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Les théories mathématiques de la communication ont, depuis leur création, beaucoup évolué, même si elles sont critiquées, ou parfois laissées pour compte, il est néanmoins nécessaire de rappeler qu’elles demeurent présentes dans les pensées contemporaines sur les médias. Ceci parce qu’elles constituent le fondement des sciences de l’information et de la communication mais également parce qu’elles introduisent l’importance des différentes instances dans le processus de communication. D’autre part, elles montrent le poids qu’une société aux prises avec les médias de masse peut avoir sur l’individu qui se construit. Nous jugeons par conséquent utile de préciser les théories mathématiques et leurs incidences dans une pensée communicationnelle non pas à travers leurs concepts mais plutôt selon la fresque sociale qu’elles dessinent.

2.1) Pour un lien social

Les notions de communication et d’information sont depuis la moitié du vingtième siècle devenues inséparables. L’homme, comme l’animal, a depuis toujours communiqué, si l’on entend par communication le processus de transfert d’informations. C’est Norbert Wiener qui au sein de ce qu’il appelle la cybernétique, a conditionné ces deux notions dans un paradigme utopique, se rapportant à une science du contrôle26. Une science qui régirait les lois de la communication, qu’elles concernent l’homme, l’animal, la société ou les machines… Car pour la cybernétique, le monde entier est régi par les relations qu’entretiennent les choses. Cette discipline serait donc bâtie sur le mode du réseau mais qui placerait au premier rang l’information. De la micro (des neurones par exemple) à la

macro (les états, l’économie…), le point commun entre tous les éléments du monde est

pour la cybernétique la relation : c'est-à-dire que les êtres n’existent que par leurs rapports mutuels. Cette science, qui vise une certaine modernité et une société équilibrée, s’articule sur tous les plans : elle propose d’interpréter le monde en termes d’information et de communication, se confrontant à l’aporie de l’interdisciplinarité. Le projet de la cybernétique ne s’arrête pas là, il propose d’organiser la société future sur la base de cette nouvelle matière qu’est l’information, entendue au sens mathématique, autrement dit la

société pourrait s’organiser et se contrôler quantitativement. Elle pourrait se définir par l’analyse de l’information qui circule en son sein. Cependant la cybernétique prend garde à la communication de masse qui aurait tendance à provoquer un désordre social, la communication doit justement devenir une valeur centrale d’ajustement afin d’éviter le chaos. Pour cela, Wiener reprend le concept d’entropie introduit par Rudoph Clausius, opposé à celui d’information. La communication est envisagée dans une perspective utopique dans la mesure où elle se donne comme motivation de faire reculer l’entropie. L’entropie est la mesure de la dégradation (ou le désordre) d’un système, selon l’acception de Wiener nous pourrions la définir trivialement comme une sorte d’imperfection du monde dans le sens où elle empêcherait le bon fonctionnement de l’activité rationnelle de l’homme. Une science de la communication se justifiait dans la mesure où elle permettait de contrer ces imperfections. La théorie mathématique de la communication introduite par l’élève de Wiener, Claude Elwood Shannon, engageait dans un même système un certain nombre de constituants (émetteur, canal, message, récepteur…) et était vouée à reproduire un message de manière exacte ou approximative d’un point à un autre. Cette vision relativement fermée des relations entre les êtres de notre monde permet de mettre en exergue la notion d’information qui, dans cette perspective, était entendue au sens de « données mises en forme » dépendantes de l’acte de communication. Ces approches linéaires, dont il n’est plus nécessaire de rappeler le fonctionnement, ont été introduites conformément à la forte évolution technologique et à l’importante avancée technique qui, au cours du temps, ont permis d’installer un syntagme considérablement utilisé durant près d’un demi-siècle, celui de « société de l’information ».

Malgré le caractère mécanique et déterministe que nous pourrions reprocher à ces théories (en raison de leur aspect calculable), nous ne pouvons pas exclure l’importance du rôle qu’elles ont joué dans la recherche sur les médias, non seulement au niveau conceptuel parce qu’elles sont des théories fondatrices mais aussi parce qu’elles ont dès leur origine suscité un intérêt particulier à la relation [message – société – politique]. Le contexte historique (l’après seconde guerre mondiale, puis guerre froide) ayant impulsé ces études, témoigne de la préoccupation qu’a eu la sociologie, après la cybernétique, à travailler sur les effets des médias et sur le pouvoir politique qu’ils peuvent impliquer.

2.2) Un homme qui se définit par la communication

Philippe Breton27 met l’accent sur les effets pervers d’une communication qui a pris

une place prépondérante dans nos sociétés. Pour lui, le projet de Wiener est un projet utopique en ce sens qu’il prétend à une société idéale en plaçant la communication comme valeur centrale, mais également en offrant une autre vision de la définition de l’homme :

L‘Homo communicans. Celui-ci est un homme nouveau inséré dans une société de

communication, et qui n’est social que par la communication. L’individu est ainsi défini par sa capacité à communiquer socialement, il n’est plus considéré de manière isolée, mais par son activité vis-à-vis d’autrui : l’individuel n’a de sens que plongé dans le social.

L‘Homo communicans28 est un être sans intériorité et sans corps, qui vit dans une société

sans secret, un être tout entier tourné vers le social, qui n‘existe qu‘à travers l‘information et l‘échange, dans une société rendue transparente, grâce aux nouvelles « machines à communiquer ».

L’information pourrait être pensée comme donnée minimale sociale dans le sens où elle a été considérée comme primat des relations humaines, l’homme se définissant par son acte de communication. Au delà de leurs aspects mécaniques et mathématiques, les reproches que nous pourrions faire à ces théories sont qu’elles se sont engagées dans un projet ambitieux, celui d’éclater le domaine de la communication à tous les éléments du monde, et donc de régir le monde sur une seule loi : envisager la communication dans la perspective du contrôle social, ce qui revient à instituer aux médias un pouvoir politique. Son projet consiste à considérer la communication comme un circuit fermé au sein duquel les questions liées à l’interprétation et aux effets des récepteurs semblent exclues. Toutefois, nous admettons que la cybernétique a mis en avant une architecture sociale basée sur l’échange, une communication pouvant être vue comme un phénomène social à l’intérieur duquel les individus cherchent à entrer en relation.

27 Ibid. 28 Ibid.