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Nous venons de voir que le discours d’information médiatique est le produit d’un acte de communication qui suppose un savoir. L’utilisation du terme « savoir » implique une dynamique, il est à notre sens légitime dans la perspective discursive. Si nous parlions de message, alors le terme « donnée » serait approprié. Le savoir renvoie à l’intelligible, il permet ainsi de s’octroyer une quantité infinie de sens possibles selon les conditions d’énonciation. Le discours peut donc être assimilé à une matrice dont le sens du savoir transmis n’existe que par la conjugaison des situations de production et des conditions d’interprétation.

5.1) Information : connaissance ou savoir

Bien que la connaissance et le savoir soient communément pris en charge par des acceptions philosophiques ou psychologiques, il est de notre compétence d’en déterminer les particularités du point de vue communicationnel et discursif. Les connaissances sont, tout comme les croyances, constitutives des savoirs. Ceux-ci acquièrent leur statut intelligible lorsqu’ils se manifestent à l’instance de réception en tant que connaissances culturalisées. En effet, c’est par l’adjonction aux données propres à la sphère du destinataire que les connaissances et les croyances constituent les savoirs potentiels du monde. Pour Jean Meyriat60, l’information produit une modification de l’état de

connaissance de celui qui la reçoit, c'est-à-dire que c’est par l’information que l’on accède à la connaissance. Selon Yves Jeanneret61 « nous pouvons employer le terme d‘information

pour désigner la relation entre le document et le regard porté sur lui ». Ce regard peut être

de connaissances lorsque nous nous approprions des idées ou des méthodes, ou de savoirs lorsqu’il caractérise des formes de connaissances reconnues par une société. Il semble qu’aujourd’hui, les théoriciens des sciences de l’information et de la communication s’accordent sur l’imbrication de la connaissance et de l’information, destituant à cette dernière ses propriétés purement mécaniques autrefois léguées par une communication

60 J. Meyriat, « Information vs communication ». In : L’espace social de la communication : concepts et

théories, A.-M. Laulan, dir. Paris : Retz-CNRS, 1985, p. 63 – 89

61 Y. Jeanneret. Y a-t-il vraiment des technologies de l‘information ? Villeneuve d’Ascq : Presses

encadrée dans une enceinte déterministe. En effet, l’information est pourvue de sens, car si les SIC considèrent que l’information est au cœur de toutes les activités cognitives humaines en tant que connaissance communicable62, c’est en vertu du statut proprement

signifiant de la communication. En ce sens, la connaissance peut, comme le souligne B. Lamizet63 être assimilée à un capital subjectif qui résulte du flux d’information transmis par le processus de communication. Alors que l’information se manifeste par et dans la transmission, c'est-à-dire dans la relation subjective entreprise par le destinataire ; la connaissance, elle, résulte de l’activité de l’esprit lorsque le sujet est entré en contact avec l’information. En cela si les connaissances s’inscrivent dans une relation intersubjective, elles sont tributaires du processus d’interprétation, elles peuvent donc se définir, selon François Rastier, comme les produits réifiés de l'interprétation64, dans la mesure où elles

font valoir l’intelligibilité du processus de communication. Abordée en termes ontologiques, la connaissance (tout comme le savoir) échappe aux problématiques des sciences du langage mais peut s’appréhender en termes cumulatifs lors d’un échange, car le savoir s’appuie toujours sur quelque chose : l’objet du savoir, formulable en énoncés descriptifs. Dans la mesure où le savoir s’inscrit dans une circulation (transmission, acquisition), la dimension cognitive ne saurait occulter l’assiette pragmatique sur laquelle elle repose. En effet, la perspective cognitive nous oblige à concevoir le discours comme un état de savoir (un savoir-être) ou comme une activité cognitive (un savoir-faire). Il implique donc des compétences cognitives des deux instances concernées, pour que la circulation (le discours en tant que faire) puisse mener à bien le processus d’interprétation : pour que le faire-savoir puisse provoquer le faire-être. Pour les disciplines qui s’intéressent au discours, le savoir peut donc se définir comme une connaissance signifiante, impliquant nécessairement un processus de communication (transformation, transaction et interprétation) et une relation intersubjective.

62 J. Meyriat, « Pour une classification des sciences de l’information et de la communication », Schéma et

schématisation, no 19, 1983.

