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SECTION 1 : GÉNÉRALITÉS

47. Nous analyserons ici quelles sont, pour la procédure de juge-ment 110, les garanties d'un procès équitable, conformément à l'article 6, par. 1, de la Convention, tout en rappelant que celle-ci ne définit pas la notion de « procès équitable » et que cette dernière, très générale, comprend des éléments qui ne sont pas mentionnés dans le texte de l'ar-ticle 6, par. 1. L'on trouve, d'autre part, aux paragraphes 2 (présomp-tion d'innocence) et 3 (droits de tout accusé), des garanties que nous examinerons dans d'autres chapitres.

On voit ici - nous l'avons déjà relevé - que les notions contenues au paragraphe premier (applicables en principe aux procédures civiles et pénales, au stade du jugement), et celles des paragraphes 2 et 3 (applicables au pénal uniquement, et déjà dans la phase de l'instruction préparatoire en principe, mais avec des exceptions : par exemple le droit de faire citer des témoins), se complètent, en partie du moins, et s'éclairent les unes les autres : de sorte que, en examinant l'application d'un principe, il faut toujours avoir tous les autres à l'esprit : par exemple, telle manière de procéder dans l'instruction préparatoire pour-rait violer le droit d'être jugé «équitablement», alors que cette dernière notion ne s'applique, en principe, qu'à la phase des débats.

110 Il s'agit des débats: « hearing », « Hauptverhandlung », ce que l'on appelle en Suisse l'instruction principale : donc l'instruction définitive, par oppo-sition à la phase qui la précède.

« Le fair hearing fait partie de la notion plus large du fair trial, qui com-prend principalement les garanties de l'orgé1ne qui juge et les garanties du déroulement du procès où est incluse la garantie de publicité. On peut dire ainsi que l'article 6 a divisé la formule du fair trial, dans ses deux composantes essentielles afin de la rendre plus claire et accessible aux juristes de traditions différentes» (Grementieri, «La Convention européenne ... », p. 471, note 1).

40 LA PROTECTION DE L'ACCUSÉ PAR LA CONVENTION EUROPÉENNE

48. Dans le présent chapitre nous examinerons les caractéristiques du procès équitable énoncées par l'article 6, par. 1, précisées par la j uris-prudence:

a) indépendance et impartialité du tribunal établi par la loi ;

b) procédure accusatoire, donc contradictoire, respectant l'égalité des parties, orale et publique ;

c) jugement dans un délai raisonnable.

SECTION 2 : LE TRIBUNAL INDÉPENDANT ET IMPARTIAL

49. La Convention prescrit que la cause doit être entendue par un tribunal établi par la loi, indépendant, impartial 111 •

a) Etabli par la loi.

50. La Convention interdit de la sorte les tribunaux d'exception 112 : mais elle ne sera pas violée si un règlement interne prévoit, par exemple,

111 Sur la distinction, parfois délicate, entre les notions d' « indépendance » et d' « impartialité », on retiendra que : «The often fine distinction between independence and impartiality turns mainly, it seems, on that between the status of the tribunal determinable largely by objective tests and the subjective attitudes of its members, lay or legal. lndependence is primarily freedom from contrai by, or subordination to, the executive power in the State ; impartiality is rather absence in the members of the tribunal of persona! interest in the issues to be determined by it, or of some form of prejudice » (Fawcett, «The applica-tion ... », p. 156, qui cite, d'autre part, Partsch («Die Rechte ... », p. 155), lequel distingue entre « Staatsunabhangigkeit, Parteienunabhangigkeit et Gesellschafts-unabhangigkeit » ).

112 Selon ]. Graven, «La garantie du juge naturel...» : «on reconnaît le tribunal d'exception à l'une ou l'autre des caractéristiques suivantes :

a) création par le pouvoir exécutif, et non législatif ; b) création ex post facto ;

c) existence limitée dans le temps :

d) création obéissant à des raisons conjoncturelles ;

e) attributions conférées selon des critères impliquant des discriminations (idéologiques, religieuses, raciales) entre les citoyens ;

f) procédure accélérée ; g) décisions sans appel».

la répartition des causes selon leur genre entre diverses chambres d'un même siège 113 •

D'autre part, la Convention n'interdit pas la participation de juges

« laïques » 114•

Au surplus, elle n'impose pas la présence du jury pour juger cer-taines causes 115.

b) Indépendant.

