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Introduction g´ en´ erale

I.7 Probl` ematique de la th` ese

En assurant la dispersion, la phase larvaire joue un rˆole fondamental dans la dy-namique des populations d’organismes marins `a cycle bentho-p´elagique. Pour autant, son ´etude s’av`ere particuli`erement complexe dans la mesure o`u de nombreux facteurs bio-logiques et physiques ainsi que leurs interactions interviennent. La dispersion, via les ´echanges larvaires entre sous-populations, d´etermine la connectivit´e (non reproductive et reproductive) au sein des m´etapopulations marines. En fonction des ´echelles spatio-temporelles consid´er´ees, la connectivit´e en milieu marin influencera directement la dy-namique des m´etapopulations et la persistance des populations locales, les potentialit´es d’expansion des esp`eces en r´eponse `a des changements des conditions environnementales, les limites d’aire de distribution des esp`eces, et la biog´eographie. Les changements clima-tiques sont alors `a mˆeme de modifier la dynamique des m´etapopulations marines `a travers leurs cons´equences directes et indirectes sur les facteurs de contrˆole de la dispersion et de la connectivit´e. Par ailleurs, la mise en place de mesures efficaces de conservation et/ou de gestion des ressources marines et de la biodiversit´e se doit de prendre en consid´eration la dynamique spatiale des populations. Face `a l’importance ´ecologique et ´evolutive de la dispersion, et `a la difficult´e d’´etudier de mani`ere directe la phase larvaire des organismes `a cycle bentho-p´elagique, de nombreuses m´ethodes indirectes d’´etude de la dispersion larvaire et de la connectivit´e en milieu marin ont ´et´e d´evelopp´ees, en particulier via l’utilisation de marqueurs g´en´etiques ou biog´eochimiques et la mod´elisation coupl´ee biologie-physique.

Dans ce contexte, le but du pr´esent travail est de mieux comprendre l’influence re-lative des caract´eristiques biologiques et des conditions hydrodynamiques et hydroclimatiques sur la dispersion et la connectivit´e des invert´ebr´es `a cycle bentho-p´elagique en zone cˆoti`ere. En se focalisant sur deux ´echelles spatiales – l’´echelle r´egionale du Golfe de Gascogne et de la Manche et l’´echelle locale du Golfe Normand-Breton – il s’appuiera sur une approche coupl´ee d’´etude de la dispersion `a partir d’observations in situ et de mod´elisation biologie-physique (Figure I.29).

Figure I.29 – ´Echelles spatiales et m´ethodes d’´etude. (A) ´Echelles spatiales des ´etudes sur le plateau continental du nord-ouest de l’Europe : I) ´Echelle r´egionale du Golfe de Gascogne et de la Manche occidentale, et II) ´Echelle locale du Golfe Normand-Breton. (B) M´ethodes d’´etude mises en œuvre aux diff´erentes ´echelles : 1) ´Echantillonnage in situ, 2) Mod´elisation lagrangienne g´en´erique `a l’´echelle r´egionale, et 3) Mod´elisation eul´erienne sp´ecifique `a l’´echelle locale.

I.7.1 Zone d’´etude et probl´ematiques associ´ees

Dans le Nord-Est Atlantique, la Mer d’Iroise qui s´epare le Golfe de Gascogne de la Mer d’Irlande et de la Manche est consid´er´ee comme une zone de transition biog´eographique majeure entre les assemblages d’esp`eces marines temp´er´ees chaudes, d´efinissant la province biog´eographique Lusitanienne au sud, et les assemblages d’esp`eces marines temp´er´ees froides, d´efinissant la province biog´eographique Bor´eale au nord (Figure I.30) (Cox et Moore, 2000; Dinter, 2001).

D’autre part, des ´etudes phylog´eographiques r´ecentes ont mis en ´evidence un point de rupture phylog´eographique le long des cˆotes bretonnes pour diff´erentes esp`eces d’in-vert´ebr´es `a cycle de vie bentho-p´elagique (Jolly et al., 2005, 2006; Muths et al., 2009;

Figure I.30 – Biog´eographie dans l’Atlantique Nord-Est, d’apr`es Dinter (2001).