63 B. Lamizet. Les lieux de la communication, Paris: Edition Mardaga 1995

Le savoir : la conquête de l‘inconnu

Si nous parlons de discours d’information médiatique, il est logique d’évoquer le savoir dans la mesure où ce dernier résulte d’une production langagière destinée à être assimilée par le destinataire, voire à constituer une mémoire collective, puisque les informations médiatiques participent à l’organisation de l’espace public65. Le savoir se structure selon la

pratique discursive engagée par l’homme pour représenter le monde (décrire, expliquer, commenter…) de manière intelligible en le catégorisant66. L’information médiatique

intervient pour combler un vide, interprétable en tant qu’objet de savoir sur un certain événement. « Un élément d‘information, pour contribuer à l‘information générale de la

communauté, doit dire quelque chose de substantiellement différent du patrimoine d‘information déjà mis à la disposition de la communauté »67. Cette citation de Wiener

illustre bien le rôle des instances médiatiques au sein de la société. L’information doit révéler et transmettre un objet inédit, inexistant pour l’instance de réception, qui sera ensuite interprété, puis assimilé. Ce simple principe impose quelques considérations autour de la notion de savoir. L’information doit disposer du principe de saillance afin qu’elle puisse justifier son existence dans l’acte de communication. Les informations télévisées (tout comme la presse ou la radio) ont pour objectif de créer la nouvelle, c'est-à-dire de mettre à disposition du public-citoyen les informations particulièrement notables qui brisent la continuité factuelle du monde et qui se distinguent des savoirs acquis dans notre expérience au monde : elles fabriquent l’événement. Les savoirs transmis dans le processus de communication médiatique sont censés constituer l’espace public au sein duquel l’événement fera l’objet d’un intérêt social.

Les deux déclinaisons du savoir

Ces savoirs se déclinent en deux branches, l’une étant le savoir de connaissance, l’autre le savoir de croyance. Pour P. Charaudeau68, le premier est censé rendre compte du monde de

manière objective à travers une sorte d’apprentissage empirique des données. Le savoir de connaissance concerne la taxinomie des choses du monde. L’homme différencie les éléments de son univers à travers le repérage arbitraire de l’apprentissage. À travers la relation empirique que le sujet entretient avec le monde, les connaissances se construisent

65 Conjointement, selon Bernard Miège, avec les relations publiques, la presse d’opinion et la presse

commerciale.

66 P. Charaudeau, Les médias et l‘information : l‘impossible transparence du discours, Bruxelles : De Boeck,

2005, p.32

67 F. Jost. Comprendre la télévision et ses programmes, Paris : Armand Colin, p. 66 68 P. Charaudeau, op. cit

par classification et indexation. L’une pouvant être l’explication d’une relation existant dans un champ qui satisfait un groupe social à un moment donné69, l’autre pouvant constituer le lien assurant cette explication et le support par lequel elle est médiatisée. Les savoirs de connaissance sont catégorisés selon trois aspects principaux du monde : aspect

existentiel, événementiel et explicatif. Le premier est, selon P. Charaudeau, une

détermination sensible de la présence des objets du monde dans un certain espace/temps et par certaines propriétés de leur factualité qui les distinguent des autres. Le second est une détermination socialement admise par convention, il indique ce qu’il est advenu ou ce qu’il advient du monde. Le troisième aspect est, selon le linguiste, la détermination du pourquoi et du comment des événements du monde, il permet de les rendre intelligibles.

Les savoirs de croyance sont des savoirs qui résultent de l’activité humaine par évaluation et appréciation. Les croyances se construisent par des normes sociales puisqu’elles sont le produit d’imaginaires sociaux (effectifs ou idéaux). Elles sont soumises au système d’interprétation dans lequel les jugements de valeur fondent ce qui est probable, possible, susceptible etc. Les savoirs de croyance construisent le monde par le regard subjectif que nous portons sur lui.

L’information devient savoir lorsqu’elle est acquise dans un processus de communication signifiant. Le savoir peut être considéré comme intérêt commun, à travers le média qui ouvre l’accès à l’espace public, et peut faire l’objet de discussions, de débats, de controverses hors du processus de communication médiatique. Au-delà du parti pris, ces différentes positions que les individus adoptent lors de ces mises en commun sont imputées aux différentes interprétations que l’on peut avoir sur l’événement représenté dans les informations, notion qu’il est nécessaire d’interroger puisqu’elle est au centre de la confrontation entre le discours d’information médiatique et le monde.

