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Hiérarchie des catégories phanéroscopiques

de la priméité et délimite matériellement sa possibilité. La secondéité actualise donc la priméité et lui confère une existence réelle. Toutefois, l’opération qui a conduit de la représentation du mur à sa construction n’est qu’une interaction unique dans un ensemble infini de possibilités. La secondéité réduit l’incertitude mais reste singulière, imprévisible et non reproductible. Les éléments du phénomène qui appartiennent à la secondéité sont appelés les secondans. Bien qu’un ou plusieurs primans puissent être impliqués dans un secondan, celui-ci n’est pas un ensemble ou une somme de primans (cf. Figure.3.12). La relation du représentamen à l’objet est un secondan.

3. La tiercéité, qui à son tour présuppose la secondéité, désigne la formalisation par un observateur d’une loi nécessaire qui synthétise l’auto-référence (priméité) et l’inter- action (secondéité). La tiercéité généralise l’individualité d’un objet et l’insère, à la fois, dans une totalité et une continuité inférencielles, et par conséquent, elle rend cette unicité intelligible. Cette catégorie prépare l’action future (la projection) et l’applica- tion anticipée de la connaissance véhiculée par la secondéité. Dans notre exemple ar- chitectural, cette catégorie établit une procédure particulière de construction de murs. Simultanément, la loi signifie que le rapport entre toute représentation de mur et son instanciationest formellement identique à cette loi. La tiercéité résume une multitude de phénomènes possibles en une seule forme intelligible ; elle rationalise l’incertitude dans la cognition et assure la reproductibilité d’autres phénomènes. Le terme tertian désigne les éléments de la tiercéité. À l’instar du secondan, et malgré que plusieurs secondans puissent être impliqués dans un tertian, celui-ci n’en est pas une somme ni un ensemble de trois primans (cf. Figure.3.12). La relation du représentamen à l’inter- prétant est un tertian.

Les trois catégories sont reliées par une hiérarchie d’implication ayant une sémioticité crois- sante (Bense, 1975, p. 108) : la tiercéité implique la secondéité qui implique la priméité (cf. Figure.3.3).

TAB. 3.1 – Les catégories phanéroscopiques adaptées de (Sowa, 2000, p.397).

PRIMÉITÉ SECONDÉITÉ TIERCÉITÉ

QUALITÉ INDEXICALITÉ MÉDIATION

MATÉRIALITÉ état du représentamen Qualisigne qualité 1.1 Sinsigne existence 1.2 Légisigne généralité 1.3 RELATION relation du

représentamen à son objet

Icône ressemblance 2.1 Indice contiguïté 2.2 Symbole convention 2.3 FORMALISATION relation du représentamen à l’interprétant Rhème possibilité 3.1 Dicent information 3.2 Argument interprétation 3.3

3.2.3

La trichotomie du signe

Peirce applique les catégories phanéroscopiques aux trois relations intrinsèques du signe : la relation du représentamen à lui-même, la relation du représentamen à l’objet et celle de l’interprétant au représentamen. Cette application génère, dans chaque corrélat du signe, trois distinctions catégorielles : les subdivisions trichotomiques (cf. Tableau3.1).

Soulignant l’apport peircéen, implicitement effectif et potentiel en intelligence artificielle (IA), Sowa n’hésite pas à qualifier cette dernière de sémiotique computationnelle (Computational semiotics) (Sowa, 2000, p. 402). L’auteur argumente largement l’intérêt de l’application de la sémiotique peircéenne au domaine de la modélisation numérique des connaissances (in- telligence artificielle, raisonnement symbolique, réseaux neuronaux et phénoménologie). Il souligne l’aspect opératoire de cette triple trichotomie de relations qui se traduit dans la ca- tégorisation, non pas des objets, mais des rapports et interactions qu’ils entretiennent, et le synthétise par neuf catégories fondamentales (Sowa, 2000, p. 396-397). Cette synthèse est raffinée par l’ajout d’explications pour chaque catégorie ; son utilité sera argumentée dans le Chapitre4. Le fondement triadique de ce tableau nécessite une distinction terminologique. Le terme sous-signe identifie chacun des neufs éléments du tableau et le terme signe indique une composition comprenant trois sous-signes appartenant respectivement à la matérialité du représentamen, à la relation de celui-ci avec l’objet et à la formalisation de l’interprétant (cf. Tableau3.1) :

Un qualisigne est une qualité potentielle sans identité propre, une apparence arbitraire, un sentiment instantané, le signe en lui-même (Hartshorne et Weiss, 1960, CP 2.244). Par exemple, le rythme de la façade d’une arcade saisi indépendamment de la matérialité des colonnes et des arcs, les notions de transparence, de matérialité, de continuité, de

séparation.

Un sinsigne est une entité réelle, unique, identifiée dans et distincte de son contexte. Le sin- signe matérialise un qualisigne et la présence d’un sinsigne implique nécessairement un qualisigne ; il est considéré pour son existence singulière (Hartshorne et Weiss, 1960, CP 2.245). Toute chose matérielle peut être un sinsigne : un édifice, un arbre, un ordi- nateur, un dessin sur l’écran d’un ordinateur, un plan architectural, un cri.

Un légisigne est une existence cognitive et codifiée d’une loi, c’est la définition d’un type au sens général. Un légisigne peut être établi a priori (par convention) ou a posteriori (par habitude) (Hartshorne et Weiss, 1960, CP 2.246). Des exemples de ce sous-signe : la règle municipale qui impose le recul d’édifice par rapport à la voie publique, la loi physique de résistance du béton à la compression, les lois de la gravitation universelle, l’usage d’un marteau pour enfoncer un clou, savoir comment dessiner un cercle avec un compas.

