• Aucun résultat trouvé

Les procédures de participation du public prévues par la loi :

regards croisés entre l’Italie et la France sur la place de l’initiative citoyenne dans les textes de loi

Ilaria Casillo,

Vice-présidente de la Commission nationale du débat public,

membre nommé de l’Autorité de garantie de la participation citoyenne et du débat public

Je vais vous présenter les principales caractéristiques des procédures parti-cipatives prévues par la loi en Italie et les comparer avec celles de la France. Je suis actuellement vice-présidente de la Commission nationale du débat public (CNDP), après avoir été membre de l’Au-torité régionale de la participation en Toscane. Comme mon accent vous le fait subodorer, je suis italienne. Je partage-rai avec vous ma double expérience qui me fait émettre plusieurs hypothèses, auxquelles je n’ai pas encore apporté de conclusions.

Par rapport à l’exemple français, l’approche italienne de la participation institutionnalisée met plus l’accent sur le processus que sur la procédure. Cette hypothèse peut s’expliquer par le fait que, pour des raisons historiques, l’Italie se caractérise par une décentralisation plus forte qu’en France, où l’État est très puissant, ainsi que par une sorte

« d’anarchisme participatif ».

Aujourd’hui, je ne parlerai pas de la procédure d’évaluation des impacts environnementaux, qui existe en Italie

au niveau national et régional. Elle s’inspire du principe de précaution issu d’une directive européenne appliquée en Italie, mais en prévoyant un volet participatif très faible.

Contrairement à la France, il n’y pas de différence claire en Italie dans les dispositions des codes de l’urbanisme et de l’environnement relatives aux procédures participatives, car elles se déclinent de manière différente à travers le pays. Néanmoins, l’approche italienne en aménagement et en urbanisme

concertation et cultures politiques

34

se caractérise par le principe selon lequel la loi détermine des principes généraux d’intégration et d’information du public dès la rédaction des « plans régulateurs », où les citoyens doivent être associés à l’identification des invariants structurels correspondant à ce qui ne peut être modifié sur le territoire. Ces invariants peuvent être matériels ou immatériels.

En ce moment même, au niveau national, le ministère italien des infrastructures est en train de réformer le code des marchés publics pour notamment y inclure des débats publics « à la française ». Une procédure de débat public sera désormais prévue, y compris au niveau national. Il reste à déterminer ses déclinaisons et les structures chargées de l’organiser.

Le cadre des procédures participatives est fixé en Italie par la Constitution, qui prévoit trois outils de participation ou de démocratie participative : le référendum, la pétition, les lois d’initiative populaire.

Ces outils ont été déclinés dans les règlements et les lois régionaux. Chaque région doit avoir un règlement ( estatuto ) établissant les règles de fonctionnement qui y sont applicables . Chaque région, via son Parlement (le Consiglio regionale) et son gouvernement (la Giunta), a le pouvoir d’adopter des lois et de promouvoir, par exemple des politiques différentes en termes de santé. C’est ce qui explique les fortes disparités observées en termes de traitement sanitaire sur le territoire italien, par exemple.

Ces trois dispositifs constitutionnels (référendum, lois d’initiative populaire,

pétition)] ont été différemment déclinés dans les régions, avec des nouveautés plus ou moins importantes, selon les caractéristiques locales. Des lois au niveau national prévoient également des procédures de participation, non seulement pour la région mais également pour les autres collectivités territoriales telles que les mairies ou les provinces qui viennent d’être abolies dans la réforme portée par le gouvernement Renzi.

Depuis sa réforme, la Constitution a prescrit à chaque région de se doter d’un règlement où des chapitres doivent être dédiés à la participation. Cette démarche n’était pas évidente, puisqu’elle a induit des titres ad hoc dédiés à la participation dans la plupart des régions. Parfois, ces chapitres ont été inclus avant les dispositions encadrant l’organisation même de la région.

Après avoir présenté les principes essentiels qui se retrouvent dans toutes les régions, je me concentrerai sur trois régions, notamment la Toscane, qui a promu la loi sur la participation la plus avant-gardiste, la plus créative, voire la plus révolutionnaire que l’on puisse trouver en Italie et en Europe.

En termes de participation, les principes contenus dans tous les règlements et les lois régionaux tournent autour de la reconnaissance de l’importance de la transparence de l’action publique et du principe d’inclusion ainsi que du droit d’information des citoyens.

Des processus de prise en compte des minorités au sein de la société sont

reconnus, touchant notamment les personnes porteuses de handicap, les femmes (elles ne sont pas minoritaires dans la population mais sujettes à des inégalités…) ou les étrangers . On affirme ainsi que la participation doit constituer un outil pour combattre ces processus de minorisation au sein de la société.

