arbitraire, de tout excès de pouvoir ; elle acquiert donc la même importance que la loi politique, et
cette importance est immédiate ; car elle protège ou menace incessamment les biens les plus précieux,
l’honneur, la vie, la sûreté des hommes ; elle peut les froisser à chaque moment ; elle est donc l’objet
d’une continuelle sollicitude de la part des pouvoirs de l’Etat et des membres de la société »
255. Il
semble bien, sous cet éclairage, que « le droit procédural, notamment pénal, et la manière dont il est
mis en œuvre incarnent l’identité juridique d’une nation. Plus que toute autre matière, il met en
lumière ses principes, ses combats, ses dérives, ses valeurs »
256. Compte tenu de la place si particulière
de la coercition au sein de cette procédure, il faut veiller à préserver l’équilibre des intérêts en
présence, ceux des individus soupçonnés ou poursuivis, d’une part, ceux de la société, d’autre part
257.
Le renforcement de la coercition observé depuis une quinzaine d’années, surtout après les attentats du
11 septembre 2001
258, se traduit par une progression de la privation de liberté avant jugement, des
investigations corporelles, des fouilles de domiciles et véhicules, etc. Or, « protéger l’homme contre la
254
H. CROZE, op. cit., n°4, p. 130 et 131.
255
F. HELIE, Traité de l’instruction criminelle (ou Théorie du Code d’instruction criminelle), t. I, Plon, 2ème éd., 1866, n°4, p. 7. Sur l’idée, V. aussi, M. ANCEL, Les droits de l’homme et le droit pénal, René CASSIN Amicorum discipulorumque liber, t. IV, Pedone, Paris, 1972, p. 219 et s., spéc. p. 220 ; J. PRADEL, op. cit., n°2.
256
D. COMMARET, La procédure pénale vue comme modèle éthique et déontologique des professions judiciaires, in La procédure pénale en quête de cohérence, Dalloz, Thèmes et commentaires, 2007, p. 313 et s., spéc. p. 334. Sur ce point, V. aussi : R. MERLE, A. VITU, op. cit., n°4 : « On peut dire, sans exagération, que la procédure criminelle est l’exact reflet des conditions dans lesquelles, dans un pays donné, sont conçues les relations entre l’Etat et la personne humaine » ; R. KOERING-JOULIN, J.-L. GALLET, L’application au fond de la Convention devant les juridictions répressives, in Droits de l’homme en France. Dix ans d’application de la Convention européenne des droits de l’homme devant les juridictions judiciaires françaises, Strasbourg, 1985, p. 77 et s., spéc. p. 78 : « La procédure pénale étant le révélateur, voire même le miroir grossissant du système social environnant, plus un Etat va protéger les droits et libertés fondamentaux de l’individu, plus il va se montrer soucieux d’organiser une procédure pénale conforme à ses aspirations. Il va donc multiplier les dispositions de détails qui opèreront comme autant de verrous de sécurité pour le justiciable, certes, mais aussi comme autant de pièges pour le praticien du droit » ; S. GUINCHARD, Une certaine idée de la sécurité et de la liberté en France à travers vingt ans de discours politiques sur le sentiment d’insécurité, in Une certaine idée du droit, Mélanges A. DECOCQ, Litec, 2004, p. 311 et s., spéc. p. 312.
257
C’est à propos de ces deux intérêts que Faustin HELIE (in Traité de l’instruction criminelle, t. I, op. cit., n°1, p. 4) évoque « deux intérêts également puissants, également sacrés », qui « veulent être à la fois protégés (…) ».
258
Cette progression de la coercition s’est traduite par l’adoption de lois « sécuritaires » (loi n°2001-1062 du 15 novembre 2001 relative à la sécurité quotidienne, loi n°2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure, loi n°2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, loi n°2011-267 du 14 mars 2011 d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, etc). Pour ce même constat : H. LECLERC, La dérive des libertés en France, Petites affiches, 7 avril 2005, n°69, p. 19 et s. ; C. MARIE, op. cit., p. 137 à 139, qui conclut par une mise en garde : « Veillons à ce que les sirènes de la sécurité, aussi séduisantes soient-elles, ne contraignent pas au silence les droits de l’homme dans le procès » ; D. THOMAS, L’évolution de la procédure pénale française contemporaine : la tentation sécuritaire, in Le champ pénal, Mélanges R. OTTENHOF, Dalloz, 2006, p. 53 et s. ; L. GARRIDO, Le droit à la sûreté : un droit en danger ?, in Le droit à la sûreté. Etat des lieux, état du droit, Cujas, Actes et études, 2012, L. GARRIDO (dir.), p. 3 et s., spéc. p. 8 et s. ; Face à cette évolution de la politique criminelle, plus autoritaire et à connotation positiviste car fondée sur la potentielle dangerosité de l’individu (d’où le renouveau des mesures de sûreté), a été dénoncé « un relâchement du contrôle du Conseil (constitutionnel) seulement apparemment maîtrisé par des réserves d’interprétation » : C. LAZERGES, Le rôle du Conseil constitutionnel en matière de politique criminelle, C.C.C., 2009, n°26, p. 34 et s.
toute-puissance de l’Etat » reste essentiel
259. Une procédure doit sans doute être efficace, elle doit,
d’un autre côté, demeurer juste
260.
