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6.1) Le contrat de communication

Pour J. C. Soulages76, la communication médiatique se fonde sur une interaction

particulière en ce sens que dans la discursivité du procès communicatif, les deux instances se trouvent dans une situation d’asymétrie. La communication médiatique lie deux instances, l’une de production, l’autre de réception, la première formant une entité institutionnelle (privée ou publique), la deuxième étant difractée dans chaque foyer constituant un nombre indéfini. De ce fait, l’asymétrie se caractérise par le public, structurellement absent, mais qu’il s’agit bien d’atteindre. Pour nous, ce public n’est pas structurellement absent mais plutôt structurellement impuissant. C'est-à-dire qu’il ne participe pas à la communication par un retour discursif (réponse, commentaire, interrogation). C’est un point de vue global puisque nous le savons bien, il existe beaucoup de programmes télévisés qui relèvent de l’interaction téléphonique. Et même dans ces cas, le téléphone (ou internet via les commentaires laissés sur la page « facebook » appartenant au programme télévisé) est un des seuls moyens utilisés pour participer au dialogue, mais il est amputé de la vision et en ce sens, il ne permet en rien d’équilibrer la position de « supériorité » (ou d’autorité) conférée à la télévision : il s’agit d’un simulacre de bilatéralité. Cette vue globale nous permet néanmoins d’appréhender l’information médiatique comme une rupture, une discontinuité entre les instances. Pour cette raison, le processus de communication repose sur une constante régulation afin de réduire cette asymétrie. Ces deux instances sont en corrélation avec un univers événementiel, objet source du discours. Dans une problématique liée à la signification, il est évident que cet objet ne peut exister sans une double et réciproque vectorisation entre les deux instances : c'est-à-dire une mise en accord mutuelle des contraintes de la situation d’échange. Cette coopération fiduciaire est souscrite dans ce que P. Charaudeau appelle le cadre de co-

intentionnalités. Car selon ce chercheur, « tout échange langagier se construit et se réalise dans un cadre de co-intentionnalité, les contraintes de la situation de communication en constituant le garant »77. C’est à travers la reconnaissance des contraintes de la situation de communication que les instances sont capables d’échanger des informations. Ainsi, tout

76 J.-C Soulages. Les Mises en scènes visuelles de l‘information, Nathan/ INA : Paris, 1999, ch.3 77 P. Charaudeau op. cit., p.52

processus de communication présuppose un contrat, qui permet aux instances d’entrer dans une relation d’intercompréhension. Héritière du contrat de lecture, la notion de contrat de communication s’est immiscée dans le champ de la communication à l’aide entre autres des études d’Eliséo Verón et de Patrick Charaudeau78 qui portent sur les conditions intersubjectives de la construction du sens. Ce dernier chercheur s’inspire du procès de double sémiotisation du monde de P. Ricoeur (qui explique comment dans le cadre du récit, on passe de l’expérience du temps et de l’action à leur représentation), pour exprimer les contraintes mais aussi les ententes en inertie dans la construction du sens, qui de facto s’opère par un accord tacite. Il définit le contrat de communication comme un ensemble de conditions dans lesquelles se réalise un échange langagier, et par lesquelles se déterminent l’identité des deux instances ainsi que la visée de cet acte. Le contrat de communication engagerait la reconnaissance de données externes et internes. Les premières sont constituées par tout ce qui concerne les régularités comportementales dues à la pratique sociale en question, (indépendantes de l’acte de sémiotisation) alors que les deuxièmes engagent les comportements langagiers, c'est-à-dire qu’elles permettent de reconnaître tout ce qui constitue le langage par lequel la communication est réalisée (par ses formes ritualisées de description, narration, etc.). Le contrat de communication détermine un univers informatif à partir de sélections du monde qui sont sémiotisées puis ritualisées, en inscrivant les partenaires de l’échange dans une relation intersubjective. Par des dispositifs de mise en texte, mise en scène, mise en discours, l’instance de production construit des types d’architectures en fonction des genres, donnant ainsi lieu à différentes productions d’information (journaux, magazines, reportages, etc.). Pour les informations télévisées, il convient de prendre en compte la notion de diffusion, qui permet de distinguer la télévision des autres types de support dans la mesure où elle dévoile des contraintes spatio- temporelles (par exemple les actualités télévisées sont tous les jours à la même heure, pendant la même durée) et relatives au savoir (informer, expliquer, commenter, décrire vs apprendre, comprendre, prendre position, découvrir). En prenant en compte la notion de

contrat de communication et les principaux constituants discursifs de l’information

télévisée, nous pouvons schématiser ce que nous appelons un complexe de communication, afin d’exprimer les particularités de la structure discursive conférées par le média télévisuel.

