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La formalisation de l’abduction en CAAO

2.6 L’abduction en intelligence artificielle

2.7.1 La formalisation de l’abduction en CAAO

L’abduction trouve ses premières applications en conception architecturale avec le courant DESIGNMETHODet son aspect ampliatif sous-tend la production architecturale (March, 1976, p. 16-18). L’apport créatif de ce mode d’inférence à la conception architecturale s’inscrit dans une complémentarité avec les deux autres processus inférenciels, à savoir, l’induction et la déduction. L’abduction produit un objet selon les principes généralement admis de la compo- sitionarchitecturale. La déduction prédit le comportement de cet objet et son usage potentiel

connaissances

solution = spécifications = abduction

(configuration)

(commande)

performances

FIG. 2.14 – L’abduction en conception architecturale.

par une décomposition et une analyse des rapports de ses parties à sa totalité. L’induction vérifie et évalue l’adéquation de cet objet aux objectifs fixés, selon une règle ou supposition de conformité.

Toutefois, cette complémentarité n’est pas nécessairement séquentielle. Dans une étude du comportement des architectes durant le processus de conception, Rowe (Rowe, 1987, p. 103) note le recours fréquent à l’abduction, sans contraintes d’ordre et selon l’évolution temporelle de la conception. De plus, pour souligner l’aspect ampliatif de l’abduction, l’auteur le définit comme étant « une appropriation extérieure au contexte immédiat de l’espace du problème, utilisée pour sa promesse de fournir un plus haut niveau d’organisation » (Rowe, 1987, p. 102). Par exemple, soit un élément A appartenant à un plan abstrait X et soit C un autre élé- ment d’un plan abstrait Y différent de X (cf. Figure.2.15). Le problème est d’intégrer les deux éléments A et B en un seul plan tenant compte de X et Y . La solution est une « appropriation » extérieure aux domaines de A et B, c’est à dire changer de point de vue, et considérer que X et Y sont deux plans dans un espace tridimensionnel D, pouvant être reliés par une surface courbe B qui unit A et B en élargissant leurs domaine respectifs. D’ailleurs, il est surprenant de noter l’absence du traitement de l’abduction, de la déduction et de l’induction, dans la formalisation logique de la conception architecturale par Mitchell (Mitchell, 1990).

La représentation numérique de l’abduction en CAAO s’appuie fortement sur une formali- sation logique à l’aide d’un ensemble de termes fondamentaux (Coyne et al., 1990, p. 71), (Coyne, 1988) :

– un vocabulaire V regroupant les éléments utilisés, par un système ou un concepteur, pour produire une description ;

– une description D qui représente les résultats du processus de conception. En fait, la description organise le vocabulaire en une structure cohérente ;

– une interprétation I qui représente les intentions, les objectifs ou les exigences d’un problème de conception. Dans les cas de l’évaluation ou de l’analyse d’un objet exis-

D Y X A C B A C

FIG. 2.15 – L’aspect ampliatif de l’abduction redessiné d’après (Rowe, 1987, p.104). tant, l’interprétation désigne les résultats de ces deux opérations ;

– une connaissance C propre au domaine du problème donné. Cette connaissance relie les interprétations au vocabulaire. Il est parfois utile de différencier entre la connaissance interprétative Ciet la connaissance syntaxique Cs.

Les possibilités d’organisation logique de ces termes les mettent en correspondance avec les trois modes d’inférence, (abduction, déduction et induction) (cf. Tableau 2.1). Donc la conception abductive (ou la description D) devient une transformation d’un ensemble regrou- pant la connaissance du domaine (interprétative ou syntaxique), les intentions et les perfor- mances requises. D’une façon intuitive, l’abduction a pour objectif la description d’un objet pour qu’il soit simultanément conforme aux intentions du concepteur et les connaissances que possède celui-ci d’un domaine particulier. Elle est représentée par l’équation logique suivante : D = τ(Ci, I) où τ désigne un opérateur de transformation souvent modélisé par

une procédure de contrôle (Coyne et al., 1990, p. 72-73). Bien qu’exprimée sous cette forme, le problème de la caractérisation de l’abduction (cf. §2.2 et §2.4.1) semble encourager son implémentation par une forme inverse de la déduction (Coyne et al., 1990, p. 54, 278) (voir aussi §2.5.3pour les critiques de la déduction inverse) :

si < descriptions > alors < per f ormances > forme déductive

si < per f ormances > alors < descriptions > forme déductive inverse (abduction)