34.Les « actes coercitifs » en procédure pénale. La procédure pénale se compose d’une succession
d’actes. A cet égard, « les règles de procédure sont des règles de production d’actes »
261. Qualifié de
« charte protectrice des honnêtes gens contre l’arbitraire et l’erreur », le Code de procédure pénale
comporte de nombreuses dispositions autorisant les O.P.J. et les magistrats à faire usage de
coercition
262. Il leur offre ce pouvoir en leur permettant d’effectuer des actes coercitifs sous certaines
conditions. Mise en lumière dans des arrêts rendus par la Cour de cassation en 1996
263, l’expression
d’« acte coercitif » s’avère désormais courante
264. Il est possible de la considérer comme synonyme de
« mesure coercitive », terminologie fréquemment utilisée
265. Dans son acception spécifique, l’acte
signifie parfois mesure, ainsi des actes et mesures conservatoires en droit civil, « deux expressions
équivalentes, parfaitement interchangeables »
266. Dans son acception générique, l’acte paraît englober
la mesure
267. Le mot « acte » vient du latin actum et agere « faire », ce qui renvoie à agir. Au sens le
plus large, il signifie donc l’action, l’activité
268. Ainsi l’acte coercitif, c’est l’action, l’activité
coercitive ou encore agir de façon coercitive. Le terme « mesure », venant du latin mensura et metiri
« mesurer », possède a priori un sens plus restreint
269.
35.La nécessaire dissociation des actes coercitifs des mesures de contrainte. Voilà pourquoi il
apparaît préférable de retenir l’expression d’« acte coercitif » dans le cadre de cette étude, plutôt que
celle de « mesure coercitive ». En procédure pénale, le vocable « acte » semble s’imposer
270. Sont
259
G. RIPERT, Le bilan d’un demi-siècle de vie juridique, D., 1950, chron., p. 1 et s., spéc. p. 4.
260
V. J. LEROY, Procédure pénale, L.G.D.J., Manuel, 3ème éd., 2013, n°2 et 3. Sur la politique criminelle et la procédure pénale de l’Italie fasciste et de l’Allemagne nazie, J. DANET, Relire « la politique criminelle des Etats autoritaires », in Le champ pénal, Mélanges R. OTTENHOF, Dalloz, 2006, p. 37 et s., not. p. 45 et 46.
261
H. CROZE, Une autre idée (…), op. cit., n°17, p. 138 (l’auteur souligne).
262
Pour cette qualification, V. M. GARÇON, Défense de la liberté individuelle, Fayard, 1957, p. 73.
263
Cass. crim., 6 fév. 1996, Bull. crim., n°60 ; D., 1996, jurisp., p. 198, note J. PRADEL ; Dr. pénal, 1996, comm. n°74, note A. MARON ; Justices, 1996, n°4, p. 286, chron. D. REBUT ; Procédures, 1996, comm. n°94, note J. BUISSON ; Cass. crim., 30 mai 1996, Bull. crim., n°226 ; Rev. sc. crim., 1996, p. 880, obs. J.-P. DINTILHAC ; Dr. pénal, 1996, comm. n°174, note A. MARON.
264
V. par ex., Cass. crim., 9 juill. 2003, Bull. crim., n°134 ; Cass. crim., 1er oct. 2003, Bull. crim., n°177 ; Cass. crim., 1er fév. 2011, Bull. crim., n°15 ; Cass. crim., 31 oct. 2012, Inédit, n°12-84220.
265
V. art. 695-9-31 du C.P.P. ; Cass. crim., 13 juin 1996, Bull. crim., n°252 ; Cass. crim., 1er avril 1998, Bull. crim., n°124 ; Cass. crim., 30 juin 1999, Bull. crim., n°176 ; Cass. crim., 31 oct. 2006, Bull. crim., n°263 ; Cass. crim., 22 nov. 2011, Bull. crim., n°234 (les expressions « acte coercitif » et « mesure coercitive » sont employées l’une pour l’autre dans le cinquième moyen) ; Dr. pénal, 2012, comm. n°12, note A. MARON et M. HAAS ; Cass. crim., 18 sept. 2012, Bull. crim., n°191 ; Cass. crim., 23 avril 2013, Inédit, n°13-80639.
266
C. BRENNER, L’acte conservatoire, L.G.D.J., 1999, Bibl. dr. privé, t. 323, préf. P. CATALA, n°119 et 120, p. 73.
267
En ce sens, C. BRENNER, op. cit., n°121, p. 74.
268
V. Le Grand Robert de la langue française, Paris, A. REY (dir.), « Acte », I.A.1.b.
269
V. Le Grand Robert de la langue française, Paris, A. REY (dir.), « Mesure ». C’est ce qu’il est possible de constater en lisant les différentes acceptions de ce mot. Par exemple, ce dictionnaire retient comme sens premier l’« action de déterminer la valeur de (une grandeur) par comparaison avec une grandeur constante de même espèce, prise comme terme de référence (étalon, unité) ». V. aussi, Le nouveau LITTRE, « Acte » et « Mesure ».
270
Dans la loi (V. par ex., art. 41, al. 1er du C.P.P. : « Le procureur de la République procède ou fait procéder à tous les actes nécessaires à la recherche et à la poursuite des infractions à la loi pénale » ; Art. 173 du C.P.P. ; Art. 801-1 du C.P.P. : « Tous