6.2) Sens et contraintes médiatiques : le complexe de la

communication

Il est important pour nous de mettre en évidence, de manière non exhaustive, certaines caractéristiques du processus de communication médiatique en jeu dans les informations télévisées. Nous resterons dans une problématique liée à la signification, et nous allons mettre en perspective les différents opérateurs de construction du sens par le contrat de communication. Il s’agit de faire prévaloir le discours manifesté par le texte audiovisuel, mais dans une perspective large qui n’exclut pas la situation d’énonciation ni les instances qui participent au processus et qui y déposent leur empreinte. Nous pouvons ainsi distinguer les différents éléments, aussi bien sur le plan de l’expression que du contenu, qui permettent la co-construction du sens au sein de ce que nous souhaitons appeler un complexe de communication télévisuelle. Par ce syntagme, nous désignons ce que d’autres nomment processus, mais en incorporant l’idée d’achoppements nécessaires au cadrage méthodologique et/ou épistémologique car la télévision n’est pas le domaine exclusif d’une discipline. La sociologie peut y voir une surface de tensions entre rapports sociaux, alimentés par des conflits de représentation au sein de l’espace public, l’histoire peut s’y référer en tant qu’écriture d’une mémoire collective ou d’une histoire sociale. Pour la politique ou l’économie, la télévision peut constituer un instrument de mesure. D’un point de vue communicationnel et discursif, le sens de l’information télévisée est tributaire des paramètres techniques du support télévisuel dont le direct (ou l’effet de direct) en constitue le fondement. Créant de nouveaux types d’écriture par rapport aux supports antérieurs, la télévision met en œuvre deux strates sensorielles complices dans la construction du sens et qui permettent la mise en forme d’une esthétisation de la matière langagière. Laquelle est capable de créer un rapport à la réalité différent des autres médias d’information (comme la presse ou la radio), grâce à une combinaison tangible du visuel et du sonore. Cette prééminence du visible doit son efficience à la monstration et à l’incessante volonté de parier sur la valeur indicielle de l’image ainsi que sur l’émotion contagieuse. La communication télévisuelle est également complexe dans la mesure où les frontières du discours semblent poreuses, en permettant l’intrusion du propos au sein de l’espace public, dans lequel réside une communauté sociale virtuelle. On le voit, la télévision s’inscrit dans des modes de réception/diffusion particuliers régis par un espace- temps différent des autres médias. Cette singularité prend source dans l’interaction des

dispositifs techniques avec les systèmes socioculturels, bâtissant ce que les médiologues appellent une vidéosphère79 : sphère de communication qui privilégie l’immédiateté de

l’image. Dans la perspective du discours, le médium télévisuel, par la pratique communicationnelle qu’il requiert, entraîne des incidences sur les modes de réception comme sur les modes d’écriture qui, au sein de la matière langagière, se manifestent par de nombreux éléments sémiotiques souvent difficiles à déterminer en raison de leur imbrication sur plusieurs dimensions. Que l’on s’intéresse aux variables visuelles, à l’énonciation, à la narration ou à la mise en scène des émotions, nous ne nous focaliserons pas sur les mêmes constituants, cependant qu’ils s’entremêlent et provoquent un réseau de contraintes. Que l’on articule la recherche dans une perspective sociologique, linguistique ou sémiotique, nous serons confrontés à certaines préoccupations de disciplines voisines. Aussi est-il nécessaire de toujours cadrer son orientation. Nous avons sélectionné plusieurs constituants qui nous semblent importants dans la perspective de la signification des informations télévisées et qui s’attachent à la dimension sensible, à la dimension discursive tout en prenant en compte les traces des instances du parcours communicationnel, puisque, comme nous l’avons vu, le sens est le produit d’une co-construction. Ainsi obtenons-nous une surface discursive « en tension » entre deux instances qui se structurent en fonction de ces dernières :

79 Une médiasphère (logosphère graphosphère et vidéosphère) est un système dynamique d’écosystèmes

Légende :

1 Double intentionnalité

2 Mouvement intersubjectif

3 Relation aux mondes

4 Processus de sémiotisation

Schéma nº2: Processus de communication médiatique

6.3)