5.2) Discours et événement

À travers ce titre, nous souhaitons mettre en évidence l’opacité du discours d’information médiatique. Entre l’événement – qui dans son acception commune, appartient au monde – et le discours de l’événement, il existe un voile opaque ne laissant entrevoir qu’une infime silhouette du monde : une structure amorphe dont les contours ne sont pas définis laissant libre cours à l’interprétation. L’événement tel qu’il est représenté dans le discours – c'est-à-dire avec les contraintes que le discours suppose, parmi

69 Viviane Couzinet. Les connaissances au regard des sciences de l’information et de la communication : sens

lesquelles les conditions de production et les dispositifs énonciatifs – peut être comparé aux nuages avec lesquels les enfants s’amusent à interpréter la forme. De la même manière que les nuages constituent des potentialités diverses, laissant entrevoir différentes figures, chacune particulière, pour chaque enfant selon son interprétation, l’événement est reconstruit dans le discours ne laissant percevoir que des perspectives différentes selon le regard porté sur lui lors du processus de construction du sens. Nous jugeons utile de définir la notion d’événement dans la mesure où ce que nous considérons ainsi n’est autre qu’une construction humaine tout comme le discours.

L‘événement

Pour l’information médiatique l’événement peut se définir comme un état particulièrement notable qui fait rupture dans le continuum du monde. Toutefois, il serait présomptueux de vouloir définir l’événement comme une délimitation spatiotemporelle absolue et universelle70 car il présuppose, préalablement, une catégorisation thématique par

le sujet énonciateur. Ceci suppose que ce sont les médias qui construisent l’événement en ce qu’ils le nomment comme tel. L’événement est déterminé dans un espace-temps relativement indéfini, et au sein de l’information médiatique il se restreint à la temporalité et à la spatialité du discours que lui inflige l’instance de production. L’événement est toujours le produit d’une construction, même si le discours nous pousse à croire qu’il crée une rupture par lui-même au sein de la réalité phénoménale. Notre position est très claire à ce sujet : la « réalité » n’a pas de rupture (elle est un continuum), c’est nous qui accordons à l’événement une discontinuité en le manifestant dans un énoncé et en le catégorisant comme tel : l’événement n’est événement que dans le discours, à travers la présence sensible que ce dernier lui confère. Le (morcellement du) monde devient événement lorsqu’il s’inscrit en tant qu’objet visé par le discours. En effet l‘événement ne signifie

qu‘en tant qu‘il fait événement dans un discours71. Cette pensée de P. Charaudeau va de pair avec celle de P. Bourdieu lorsqu’il émet l’idée que le langage est autoritaire (voir supra). En effet les instances médiatiques disposent d’une certaine légitimité (reconnaissance) quant à dire/montrer ce qui doit être considéré comme événement. Cette idée d’une autorité s’accorde également avec les théories sociologiques de Maxwell McCombs et Donald Shaw72 puisque la fonction d’agenda nous indique ce à quoi il faut

70 Par exemple, il est impossible de savoir à quel moment l’événement du 11 septembre 2001 débute ou finit.

L’événement constitue bien plus une délimitation thématique qu’une limitation purement spatiotemporelle.

71 P. Charaudeau, op. cit. p. 106 72 McCombs, op. cit

penser (et non seulement ce qu’il faut penser). L’événement est ainsi crée de manière à révéler ce qui doit être estimé plus important parmi la continuité factuelle du monde.

Discursivisation de l‘événement

Si ce que nous appelons événement est une construction, il doit donc passer par un processus signifiant. P. Charaudeau appelle ce processus l’événementialisation73. Selon lui, l’événement est constitué par rapport à son implication dans l’espace public. Cette construction suppose trois conditions qu’il appelle potentiels74. La première condition