chez le polych`ete Pectinaria koreni, deux clades ont ´et´e identifi´es : un clade nord regrou-pant les populations de la Manche, de la Mer d’Irlande, et de la Mer du Nord, et un clade sud incluant les populations du Golfe de Gascogne, ces deux clades ayant ´et´e ob-serv´es en m´elange `a la fronti`ere de leur distribution `a la pointe de la Bretagne, i.e. en Mer d’Iroise. De mˆeme, chez le polych`ete Sabellaria alveolata, un important contraste phy-log´eographique est observ´e entre le Golfe de Gascogne et la r´egion Manche-Mer d’Irlande, mˆeme si dans le cas de cette esp`ece, la pr´esence d’esp`eces cryptiques n’est pas envisag´ee. Ce sch´ema opposant deux r´egions distinctes peut n´eanmoins ˆetre plus complexe comme cela a ´et´e rapport´e pour le polych`ete Owenia fusiformis chez lequel trois clades principaux ont ´et´e diff´erenci´es. Le clade 1 est principalement pr´esent en Mer du Nord et le long des cˆotes fran¸caises de la Manche et de l’Atlantique alors que le clade 2 est cantonn´e `a la mer d’Irlande et aux cˆotes sud de l’Angleterre. Le clade 3, trouv´e `a de plus faibles fr´equences, est quant `a lui pr´esent des deux cˆot´es de la Manche, exclusivement en zone intertidale.

La Mer d’Iroise se caract´erise par un fort hydrodynamisme, avec en particulier la pr´esence de fronts halins et thermiques (Le Boyer et al., 2009; Pingree et al., 1982, 1975) qui pourraient contraindre le transport larvaire et donc la connectivit´e entre le Golfe de Gascogne et la Manche, conform´ement aux hypoth`eses avanc´ees par Gaylord et Gaines (2000) le long des cˆotes californiennes. Cependant, la pr´esence transitoire `a l’entr´ee de la Manche occidentale d’eaux dessal´ees en provenance du Golfe de Gascogne (i.e. extension des plumes de la Loire et de la Gironde) au d´ebut du printemps sugg`ere des ´echanges

larvaires potentiels entre le nord du Golfe de Gascogne et la Manche occidentale sous certaines conditions hydroclimatiques (Kelly-Gerreyn et al., 2006).

D’autre part, il existe dans le Golfe de Gascogne de nombreuses structures hy-drodynamiques complexes `a m´eso-´echelle, telles que les plumes d’estuaires, des lentilles d’eau dessal´ees ou des ph´enom`enes d’upwelling et de downwelling (Figure I.31), qui sont susceptibles d’influencer les sch´emas de dispersion larvaire (Koutsikopoulos et Le Cann, 1996; Puillat et al., 2006, 2004). De telles structures peuvent favoriser tantˆot la r´etention locale, tantˆot le transport vers le sud ou l’export vers le nord (Puillat et al., 2006, 2004). L’impact de ces structures caract´eris´ees par une forte variabilit´e intra- et inter-annuelle devrait toutefois ˆetre fonction de leur pr´esence ou non lors de la p´eriode de reproduction des invert´ebr´es cˆotiers, et de leur p´erennit´e `a l’´echelle de la dur´ee de vie des larves.

L’hydrodynamisme en Manche occidentale se distingue tr`es fortement de celui du Golfe de Gascogne par le rˆole primordial que tient la mar´ee et par les faibles apports d’eau douce (Pingree et al., 1985). Ainsi, les eaux de la Manche occidentale se caract´erisent par un fort brassage sur la verticale et l’absence de stratification saisonni`ere `a l’exception de la limite sud-ouest des cˆotes anglaises. La mar´ee est ´egalement responsable d’une circu-lation r´esiduelle orient´ee sch´ematiquement du sud-ouest vers le nord-est avec des vitesses de courants r´esiduels comprises en g´en´eral entre 1 et 5 cm.s-1 (Figure I.32) (Salomon et Breton, 1993). En modifiant l’´ecoulement des masses d’eau, la pr´esence d’accidents topo-graphiques, de caps ou d’ˆıles est `a l’origine de la formation de nombreuses structures tour-billonnaires p´erennes ou non le long des cˆotes (Salomon et Breton, 1993). Ces structures sont particuli`erement bien d´evelopp´ees dans le Golfe Normand-Breton o`u leur rˆole sur le transport du mat´eriel dissous ou particulaire est important. Alors que les tourbillons induits par les caps se comportent comme des structures de r´etention, les tourbillons qui se d´eveloppent autour des ˆıles agissent comme des zones de m´elange intense (M´enesguen et Gohin, 2006). Il convient n´eanmoins de souligner que si la mar´ee est responsable de l’essentiel du transport des masses d’eau `a long terme, la circulation induite par le vent peut tenir un rˆole non n´egligeable `a des ´echelles de temps plus courtes (Pingree et al., 1975).