Une icône est une ressemblance entre une ou plusieurs qualités d’un objet et une ou plu- sieurs qualités d’un signe, c’est une analogie ou une similarité, une relation intrin- sèque (Hartshorne et Weiss, 1960, CP 2.247 ; 2.304). Par exemple, la couleur dorée, dans certaines représentations religieuses, équivaut à la divinité ou à la sainteté ; le des- sin d’une courbe fermée pour signifier un espace clos ; un échantillon en papier bleu pour représenter une couleur bleue.

Un indice ou index est une dépendance causale entre l’objet et le signe, une contiguïté, une relation existentielle nécessaire permettant au signe d’indiquer son objet indivi- duel (Hartshorne et Weiss, 1960, CP 2.248). Les indices regroupent : les traces d’une roue de voiture dans la boue, un fichier sur le disque dur d’un ordinateur, un pronom démonstratif, un morceau d’une essence de bois, des ruines architecturales.

Un symbole est une convention de relation entre le signe et l’objet établie par une récur- rence ou une acceptation sociale. Le signe remplace son objet selon une loi qui décode ce remplacement (Hartshorne et Weiss, 1960, CP 2.249). Par exemple, un panneau de signalisation routière, le dessin d’une note musicale, les dimensions métriques dans un plan architectural.

Un rhème est une possibilité qualitative d’un signe. Du point de vue logique, le rhème cor- respond à une variable qui pourrait prendre n’importe quelle valeur pour un prédi- cat donné ; l’on peut rapprocher ce sous-signe de l’idée d’un contenant vide en at- tente d’être rempli. Le signe prend sa place dans l’inférence indépendamment de son contenu (Hartshorne et Weiss, 1960, CP 2.250). De par sa possibilité, le rhème reste incertain ; sa valeur de vérité est indéterminée et indécidable. Il constitue le fondement de l’abduction (cf. §3.2.4.4). Sont des rhèmes : l’espace vide dans une phrase comme « . . . est blanc » puisque il exprime une possibilité de complétude ; la notion de paroi en architecture utilisée sans égard à son actualisation éventuelle ; le dessin d’un rectangle qui pourrait désigner un terrain de sport ou une fenêtre ou une boîte.

Un dicent est une hypothèse interprétative et concrète de la relation entre un objet et un signe ; elle peut être vérifiée, validée et acceptée. Dans une proposition logique, qui est elle-même un dicent, les deux corrélats correspondent à deux constantes respectives du prédicat et du sujet. Le signe communique une information sur son objet selon une forme individualisée (Hartshorne et Weiss, 1960, CP 2.251). Par exemple, l’indication que fournit une girouette, placée sur un édifice, sur la direction du vent ; la porte d’un local qui permet d’y entrer ou d’en sortir ; un nom propre placé à côté d’un portrait. Un argument est un signe de raisonnement, une forme de la contextualisation de l’inter-

prétation. L’argument marque une étape d’aboutissement temporaire de la sémiose. La connaissance interprétée explicite de cette façon ses propres fondements par un métalangage. Le signe parle de lui-même (Hartshorne et Weiss, 1960, CP 2.252). La plaidoirie d’un avocat est un argument, ainsi que les postulats mathématiques qui va- lident une démonstration géométrique, la programmation orientée-objet, l’évaluation de l’usage et d’occupation d’un édifice.

Donc, chaque sous-signe admet une connaissance différente des autres. Elle est régie par la place occupée par le sous-signe à deux niveaux : l’inclusion dans un corrélat triadique (re- présentamen/objet/interprétant) et l’inclusion dans une des trois catégories phanéroscopiques (priméité, secondéité, tiercéité) (cf. les cases numérotées dans le Tableau 3.1). En fait, la composition d’un sous-signe se fait en deux temps :

1. Premièrement, l’identification de la catégorie phanéroscopique correspond à .1 pour la priméité, à .2 pour la secondéité et à .3 pour la tiercéité.

2. Deuxièmement, l’identification, de l’appartenance du résultat du premier temps, à une des trois relations : celle du représentamen avec lui même, désignée par 1 ; la rela- tion du représentamen avec l’objet dénotée par 2 et la relation du représentamen avec l’interprétant signifiée par 3.

Alors, la représentation numérique d’un sous-signe prend la forme d’une juxtaposition de deux chiffres. Par exemple, la composition d’un sinsigne présuppose l’identification de la se- condéité dans le signe perçu (.2), suivie par l’identification du caractère de « représentamen » dans cette secondéité (1(.2)). Le sinsigne est donc désigné par (1.2), l’indice par (2.2), le dicent par (3.2) et ainsi de suite (cf. Tableau3.1). Toutefois, un sous-signe ne peut exister, sé- miotiquement parlant, d’une façon indépendante ; il faut qu’il entre en relation avec d’autres sous-signes pour qu’il puisse remplir son rôle. La sous-section suivante étudie les compo- sitions possibles des sous-signes et le contenu informationnel qui en résulte. La notion de contenu informationnel est détaillée dans la sous-section §3.3.5.

Qualisigne Sinsigne Rhématique (II) Rhématique (VI) Légisigne Indiciaire Légisigne Symbolique (X) Dicent Indiciaire Sinsigne (IV) Légisigne Indiciaire Dicent (VII) Sinsigne Indiciaire Rhématique (III) Rhématique Iconique Rhématique Légisigne (VIII) Légisigne (IX) Légisigne Iconique Symbolique Rhématique Argumental Symbolique Dicent Iconique (V) (I)

FIG. 3.4 – La classification des signes triadiques d’après Peirce (Hartshorne et Weiss, 1960,