Eléments

constitutifs

du

complexe

de

communication

Structure sensible : il s’agit de l’ensemble organisé d’éléments qui font appel à

l’ouïe et à la vue, constitutifs du texte audiovisuel et qui permettent sa perception. Eu égard à la complexité constitutive de la matière audiovisuelle (visuelle et sonore interdépendantes) impliquée par le flux de diffusion en temps réel (la notion de diffusion est propre au support audiovisuel), il est difficile de répertorier toutes les composantes analysables80. Nous avons donc organisé et catégorisé ce qui nous paraît se révéler

important pour notre recherche. Nous distinguons le visuel du sonore. Pour le premier, nous différencions le verbal inscrit de l’iconique, qui relève de l’image dans son acception photographique (inscription de la lumière). Chacune de ces deux substances, pour reprendre la terminologie de Hjelmslev81, est déterminée dans sa manifestation par une

spatialité (qui met en place l’ordonnance des couleurs, des textures et des formes) et une temporalité (qui détermine la vitesse, le rythme du mouvement). En ce qui concerne le son, de la même manière que l’image, nous distinguons le verbal du sonore stricto sensu. Ainsi pouvons-nous confronter deux univers : celui du monde de l’événement (qui peut être en direct ou préenregistré) et celui du studio du journal télévisé (qui est essentiellement en direct). Nous opposons également le bruitage qui fait l’objet d’une transformation sonore (création dans le but d’imiter le bruit du monde) et la musique qui est plutôt de l’ordre du passionnel.

Structure narrative : nous distinguons la structure narrative de la structure

énonciative sur les points suivants. Nous nous appuyons sur la définition de la narrativité de A.J Greimas et J. Courtés, qui précise que « le niveau discursif relève, pour nous, de

l‘énonciation, alors que le niveau narratif correspond à ce qu‘on peut appeler l‘énoncé »82. En effet, par structure narrative, nous entendons un ensemble dont la fonction

80 En ce qui concerne l’image, nombre de composantes peuvent être extraites selon l’objectif d’analyse

comme les formes, figures, couleurs, textures, grains… comme le groupe µ qui s’efforce de mettre en avant le poids de la dimension plastique de l’image. L’image cinétique en revanche ajoute l’aspect temporel de la diffusion et implique des notions dont les frontières sont difficiles à cerner, tels que la séquence, le plan, le clip… Le mouvement en est la principale caractéristique (ralentissement, accélération…) permettant au temps de configurer la syntagmatique télévisuelle. Pour le son, il en est de même, nous pourrions extraire des composantes aussi diverses que la mélodie, la tonalité, le rythme, le tempo, les mesures, la prosodie… Le syncrétisme que la télévision engage implique un cadrage méthodologique.

81 « […] on peut appeler substance la variable (la manifestante) d'une manifestation ; nous appellerons

usage linguistique une substance qui manifeste un schéma linguistique».

L. Hjelmslev. Le langage, Paris : Les Editions de Minuit, 1969, p. 163.

est de mettre en dynamique la structure sensible du texte audiovisuel. Il s’agit d’engager une syntaxe et une grammaire propres au discours d’information médiatique, afin de créer des changements d’état dans le plan du contenu (et de constituer ainsi un récit). Les éléments sensibles transmis par l’écran et le haut-parleur de la télévision sont organisés de manière à construire une succession temporelle de fonctions, c'est-à-dire à créer des états et à les transformer. Se construit ainsi dans le narratif la dimension figurative qui, selon Joseph Courtés, concerne tout système de représentation qui a un correspondant au plan

du signifiant du monde naturel, de la réalité perceptible83 . Pour cela, nous la rapprochons

directement de la structure sensible et de la détermination syntaxique de cette dernière. Contrairement à la thématique (à laquelle il est corrélé dans la sémantique discursive) qui a trait au contenu, à l’expressio, ou aux concepts, le figuratif (iconique) se détermine par sa ressemblance à une sémiotique du monde naturel. Ainsi, par exemple, les informations télévisées nous évoquent le thème de la souffrance à travers des figures de douleur, montrant des personnages blessés. Nous ajoutons que le passage de la structure sensible (perceptible) à la structure narrative s’effectue par une opération cognitive, car c’est au sein de cette dernière que les actions (états transformés) prennent sens ; c’est d’ailleurs pourquoi le figuratif et le thématique sont les composantes d’une sémantique discursive.

Les ancrages : pour ce qui est des ancrages, nous avons choisi de mettre en avant

les domaines sémiotiques qui soulignent la relation que les instances entretiennent avec les mondes (naturels, cognitifs, idéologiques…). Car cette relation se trouve inscrite dans le discours par diverses traces de subjectivité. Nous situons l’axiologie, même si elle constitue une des composantes de la sémantique du discours (avec le figuratif et le thématique), au même niveau que le pathos, puisque qu’elle implique un investissement thymique qui inscrit dans le discours ce qui est susceptible d’affecter l’énonciataire. Nous situons également dans le même cadre l’idéologie car d’un point de vue sémiotique, elle s’opère par des jugements de valeurs. Selon le dictionnaire raisonné des sciences du langage, l’axiologie désigne le mode d‘existence paradigmatique des valeurs, par

opposition à l‘idéologie qui prend la forme de leur arrangement syntagmatique et actantiel84. Ces ancrages ont en commun le fait qu’ils déposent les traces de l’intersubjectivité, issues entre autres des intentionnalités des instances de production et de réception.