I.7.2 Mod`eles biologiques

Trois esp`eces cibles de polych`etes occupant un habitat cˆotier fragment´e ont ´et´e s´election-n´ees dans la pr´esente ´etude : Pectinaria koreni, Owenia fusiformis, et Sabellaria alveolata (Figure I.33). Ces trois esp`eces poss`edent des caract´eristiques biologiques contrast´ees en mati`ere d’habitat, de dur´ee de vie larvaire, et de comportement natatoire (Table I.2). Leur ´etude comparative permettra ainsi de v´erifier l’importance des traits d’histoire de vie des esp`eces sur la dispersion et la connectivit´e dans diff´erents contextes hydrodynamiques. Par ailleurs, leurs larves ´etant ais´ement identifiables sur de simples crit`eres morphologiques, elles se prˆetent `a la r´ealisation d’observations in situ (Figure I.34).

Figure I.32 – Circulation r´esiduelle en Manche. Les lignes de courant lagrangien sont repr´esent´ees en condition de mar´ee moyenne et sans vent. L’orientation du courant est indiqu´e par des fl`eches blanches. Les vitesses de courants r´esiduels sont indiqu´ees en m.s-1. Figure issue de Salomon et Breton (1993).

Tableau I.2 – Caract´eristiques biologiques des trois esp`eces cibles ´etudi´ees, d’apr`es des donn´ees d’observation in situ (i) en Manche :1aIrlinger et al. (1991),1bLagadeuc et Reti`ere (1993),1cLagadeuc (1992b),1dThi´ebaut et al. (1996),2aM´enard et al. (1989),2bGentil et al. (1990), 2cThi´ebaut et al. (1992), 2dDauvin (1992), 3cDubois et al. (2007) ; et (ii) dans le Golfe de Gascogne :3aGruet (1982), et3bGruet et Lassus (1983).

Pectinaria koreni Owenia fusiformis Sabellaria alveolata Habitat fragment´e Sables fins envas´es Sables fins envas´es R´ecifs biog´eniques Dur´ee de vie De 12 `a 18 mois1a De 3 `a 4 ans2a De 4 `a 5 ans3a

Mode de Univoltine1a Multivoltine2a Multivoltine3a

reproduction

P´eriode de ponte Mars-Avril et Mai-Juin1a

Avril-Juin2b Mars-Avril et Juin-Septembre3b

Dur´ee de vie larvaire 2 semaines1b 4 semaines2b de 4 `a 10 semaines3c

Comportement de Migration Migration Possible migration

nage des larves ontog´enique1c ontog´enique2c tidale3c

Comportement de Non Non2d Oui : gr´egaire

s´election de l’habitat

Comportement Oui : d´erive1d Non Non

post-larvaire juv´enile

Figure I.34 – Larves des trois esp`eces cibles de polych`etes occupant un habitat cˆotier fragment´e retenues dans la pr´esente ´etude : (A) Pectinaria koreni, (B) Owenia fusiformis, et (C) Sabellaria alveolata.

I.7.3 M´ethodes d’´etude mises en œuvre

Plusieurs approches compl´ementaires ont ´et´e mises en œuvre (Figure I.29B) : (i) d’une part, l’observation in situ des abondances larvaires de ces trois esp`eces dans le Nord du Golfe de Gascogne en relation avec la pr´esence de structures hydrologiques `a m´eso-´echelle, (ii) d’autre part, la mod´elisation coupl´ee biologie-physique de la dispersion et de la connectivit´e, `a l’´echelle r´egionale du Golfe de Gascogne et de la Manche occidentale en utilisant un mod`ele lagrangien g´en´erique et `a l’´echelle locale du Golfe Normand-Breton en utilisant un mod`ele eul´erien sp´ecifique. `A l’´echelle r´egionale du Golfe de Gascogne et de la Manche occidentale, l’utilisation d’un mod`ele lagrangien g´en´erique permettra de suivre individuellement les trajectoires des particules larvaires, et en particulier d’´etudier si des larves peuvent ˆetre dispers´ees depuis des populations du Golfe de Gascogne vers des populations de la Manche et dans quelles circonstances (i.e. date de ponte, dur´ee de vie larvaire, nature du comportement migratoire). `A l’´echelle locale du Golfe Normand-Breton, l’utilisation d’un mod`ele eul´erien sp´ecifique permettra de simuler la dispersion d’un nombre ´elev´e de larves de Sabellaria alveolata avec une fine r´esolution spatiale et temporelle. `A cette seconde ´echelle, l’´elaboration du mod`ele et l’analyse des r´esultats simul´es a pu s’appuyer sur de pr´ec´edentes observations in situ.

