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13 Extraire un terme de sa place habituelle dans la phrase canonique, c’est là sans doute le procédé le plus ordinaire pour le distinguer du reste. Cette extraction se fait en français essentiellement sous deux formes : le détachement et le clivage.

Le détachement

14 Le détachement, qui figure aussi dans la littérature sous l’appellation de « dislocation »,

« segmentation », « disjonction », « rejet », etc. consiste à isoler un terme de son contexte par un procédé rythmique, une pause dans l’élocution, marquée en général dans la graphie par une virgule et, éventuellement, par un procédé syntaxique, à savoir, le déplacement de ce terme à gauche ou à droite. Le terme détaché est en quelque sorte hors syntaxe, dans ce sens qu’il ne fait pas partie du réseau de dépendances structurant la phrase. Dans la mesure où il laisse une place vide dans la valence du verbe, cette place sera normalement occupée par un substitut, si un tel substitut est disponible (exemples 5 et 6) :

15 Dans l’exemple 5c, le seul sujet est le pronom ça, et non les fleurs, comme le montre l’accord du verbe.

16 Rappelons néanmoins que le français parlé emploie assez fréquemment, du moins avec certains verbes, un complément détaché sans rappel pronominal, et souvent même sans pause (Wartburg 1958 : 175 ; Pohl 1986 : 545) :

7. - Sedan, je connais pas.

- Un petit calendrier, tu as ?

- Des pommes de terre, Madame, il me faudrait.

- Trois enfants il avait.

- Directeur on l’appelle.

17 La contrainte du rappel pronominal paraît moins forte avec les compléments circonstanciels (8) :

8a. Guy va exercer sa profession dans ce pays.

8b. Dans ce pays, Guy va (y) exercer sa profession.

8c. Guy va (y) exercer sa profession, dans ce pays.

18 On a souvent noté que, en français parlé, la phrase disloquée n’est quelquefois qu’une variante libre de la phrase canonique. Il reste que, lorsqu’elle est accompagnée d’une intonation appropriée, elle peut jouer un rôle aux plans discursif et communicatif. Au plan discursif, le détachement sert à reprendre un élément précédent, donc une

information connue, renforçant ainsi la cohésion du texte. Ainsi, les phrases dans 5c et 6e fonctionnent comme séquence appropriée dans un contexte où il est question de fleurs, et les phrases 5e et 6c, dans un contexte où l’on parle de Guy. Voici encore des exemples typiques de cette fonction discursive (9-10) :

9a. - Où donc dort Guy ? 9b. - Il dort ici.

9c. *Ici, il dort.

10a. - Que fait-on dans cette pièce ? 10b. - Ici, Guy dort.

10c. Guy dort ici.

19 Les exemples 2, 3, 9 et 10 montrent que les détachements à gauche et à droite ne sont pas toujours équivalents et qu’ils sont étroitement liés au contexte. Il ne serait donc pas très productif de parler uniformément dans les deux cas de mise en relief.

20 Le détachement à gauche peut remplir une autre fonction que la fonction discursive. Le constituant détaché, et placé en position particulièrement saillante, terme qui, lui, rappelle celui de mise en relief, en tête de la phrase, ne reprend pas une information donnée dans le contexte, mais fait office de fond, d’arrière-plan, au reste de la phrase (11, 12) :

11. Paris, je ne saurais vivre ailleurs.

12. Lundi, c’est déjeuner que vous venez ?

21 Il peut aussi déplacer dans cette position le rhème de la phrase, c’est-à-dire le constituant qui véhicule la visée même de l’acte de parole. C’est le cas, par exemple, de certaines phrases averbales (13-15) :

13. Excellent, ce café.

14. Surpris, ces Français d’Iran.

15. Quelle horreur, ce tableau !

22 Il faut enfin mentionner une troisième fonction du détachement, à la fois discursive et communicative. Il s’agit alors d’opposer un terme à un autre (16) :

16. Guy a acheté un jouet à son cadet, à son aîné, il a acheté un livre.

23 Comparons encore le détachement à valeur discursive dans l’exemple 17a à celui, à valeur oppositive, dans l’exemple 17b :

17a. - Quand partiront les enfants ? - Les enfants, ils partiront demain.