83 Joseph Courtés, Analyse Sémiotique du Discours, de l‘énoncé à l‘énonciation, Hachette, Paris, 1991, p.163 84 A.J Greimas et J. Courtés, op. cit. p.26

Structure énonciative : au sein des sciences humaines, il existe différentes

approches de l’énonciation ; il s’agit pour nous de considérer cette structure, selon les propos de J. Courtés, comme une instance proprement linguistique ou, plus largement,

sémiotique, qui est logiquement présupposée par l‘énoncé et dont les traces sont repérables dans les discours examinés85. Il existe donc au sein du message (entendu comme manifestation discursive) des marques inscrites par le locuteur, qui justifient son existence au sein d’un ensemble actantiel et spatio-temporel. C’est à travers la subjectivité du langage que ces marques s’inscrivent, elles peuvent concerner les protagonistes du discours, la situation de communication, les circonstances spatio-temporelles et les conditions générales de production/réception du message. Pour cette raison, notre schéma met en avant les déictiques spatio-temporels, actantiels, ainsi que les modalités. C’est également pour cela que nous engageons les ancrages (axiologiques, pragmatiques, pathémiques…) dans la problématique de l’énonciation par l’intermédiaire de la subjectivité. Car c’est à travers ces marques que la communication prend réellement le sens de relation interlocutrice. De plus, l’énonciation en tant que telle met en perspective l’aptitude pragmatique de la communication. Pour les informations télévisées, ces marques mettent en avant les intentionnalités des instances à travers l’hétérogénéité de leur manifestation. C’est notamment à travers les marques de l’énonciation que la relation chaîne - message audiovisuel - téléspectateur se construit dans un simulacre de hic et nunc (à travers par exemple des dispositifs tels que le direct)

Processus de co-construction du sens : malgré la forme linéaire de notre schéma, il

est nécessaire de préciser qu’il n’est pas à confronter au schéma de Shannon et Weaver que l’on trouve dans la théorie de l’information86 , ou encore à celui de Jakobson87. Nous nous en sommes inspirés pour mettre en évidence les instances mais nous avons également pris appui sur celui de P. Charaudeau qui dévoile les processus de sémiotisation (transformation et transaction). Nous lisons ce schéma dans deux directions, l’une du centre vers l’extérieur (concernant le message), l’autre allant des extrémités vers le centre (concernant les instances). Ainsi est-il possible de comprendre que le sens est le produit d’une négociation intentionnelle entre les instances. Le schéma montre ces intentionnalités par les flèches parallèles qui relient les instances au message. Lequel se décrit par rapport à son statut perceptif (structure sensible), narratif, puis énonciatif. Pour cela, il s’agit d’un

85 Joseph Courtés, op. cit. p. 246

86 C. Shannon, W. Weaver. The mathematical Theory of Communication, University of Illinois Press, 1949 87 R. Jakobson, op. cit.

complexe communicationnel dans la mesure où il met en jeu plusieurs niveaux d’analyse. Ce schéma souhaite mettre en perspective la construction du sens en termes de reconstruction de l’événement. Pour cela, nous n’avons pas inscrit les imaginaires socio- discursifs, qui feraient appel à d’autres disciplines telles que la sociologie, la sociologie des médias ou encore l’anthropologie. Nous pouvons admettre que les imaginaires socio- discursifs sont le fruit de la rencontre entre l’intentionnalité de la chaîne et celle du public, alors que la reconstruction événementielle est la rencontre entre l’instance de production (le média) et de réception (citoyens). Le sens serait l’articulation de ces deux rencontres, l’interprétation en serait le résultat cognitif.

Après avoir défini, au sein du vaste champ interdisciplinaire de l’objet télévisuel, les voies qui intéressent notre travail, il convient désormais, de les appliquer dans une description des principaux éléments constitutifs du paradigme communicationnel du journal télévisé. En effet, l’information télévisée s’inscrit dans un rituel qui chaque jour investit les foyers pour proposer une vue soi-disant imprenable sur le monde. Bien que les dispositifs narratifs, énonciatifs et pathémiques l’inscrivent dans différents niveaux de profondeur sémantiques, ils définissent une constance qu’il s’agit de saisir avant de pouvoir définir, par différence, l’information d’urgence