51. On sait que l'autorité qui doit statuer, sur une prétention civile, ou juger une cause pénale, doit être composée de personnes qui n'appar-tiennent pas à l'autorité législative ou exécutive,

tt

de personnes qui ne soient pas soumises à ces deux autorités 11 6,

113 On pourrait citer ici, d'autre part, la décision du Conseil constitutionnel français (publiée le 24 juillet 1975 au journal officiel XXX, p. 7533) déclarant -:<.non conforme à la Constitution l'institution d'un juge unique en matière cor-rectionnelle » : l'article 6 d'une nouvelle loi votée au mois de juin 1975 avait fait du juge unique la règle, et de la collégialité (trois magistrats) l'exception, le président du tribunal de grande instance ayant la faculté de décider d'une manière discrétionnaire et sans recours si le tribunal serait composé de trois magistrats ou d'un seul. Or le respect du principe d'égalité devant la justice

«fait obstacle à ce que des citoyens se trouvant dans des conditions semblables et poursuivis pour les mêmes infractions soient jugés par des juridictions compo-sées selon des règles différentes».

A Genève, une disposition nouvelle de la loi sur l'organisation judiciaire (article 28), introduite en 1975, permet au ministère public, lorsque ce dernier n'entend pas requérir une peine supérieure à six mois d'emprisonnement, de traduire devant le tribunal de police le prévenu qui relève de la cour correction-nelle : mais il y faut alors l'accord du prévenu.

114 Ceux-ci n'étant donc ni des juges de carrière, ni même des juristes (pas plus que la Constitution des Etats-Unis n'exige que les juges de la Cour Suprême soient des juristes ... ), ainsi que la Commission l'a rappelé dans plusieurs décisions ; et une simple irrégularité dans la composition du jury n'affectera pas en principe le statut légal de la cour, à moins qu'elle ne constitue un déni de justice.

115 Nous avons déjà relevé que l'on trouve ici un argument important pour ceux qui contestent l'influence anglo-saxonne prépondérante dans la conception du «procès équitable» : car un juriste anglais n'aurait pas omis cette garantie essentielle ; c'est ainsi d'ailleurs que, aux Etats-Unis, la Cour Suprême a ,<incorporé » l'exigence d'un jury contenue au VI• amendement dans la clause du « due process » (XIV' amendement), retenant que le droit à un procès avec jury était fondamental (arrêt Duncan v. Louisiana, 1968, déjà cité).

116 Ainsi, le Verfassungsgerichtshof autrichien a, clans un arrêt du 19.3.1974 (Orunclrechte, 1974, pp. 32), considéré que le fait que les « Lanclesagrarsenaten » étaient présidées par un membre de l'exécutif, et que certains de ses membres pouvaient être révoqués de leurs fonctions par l'exécutif, avait pour consé-quence qu'un tel tribunal ne répondait pas aux exigences de l'article 6, § 1, de la Convention.

En revanche, la Cour européenne a retenu que la Haute Cour militaire néer-landaise constituait un tribunal « compétent » et « indépendant » ; « sans cloute,

42 LA PROTECTION DE L'ACCUSÉ PAR LA CONVENTION EUROPÉENNE

La Commission a jugé, d'autre part, que le fait de se conformer

à

une jurisprudence établie ne constitue pas un manque d'indépendance 117 •

c) Impartial.

52. Le droit

à

la loyauté du débat comporte en outre que le tribunal soit « impartial».

En particulier, il ne montrera ni parti pris 118, ni hostilité

à

l'égard

ses quatre membres militaires ne sont-ils pas inamovibles en droit, mais comme les deux membres civils, ils jouissent de l'indépendance inhérente à la notion de « tribunal » telle que la conçoit la Convention » (arrêt Engel et autres du 8.6.1976 non publié, partiellement reproduit dans Grundrechte 1976 pp. 221, 226, 227 ; résumé ad notes 375 et 377).