Une difficulté principale dans cette approche est le statut de l’opérateur τ. En effet, une com- paraison entre les équations logiques de l’abduction et de la déduction, dans le Tableau2.1, révèle l’équivalence ontologique entre les composantes de ces équations excepté pour les deux opérateurs utilisés. Bien que les auteurs précités ne l’expriment pas, il est plausible d’établir une équivalence entre τ, considéré maintenant comme une procédure de contrôle, et trois conditions générales et nécessaires pour encadrer l’implémentation par la déduction inverse (Coyne et al., 1990, p. 282-288) :

– l’hypothèse du monde clos (closed-world assumption) qui limite les connaissances à celles que possède le système de raisonnement à son état initial et empêche tout ajout

TAB. 2.1 – Les composantes du modèle logique de la conception architecturale.

VOCABULAIRE DESCRIPTION INTERPRÉTATION CONNAISSANCE

V= τ1(D, Cs) D= τ2(Ci, I) D= τ3(Cs, V ) I= τ4(Ci, D) Ci= τ5({D1, D2, ...}, I) Cs= τ6({D1, D2, ...}, V ) abduction et

production syntaxique déduction induction

pendant de l’inférence. Le système postule donc la complétude des connaissances uti- lisées et par conséquent l’hypothèse produite répond à toutes les observations du pro- blème considéré ;

– la connaissance non conflictuelle qui exige que les informations traitées soient consis- tantes entre elles et le demeurent pendant le raisonnement. Alors, la monotonie des solutions générées est assurée ;

– la précision du domaine des solutions qui assigne à chaque problème une et une seule solution optimale.

La nécessité de ces conditions résulte de la contrainte fondamentale de monotonie inféren- cielle imposée par le choix de la logique des prédicats du premier ordre comme langage de représentation dans ce modèle (Mitchell, 1990, p. 80). Elle reflète notamment la difficulté de transformer le fondement causal d’une déduction en un fondement téléologique d’une abduc- tion. Néanmoins, à travers leur mise en correspondance avec τ pour un problème donné, elles délimitent les espaces de solutions possibles où les compromis entre plusieurs variables de ce problème peuvent être réalisés.

À l’instar de certains modèles en IA, le modèle logique de l’abduction enCAAOest articulé autour de la représentation de ce mode d’inférence par une déduction inverse. Dans ce mo- dèle, l’interprétation, synonyme de sémantique au sens linguistique, est essentiellement dé- ductive (Coyne et al., 1990, p. 234, 280) (cf. Tableau2.1) et par conséquent, se limite à rendre explicite ce qui est implicite dans les connaissances contenues dans le système. Malgré les contraintes ajoutées pour assurer la monotonie de la déduction inverse, sa capacité créative reste discutable. Par exemple, en reprenant l’équation logique de l’abduction D = τ(Ci, I),

soit Ci= {ventiler(x) → con f ortable(x)} une connaissance donnée qui établit une relation

entre le confort d’un espace architectural quelconque et sa ventilation , I = {con f ortable(s)} une exigence dans un problème de conception : il faut que la salle s soit confortable. Par abduction, il faut inférer D = {ventiler(s)} c’est à dire que s soit ventilée. Ainsi, en plus des conditions de monotonie représentées par τ, faut-il que le système contienne s et qu’elle puisse, a priori, satisfaire Ci(Tomiyama et al., 2003) !