I.7.4 Plan de la th`ese

L’objectif majeur de ce travail de th`ese a ´et´e d’´evaluer les rˆoles relatifs jou´es par les processus hydrodynamiques et hydroclimatiques, et les traits d’histoire de vie d’invert´ebr´es `

a cycle bentho-p´elagique sur la dispersion larvaire et la connectivit´e en milieu cˆotier dans le Golfe de Gascogne et la Manche occidentale. Le pr´esent manuscrit s’articule ainsi autour de deux parties, correspondant respectivement `a l’´echelle r´egionale du Golfe de Gascogne et de la Manche occidentale et `a l’´echelle locale du Golfe Normand-Breton, et de quatre chapitres traitant les questions suivantes :

(1) Comment les structures hydrodynamiques `a m´eso-´echelle du nord du Golfe de Gascogne influencent la distribution in situ du m´eroplancton ?

`

A partir de l’´echantillonnage in situ du m´eroplancton dans le Nord du Golfe de Gascogne, ce premier chapitre d´ecrit les distributions horizontale et verticale des larves des trois esp`eces cibles d’invert´ebr´es cˆotiers en fonction des structures hydrologiques `

a m´eso-´echelle observ´ees au cours du printemps lors de la mise en place de la stra-tification saisonni`ere de la colonne d’eau. Les r´esultats obtenus permettent de discuter de l’importance relative des facteurs hydrologiques et de la structuration spatiale de cet environnement sur les distributions larvaires et la dispersion.

(2) De quels param`etres d´ependent la dispersion et la connectivit´e le long des cˆotes Atlantiques fran¸caises ? Existe-il une barri`ere physique `a la dispersion et `a la connectivit´e entre le Golfe de Gascogne et la Manche ?

Dans ce second chapitre, un mod`ele lagrangien g´en´erique de dispersion larvaire est utilis´e pour simuler en conditions hydroclimatiques r´ealistes la dispersion larvaire d’in-vert´ebr´es `a cycle bentho-p´elagique et la connectivit´e entre populaions dans le Golfe de Gascogne et de la Manche occidentale. Les principaux facteurs hydrodynamiques et bio-logiques influen¸cant la dispersion larvaire sont d´ecrits en mettant plus particuli`erement l’accent sur le lieu de ponte, la date de ponte, la dur´ee de vie larvaire et les comporte-ments migratoires. Les r´esultats issus des simulations sont analys´es afin d’identifier les

facteurs qui favorisent ou limitent les flux larvaires `a travers la zone de transition biog´eographique entre le Golfe de Gascogne et la Manche.

(3) Comment le changement climatique est-il susceptible de modifier la dispersion larvaire et la connectivit´e dans le Golfe de Gascogne et en Manche ?

Dans ce troisi`eme chapitre, plus court que les pr´ec´edents, le mod`ele biophysique g´en´erique pr´ec´edemment d´evelopp´e `a l’´echelle r´egionale est utilis´e pour tester plusieurs hypoth`eses sur les cons´equences possibles du changement climatique sur la dispersion et la connec-tivit´e des invert´ebr´es marins. Nous testerons en particulier les cons´equences d’une p´eriode de ponte pr´ecoce et de dur´ees de vie larvaire raccourcies.

(4) Quelle est l’importance relative des processus hydroclimatiques et des caract´eristiques biologiques sur la connectivit´e des r´ecifs biog´eniques construits par le polych`ete Sabellaria alveolata en Baie du Mont-Saint-Michel (Golfe Normand-Breton) ?

Dans ce dernier chapitre, un mod`ele eul´erien sp´ecifique de la dispersion larvaire de l’esp`ece Sabellaria alveolata `a l’´echelle locale du Golfe Normand-Breton est utilis´e pour estimer la connectivit´e entre les r´ecifs biog´eniques construits par cette esp`ece en baie du Mont-Saint-Michel. Si Sabellaria alveolata est une esp`ece largement r´epandue sur le littoral europ´een, elle constitue des r´ecifs de grande ampleur uniquement dans un nombre r´eduit de sites tels que la baie de Bourgneuf sur le littoral Atlantique, la baie du Mont-Saint-Michel en Manche ou Duckpool en Mer d’Irlande. Les r´esultats obtenus, qui d´ecrivent l’influence relative de la variabilit´e intra- et inter-annuelle des conditions hydroclimatiques sur la dispersion et la connectivit´e de cette esp`ece, permettent d’´evaluer le rˆole de la dispersion dans un contexte conservation d’un patrimoine naturel.

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