Ce principe fort inspire les régions.

Elles l’ont décliné chacune à sa manière.

Les trois dispositifs constitutionnels (référendums, lois d’initiative populaire et pétitions) sont également repris dans les principes à caractère général.

Le dispositif classique de la pétition, peu utilisé, n’est pas automatiquement mis en place et organisé dans toutes les régions.

Les lois d’initiative populaire concernent un nombre plus large de citoyens, qui varie en fonction du nombre d’habitants de la région. Vous comprenez ici la difficulté de proposer des lois pour les citoyens car certaines régions les obligent à propo-ser un projet fait d’articles législatifs déjà aboutis, avec un schéma prévisionnel des coûts ou encore une évaluation de leur éventuel impact. Certaines régions plus vertueuses prévoient également un appui méthodologique. Tous les groupes dési-reux de soumettre aux électeurs une loi d’initiative populaire peuvent s’adresser au bureau juridique de la région, qui doit les accompagner. Certaines régions ont mis en place ce système pour répondre à l’impératif constitutionnel de mise en œuvre de ces dispositifs.

Le référendum s’applique également.

Certaines régions ont même proposé

35

des référendums correspondant à des propositions de loi ou consultatifs, avec des succès plus ou moins importants.

Ce cadre général caractérise toutes les régions en termes de formes de démo-cratie assurant la participation des citoyens. Les propositions de lois, les pétitions et les référendums peuvent bien évidemment toucher tout type de matières et de compétences (l’aména-gement, les politiques publiques, etc.), avec des exceptions pour certaines

régions telle que la Campania, qui res-treint les possibilités pour le citoyen de proposer des lois relatives à certaines matières.

La région ayant la loi la plus avancée est la Toscane. En 2007, une loi sur la participation est née d’un processus participatif, après avoir été inspirée par le Forum de Porto Alegre (Brésil), auquel de nombreux maires, collectivités territoriales et mouvements de la société civile de Toscane avaient

participé. Cette dernière est l’une des régions les plus actives en termes de mouvements sociaux et d’engagements citoyens. L’héritage de son histoire se caractérise par l’importance et l’ancrage des mouvements de la société civile.

Revenus de Porto Alegre, portés par l’élan participatif qui s’y était manifesté, ces acteurs initièrent en Toscane une démarche elle-même participative pour corriger la loi sur la participation.

En amont, une réunion de grande envergure, à laquelle participaient des porteurs d’intérêt fut organisée.

Lors du travail d’élaboration de la loi, des logiques différentes s’affrontaient, de la part des élus et des associations.

Les élus souhaitaient des procédures participatives qui demeureraient toutefois limitées. Les associations refusaient toute participation enfermant les citoyens dans des procédures et prônaient d’aller au bout de cette logique, en instaurant notamment la codécision. Des compromis ont été trouvés. La loi proposée s’est avéré extrêmement avant-gardiste car elle a apporté des éléments nouveaux. Pour rassurer les élus craignant une place trop importante de la participation elle a été votée à titre expérimental pour cinq ans, avec la possibilité de la renouveler si elle produisait des résultats. C’est ce qui s’est passé.

Les particularités de cette loi se cristallisent autour de deux axes.

Le premier axe consiste dans le soutien financier direct aux projets participatifs

Oro-mundo-3 forum mondial PA ©tous droits réservés

36

proposés par quatre types d’acteurs : les citoyens, les entreprises, les collectivités territoriales et les écoles. Ces catégories d’acteurs peuvent, de manière isolée ou ensemble, proposer des projets participatifs en demandant de l’argent ou de l’appui méthodologique. Cet octroi de moyens constitue l’un des aspects les plus novateurs de ce texte. Des fonds, par exemple peuvent être accordés à un groupe de citoyens, qui n’est même pas constitué en association, pour mettre en place son processus participatif.

Pour ce faire, des formulaires doivent bien évidemment être remplis, avec la nécessité d’expliquer l’objectif du projet, la problématique, les raisons pour lesquelles cette procédure est proposée, les publics intéressés, la manière de respecter le principe d’inclusion ou encore les coûts. Un coût d’entrée est donc indispensable pour recevoir ces financements. Des projets diversifiés ont été ainsi financés, certains

« d’essence citoyenne », d’autres visant à proposer des projets alternatifs ou complémentaires de ceux proposés par les collectivités territoriales. Des discours alternatifs sur l’aménagement du territoire ont ainsi été financés.

