appel à un autre domaine peut prendre une forme iconique-rhématique où le concepteur s’intéresse à une ressemblance générale et conceptuelle, sans implication impéra- tive de matérialisation dans l’objet considéré. C’est pourquoi la recherche analogique conduit à une structure abstraite, une forme de relations essentiellement polyvalente et adaptable aux données du problème. D’un autre côté, l’analogie indiciaire-dicente transpose, du domaine extérieur au domaine du problème, une information complète, utilisable, sans modification ou adaptation, dans la matérialisation de l’objet architectural souhaité.

4.2.1.4 Les principes premiers

À l’opposé des trois catégories précédentes qui se basent sur une structure d’objet existante (dont la description à l’intérieur ou à l’extérieur du domaine), cette catégorie de concep- tion invente de nouvelles relations entre les éléments de son problème (cf. Figure 4.3(a)). L’utilisation des principes premiers tend à nier « l’histoire » d’une forme architecturale résul- tant d’un problème donné. Dans ce processus de conception, il s’agit de faire table rase des connaissances antérieures qui ont produit des solutions à ce problème, dans sa généralité, et d’introduire ces nouvelles relations. Dans ce cas « d’amnésie », la question de la nouveauté, telle que développée dans §2.5.5.4reste relative. Cette amnésie désigne, en effet, la mesure de la créativité des principes premiers, qui s’exprime par une différence affirmée, au niveau du contenu informationnel (cf. §3.3.5), entre les connaissances antérieures et la configuration architecturale matérialisée dans la nouvelle solution proposée.

Dans la littérature, ces processus du savoir-concevoir architectural (cf. Figure.4.3) semblent exister indépendamment les uns des autres et induire une fragmentation du contenu informa- tionnel engagé dans la matérialisation des objets architecturaux. En fait, la littérature semble

(a) les principes premiers (b) l’analogie (c) la similarité

(d) la mutation (e) la combinaison (f) la substitution

FIG. 4.3 – Les processus du savoir-concevoir

avoir négligé et la formalisation des relations qui existeraient parmi ces processus et leur participation dans un cadre théorique unificateur. Pour pallier ce problème, il est important d’expliciter et d’organiser les interactions que peuvent avoir ces processus. Par conséquent, cette thèse élabore et ajoute deux autres processus fondamentaux : la substitution et la simi- larité, qui raffinent la description des quatre précédents et contribue à leur organisation (cf. Figure4.4).

4.2.1.5 La substitution

La substitution désigne l’élimination d’un objet ou d’un élément de cet objet et son rempla- cement par un autre (cf. Figure 4.3(f)). Dans le cas où l’objet initial fait partie d’un tout, la substitution peut éliminer de ce tout, une partie de « l’histoire » propre à l’objet substitué. À l’inverse de la combinaison, elle tente d’augmenter la néguentropie de l’objet. L’utilisation d’une substitution dénote une négation du potentiel mutationnel ou combinatoire de cet objet en plus d’une introduction de nouvelles propriétés dans l’objet composé dont le substitut fait maintenant partie. D’ailleurs, à l’opposé de la mutation, qui affecte les propriétés intrinsèques de l’objet manipulé, et à l’instar de la combinaison, cette opération de remplacement traite des propriétés extrinsèques de son objet : la position spatiale, l’orientation, la translation et

la rotation. Elle les conserve dans la mesure où le substitué remplissait certaines conditions mais insuffisamment par rapport à un changement du contexte survenu à un moment donné de la conception. De là, ce changement affecte la finalité de la substitution mais il est rare qu’il soit radical. Le cas échéant, il signifie que les propriétés de l’objet substitué ne répondent plus aux données du problème considéré.

4.2.1.6 La similarité

La similarité représente la production d’un objet à partir d’une classe de relations de res- semblance entre les données du problème considéré et une solution (ou modèle ou type de solution) d’un autre problème dans un même domaine de connaissance (par opposition à l’analogie) (cf. Figure 4.3(c)). Par exemple, construire un casino (problème architectural donné) ayant la forme d’une pyramide égyptienne (solution architecturale précédente) est un cas de similarité géométrique, bien que les matériaux, l’échelle et le traitement des façades (pour ne citer que ces propriétés) ne soient pas similaires ; on pourrait considérer la simila- rité comme un cas particulier de l’analogie. Elle cherche donc une réplique particulière qui pourrait conserver le contenu informationnel (cf. §3.3.5) de son modèle. Toute application typologique réduit le champ de l’interprétation : « typologies should properly be regarded as situational rather than universal » (Mitchell, 1990, p. 91).

Par ailleurs, les six processus reflètent la notion du temps en architecture, qui trouve son expression tangible dans l’accumulation matérielle des productions qui en résultent, et cette catégorisation temporelle synthétise « comment les œuvres se transforment et quelles sont [. . .] leurs potentialités d’adaptation, leur plasticité temporelle » (Prost, 1992, p. 150). Cette dimension ouvre la perspective des rapports entre la sémiose, en tant que processus continu de signification, et la production de la forme architecturale. Une étude de cas de l’influence de la stratification du savoir-concevoir à travers les transformations d’un milieu bâti est développée plus loin (cf. §4.6).