concerne les potentiels d‘actualité et de proximité qui prétendent se rapprocher le plus possible du moment et de l’espace des faits. C’est par ces potentiels que le public peut se sentir plus ou moins touché par l’événement. La seconde condition caractérise le potentiel de sociabilité qui détermine l’aptitude du propos à se mettre en position de pivot dans des thématiques qui sont censées réunir les sujets, par des intérêts communs (politiques, économiques, culturels…). C’est par lui que le public peut se sentir plus ou moins concerné par les faits. Le troisième potentiel concerne l‘imprévisibilité et prétend réunir les facteurs de saillance. L’événement peut, à travers ce potentiel, être considéré comme plus ou moins insolite, notable ou particulier. Ces potentiels traduisent l’incidence du discours d’information dans la sphère publique puisqu’ils concernent la construction de l’événement par rapport à ce qui rapproche ou ce qui éloigne le public du monde (social ou physique). Ils constituent le processus d‘événementialisation. Il nous semble néanmoins que ce processus passe par une mise en scène déplaçant l’événement du sensible vers

l‘intelligible, c’est ce que nous appelons la discursivisation de l’événement. Il s’agit du

procédé sur lequel les trois potentiels s’appuient pour impliquer une relation entre ce qui surgit dans le monde et la construction du sens.

Créer l’événement, c’est choisir un certain fait dans un certain espace/temps et le structurer dans un espace textuel et un temps énonciatif. Car si l’événement existe c’est parce qu’il existe dans le discours, et c’est par ce que nous le nommons et nous le montrons comme tel. La construction de l’événement présuppose donc sa mise en discours. Pour la théorie greimassienne, la discursivisation clôture le parcours génératif en transformant la structure sémio-narrative de surface en structure sémantique et syntaxique. Elle est réalisable par des opérations de débrayage et de d’embrayage. Le débrayage consiste à mettre en place les déictiques (un ailleurs, un alors et un non-je) propres à un récit et indépendantes de

73 P. Charaudeau, Op. cit, p.81 74 P. Charaudeau, Op cit, p.82

l’énonciation. Il s’agit de créer un espace, un temps et une présence hors de l’énoncé. L’illusion référentielle nous indique bien qu’il est impossible de créer un véritable je-ici-

maintenant dans le récit du discours, car le véritable embrayage se trouve dans la situation

de l’énonciation, dans le temps et l’espace où le je énonce. La discursivisation concerne donc l’élaboration du simulacre existentiel d’un fait à travers ces opérateurs de temps, d’espace et d’actant. L’événement sera donc construit dans un ailleurs, un alors et par un

il. Les potentiels d’actualité, de sociabilité et d’imprévisibilité dépendront de ce débrayage

car le discours essaiera de se rapprocher le plus possible du je-ici-maintenant pour arriver à des effets d’authenticité et de véracité (voir supra).

L’événement ne signifiant pas en soi, mais pour celui qui le nomme et celui qui l’accepte comme tel, il est nécessaire de l’extraire du monde empirique de manière arbitraire en lui dessinant ses contours. Ceci par le biais d’une structure spatio-temporelle et d’une structure actantielle définies par les instances médiatiques. C’est par la juxtaposition et la superposition des structures que la thématisation se réalise. Ainsi, pour le tsunami du sud- est asiatique, les informations télévisées ont érigé en événement non seulement les faits de la vague, mais également les répercussions économiques, la mobilisation humanitaire, l’advenir des personnages et du paysage, etc. Si nos savoirs (de connaissance et/ou de croyance) se déterminent par notre expérience empirico-sensible et cognitive, le savoir au sujet de l’événement, c'est-à-dire ce morceau du monde choisi75, doit se démarquer des savoirs sur la continuité factuelle du monde intelligible (monde non empirique). Pour cela, P. Charaudeau distingue trois aptitudes essentielles : la reconnaissance (reconnaître ce qui est dit, cohérence entre le contenu et notre système de pensée), la perception (de l’inattendu, qui se distingue de ce qui est inscrit dans le système) et la réintégration (actualiser les savoirs sur le monde). L’événement sera considéré comme plus ou moins important selon l’intensité portée à ces trois opérateurs. Le processus d’événementialisation passe donc par des procédures de mise en discours qui construisent un cadre temporel, spatial et actantiel (sur lesquels se disposeront les programmes narratifs), en s’appuyant sur une délimitation thématique.

75 . Ce choix est le produit d’une valorisation, une classification qui n’est pas de notre ressort mais plus d’une

sociologie des médias car ce qui nous intéresse est moins le pourquoi que le comment de la constitution de l’événement dans le discours