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43 Ce survol de quelques-unes des opérations sur la phrase canonique est loin de recouvrir tout le domaine des possibilités qu’offre le français. Il faudrait encore mentionner les phrases à inversion, les phrases pronominales passives (ou moyennes), les phrases pronominales causatives, les phrases à attribut nominal inversé, etc., qui, toutes, peuvent aisément passer pour des mises en relief. Voici quelques exemples (42) :

42a. Bientôt arriveront beaucoup de touristes.

42b. Ce livre se vend bien.

42c. Guy s’est fait écraser par une voiture.

42d. C’est un petit génie que Guy.

44 On se contentera ici d’ajouter deux procédés, qui paraissent avoir été moins bien explorés, et qui me semblent mériter une mention particulière.

La décliticisation

45 L’exemple 43 peut paraître bizarre ; on se serait plutôt attendus à un pronom clitique : 43a. Dans le fond, c’est normal que ça soit arrivé à nous.

46 Mais la raison de ce choix est évidente. Nous représente la véritable visée de l’énoncé, il est focalisé et doit être accentué, ce qui est impossible avec un pronom clitique antéposé au verbe. La fonction est alors contrastive et l’exemple 43a correspond à la phrase clivée 43b :

43b. Dans le fond, c’est normal que c’est à nous que ça soit arrivé.

47 La phrase 43c aurait une toute autre signification. C’est l’événement qui y est considéré comme normal, et non les personnes visées par cet événement :

43c. Dans le fond, c’est normal que ça nous soit arrivé.

L’accent d’insistance

48 L’accent d’intensité, toujours prévisible en français, ne remplit, de ce fait, aucune fonction sémantique. Mais il existe aussi un accent d’insistance, qui peut être utilisé à des fins communicatives, quoique cela paraisse plutôt rare en français. Dans les phrases clivées (44), où le terme extrait comporte deux mots, cet accent frappe celui qui est contrasté, même s’il s’agit d’un déterminant, mot en principe non accentuable :

44a. C’est ton père que j’ai vu. (et non ta mère) 44b. C’est ton père que j’ai vu. (et non le sien)

49 Dans l’exemple 44b, une décliticisation aurait eu le même effet, comme dans l’exemple 44c :

44c. C’est ton père à toi que j’ai vu.

Conclusion

50 La tâche essentielle du linguiste et de l’enseignant du français, langue étrangère, est de décrire aussi minutieusement que possible l’interface reliant les structures formelles et leur interprétation. Dans ce cadre, l’exploration des familles paraphrastiques, rassemblant des constructions proches par leurs formes, mais différant tant soit peu par leur structure informationnelle, présente un intérêt particulier. La notion de mise en relief a peut-être été inspirée par le besoin de rendre compte de ces familles paraphrastiques. Mais elle reste trop vague, et recouvre des phénomènes trop divers, pour présenter une réelle utilité. Dans le meilleur des cas, il faudrait parler de mises en relief au pluriel et accoler à chacune d’elles un adjectif approprié. L’étude détaillée, formelle et sémantique, de chaque type de phrase paraît alors beaucoup plus efficace.

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NOTES

1. Les exemples fournis dans cet article servent à illustrer les propos de l’auteur et ne sont pas extraits d’un corpus particulier.

RÉSUMÉS

La « mise en relief », notion courante, mais floue, recouvre des phénomènes très divers, tant au plan sémantique qu’au plan formel. Elle semble avoir été inventée essentiellement pour rendre compte des familles paraphrastiques, c’est-à-dire d’ensembles de phrases utilisant le même

lexique et véhiculant le même sens notionnel, mais présentant des différences formelles, avec des répercussions aux plans communicatif, discursif, etc. Il est peu raisonnable de croire qu’on peut mesurer l’importance d’un terme par rapport à un autre. Mieux vaut, dans l’enseignement du FLE, éviter une notion aussi vague, et se pencher sur la description de l’interface forme / sens entre les membres des familles paraphrastiques, afin de dégager quelles variations dans la structure informationnelle du message correspondent à tel ou tel procédé formel.

Mise en relief is a rather hazy notion, widely used in French grammar when dealing with phenomena quite different formally and semantically. It seems to have been created in order to account for paraphrastic families, i.e. sets of sentences using the same lexicon and conveying the same notional meaning, while showing formal differences, which bring about differences at the communicative, discursive, and other levels. One cannot rigorously measure the relative degree of importance of an element in the sentence. In teaching French, it seems better to avoid such a vague notion, and rather describe paraphrastic families, in order to bring out the correspondences between formal means and informational structure.

INDEX

Mots-clés : mise en relief, familles paraphrastiques, plan notionnel, plan communicatif, discursif

Keywords : emphasis, paraphrastic families, notional, discursive levels, communicative

AUTEUR

DAVID GAATONE

Université de Tel-Aviv, Israël

Complément (d’objet) indirect,