Rappelons que, pour la Suisse, le droit pénal autorise certaines dérogations au principe de la séparation des pouvoirs, puisque le jugement des contraven-tions peut être attribué à une autorité administrative et que le juge des mineurs peut être choisi en dehors du pouvoir judiciaire.

Relevons, d'autre part, que dans l'arrêt S. (du 14.7.1976, partiellement repro-duit dans Praxis 65, n° 191, pp. 461) le Tribunal fédéral a retenu que le minis-tère public zurichois ( « Bezirksanwaltschaft ») avait qualité de « juge » aux ttrmes de l'article 5, par. 3, de la Convention européenne car, en substance, il exerce des fonctions judiciaires (comme autorité d'instruction) et décide de manière indépendante en cette qualité. Le Tribunal fédéral observe que les créateurs de la Convention auraient adopté pour l'article 5, par. 3, le même libellé que pour l'article 6, par. 1, s'ils avaient voulu accorder à l'accusé, en ce qui concerne l'indépendance et l'impartialité des autorités compétentes, des garanties identiques dans les deux cas. Et qu'au surplus l'importance de la garantie de l'indépendance judiciaire est bien plus grande lorsqu'il s'agit de la phase du jugement que dans la phase de l'instruction préparatoire («Die Garantie der richterlichen Unabhangigkeit ist im Beurteilungsstadium von weit grosserer Tragweite ais im Untersuchungsstadit1m » ).

111 Cela nous rappelle le mot du professeur Carry : «il faut avoir le respect, mais non pas le fétichisme, du Tribunal fédéral » 1

118 Quid des législations cantonales (par exemple Berne, Valais) selon les-quelles le juge d'instruction siège également dans le tribunal de jugement, qu'il préside souvent ? Peut-il être « impartial » alors qu'il a inculpé, parfois arrêté, renvoyé en jugement, et qu'il a pu s'affronter avec l'inculpé s'ils n'étaient pas d'accord sur certains actes de l'instruction préparatoire ?

A relever ici un arrêt de la Cour d'Appel de Bruxelles, du 6.2.1974 (cité dans Ann. 17 (1974) pp. 636), qui a retenu qu'il n'y avait pas eu de violation de l'artice 6, le juge d'instruction (onderzoeksrechter), qui a siégé dans le tribunal, n'ayant point fait preuve d'absence d'indépendance ou d'impartialité.

Quid, d'autre part, en matière de recours pour faire contrôler la légalité de la détention dans les systèmes (comme en France ou en Belgique) où la chambre d'accusation peut mettre à néant l'ordonnance dont est appel et décerner elle-même un mandat d'arrêt : avec cette conséquence qu'elle apprécie la légalité d'un acte qui émane d'elle-même!

A Genève, on pourrait imaginer la même situation si la chambre d'accusation, sur recours, avait ordonné au juge d'instruction de décerner un mandat d'arrêt:

et que l'inculpé, arrêté, s'adresse ensuite à la chambre pour faire contrôler la

« légalité » de la détention.

de l'accusé 119, se fondera uniquement sur les preuves produites devant le tribuna1120, veillera

à

ce que

tous

respectent la sérénité des débats 121.

On peut également rechercher, pour savoir si le tribunal était impar-tial, dans quelle mesure les juges - et tout particulièrement les jurés -n'auraient pas été influencés par la publicité donnée

à

l'affaire avant le jugement, notamment par des reportages préjudiciables 122.

La Commission retient que le droit

à

l'indépendance et

à

l'impar-tialité judiciaire est de ceux auxquels on peut renoncer, même taci-tement 123.

Par ailleurs, la Commission s'est efforcée également de vérifier s'il était remédié, ou s'il était possible de remédier,

à

des pratiques contes-tables (par exemple partialité due

à

la composition d'un jury) soit en appel, soit même lors du procès.

SECTION 3 : LA PROCÉDURE ACCUSATOIRE