Cet axe est très important puisque la loi a prévu que 60 % du budget dédié à la participation doivent être destinés au soutien direct des initiatives participatives et 40 % au débat public.

Le deuxième axe est justement celui du financement des débats publics. Aussi, la Toscane est-elle la première région d’Italie ayant mis en place le débat public à la française. La procédure

concerne l’ensemble des projets de grandes infrastructures coûtant plus de 50 millions d’euros et ayant un impact fort sur l’environnement, notamment socio-économique. Si, dans la première version de la loi, ce débat public n’était pas obligatoire, il l’est devenu lors du renouvellement du texte. Les débats publics constituent désormais un dispositif obligatoire en Toscane.

D’autres régions, notamment l’Émilie-Romagne et l’Ombrie, se sont fortement inspirées du cas toscan mais avec moins d’ambition car leurs dispositifs prévoient des consultations, des rencontres régulières ou des auditions sur des projets spécifiques avec des stakeholders ou des groupes de citoyens identifiés. Ces processus sont fortement encadrés, complètement gérés par le Conseil régional ou par le gouvernement local. En Ombrie, seules des consultations régulières ex ante et ex post peuvent être organisées.

Ces processus se sont montrés très faibles dans la pratique. Bien que ces deux régions disposent de législations plus poussées en termes de participation par rapport à d’autres, elles ne parviennent pas à atteindre le niveau de la Toscane, qui dispose également d’un garant de l’information et de la participation citoyenne dans le domaine de l’urbanisme et de l’aménagement. Ce dispositif se cumule à la loi susmentionnée.

En outre, parmi ces trois régions, la Toscane est la seule à avoir fait le choix de faire gérer les procédures

participatives à un organisme tiers et indépendant.

Cet aspect a un impact fort sur la manière dont les institutions participatives parviennent ensuite, ou pas, à survivre. Dans le cas de l’Ombrie et de l’Émilie-Romagne, ces procédures sont gérées par la région ou par des bureaux, des départements ou des services techniques. La Toscane a nommé une Autorité indépendante, composée au départ d’une seule personne. Lors du renouvellement de la loi, cette Autorité indépendante a été développée. Elle se trouve désormais composée de trois universitaires. Cette nouvelle configuration répond, entre autres, à un besoin de pluralité des points de vue, notamment pour évaluer un grand nombre de projets à financer.

Ce basculement vers une composition élargie de l’Autorité s’est couplé au choix qu’elle ne soit composée que d’universitaire réputés être des experts des questions participatives relatives à la transparence, l’urbanisme, l’aménagement, les budgets participatifs.

L’approche italienne se caractérise par l’accent mis sur le processus. En effet, le déroulé du processus ne s’imbrique pas dans le cadre de règles prédéfinies.

Cette approche italienne permet de laisser venir les règles, les idées et même la méthodologie participative mise en place par les porteurs de projets. Lors de l’évaluation des projets, sur la session méthodologique par exemple, des critères d’évaluation ont été établis. Une évaluation était nécessaire au regard des montants

37

investis, certains projets étant financés jusqu’à 100 000 euros. Il s’agissait de comprendre comment les porteurs de projets travaillaient et la manière dont ils parvenaient à impliquer les citoyens dans l’élaboration d’un projet.

Souvent, des projets ont été évalués avec des méthodologies nouvelles ou expérimentales, notamment lorsqu’ils touchaient à des thématiques sensibles telle que l’intégration des migrants ou de populations d’origine étrangère.

Le fait de ne pas codifier dans le détail les procédures participatives, contrairement à ce qui se fait dans le débat public à la française et dans ses déclinaisons en Italie, permet de laisser la procédure déclencher un processus.

Le financement direct des démarches de participation, qui ne sont pas préalablement identifiés par la loi, en termes de temporalité, de format public ou pas des réunions ou encore de manière de travailler, a eu une forte portée. Cette démarche a déclenché des dynamiques et des processus.

Elle a diffusé une certaine culture de la participation, déjà importante et répandue en Toscane.

Mon souhait est que cette loi soit un exemple dans d’autres régions d’Italie. Je suis également ravie que l’Italie s’inspire du débat public à la française, qui connaît actuellement un renouvellement. À mon sens, il se dirige vers une logique de processus, comme en atteste par exemple la nouveauté du droit de saisine introduite par les nouvelles ordonnances à venir. Dans le cadre de la réforme du dialogue environnemental, l’expérience

française se projette ainsi dans une logique de processus, et pas seulement de procédure.

Débat avec la salle