17b. Les adultes partiront ce soir. Les enfants, eux, partiront demain.

24 Ou encore 18 :

18. Guy écrit rarement à Lou. Mais à Zoé, il écrit tous les jours.

25 Notons encore que le détachement, notamment celui à gauche, peut aussi se faire au moyen de procédés lexicaux, tels que quant à, pour, pour ce qui est de, en ce qui concerne, etc., en plus de la pause (19) :

19a. Guy aime rire. Lou est morose.

19b. Guy aime rire. Quant à Lou, elle est morose.

26 Il est par ailleurs bien connu, mais il n’est pas inutile de le rappeler, que le détachement peut s’appliquer à plus d’un terme de la même phrase. On a ainsi trois termes détachés dans l’exemple 20 :

20. Guy, lui, les élections, ça le laisse froid.

27 Cette phrase pourrait servir de suite naturelle à l’exemple 21 : 21. Zoé milite pour son parti aux élections.

28 Bien malin qui pourrait nous dire lequel, ou lesquels, de ces trois termes, est ou sont, mis en relief dans l’exemple 20. Ne serait-ce pas précisément le dernier, le rhème, qui, après tout, est forcément détaché, lui, aussi ? Ce qui, en revanche, paraît clair, c’est que cette phrase participe à la cohésion textuelle par le détachement de élections, et signale, par le détachement de Guy et lui, l’opposition avec Zoé.

Le clivage

29 Un autre type d’extraction, dénommé « clivage », est celui qui consiste à détacher un terme de la phrase en l’insérant dans l’expression c’est...qui / que, c’est introduisant le terme extrait, qui / que, le reste de la phrase. Qui est réservé à la fonction sujet, que, à toutes les autres. Un syntagme prépositionnel est extrait avec sa préposition, ce qui n’est pas nécessairement le cas en détachement ordinaire (22) :

22a. Guy verra Zoé ici demain, avec plaisir.

22b. C’est Guy qui verra...

22c. C’est Zoé que Guy verra...

22d. C’est ici que Guy verra...

22e. C’est demain que Guy verra...

22f. C’est avec plaisir que Guy verra...

30 Selon certains, le clivage a pour effet de focaliser, ou rhématiser, le terme extrait. Plus précisément, il s’agit de contraster (Jones 1996 : 526) le terme encadré avec tous les termes de son paradigme, ce que Nølke (1993 : 40) appelle la fonction

« paradigmatisante », sous-entendant donc toujours une séquence et non... La clivée oppose posé et présupposé, et n’est donc pas commutable avec la phrase canonique de même contenu notionnel. Comparons les exemples suivants (23-24) :

23a. Que penses-tu de Guy ?

31 La clivée connaît une variante, la pseudo-clivée, appartenant donc à la même famille paraphrastique, mais se présentant sous forme de phrase complexe, de formule CE + PRONOM RELATIF + SV, CE + ÊTRE + X, avec intonation ascendante pour la première partie, descendante, pour la seconde, et où X représente le terme contrasté. Notons que, face à qui / que dans la clivée simple, on a affaire ici à un véritable pronom relatif, dont la forme est dictée par la fonction (25) :

25a. Ce qui passionne Zoé, c’est la danse.

25b. Ce pour quoi Zoé se passionne, c’est...

25c. Ce que Zoé aime, c’est...

25d. Ce à quoi Zoé s’intéresse, c’est...

Dans le cas d’un circonstanciel de temps ou de lieu, c’est (là) où qui est utilisé : 26a. Là où Guy se trompait, c’est quand il croyait Zoé fidèle.

26b. Là où se révèle le talent de Zoé, c’est dans la danse.