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Problématique générale de la thèse, questions posées, axes de travail

I- Cadre conceptuel général

Comme exposé en introduction, le paludisme contribue au maintien des hémoglobinopathies dans la population humaine (hypothèse d’Haldane). La pathogénicité des hémoglobinopathies dans leur forme homozygote prédisposerait a

priori ces mutations génétiques à un confinement voire à une expulsion totale du

génome humain. En effet, en absence de traitement approprié les sujets porteurs de ces mutations à l’état homozygote ou composite n’atteignent généralement pas la puberté (exception faite du cas de l’HbC qui est une affection plus bénigne) sont donc incapables d’assurer la descendance, ce qui constitue un désavantage très important pour le maintien la transmission de ces traits génétiques. Pourtant ces mutations ont émergé et se sont propagées de façon indépendante dans plusieurs régions. Leur répartition est quasi superposable aux régions de distribution passées ou présentes du paludisme, une des maladies les plus meurtrières de l’histoire de l’espèce humaine depuis sa sédentarisation, il y a plus de 10.000 ans. Ce constat fut à l’origine de l’hypothèse d’Haldane en 1949 selon laquelle, ces variants génétiques confèrent une protection contre le paludisme. Plusieurs études épidémiologiques ont rapporté des indications tangibles de cette protection concernant l’HbAS, l’HbC et l’alpha-thalassémie. La masse de données générées dans le domaine est considérable tant sur le plan épidémiologique, que mécanistique ou médical.

Toutefois la compréhension des mécanismes de protection conférée contre le paludisme par les principales hémoglobinopathies (HbAS, l’HbC et l’alpha-thalassémie) comporte encore de nombreuses zones d’ombre. Dans cette interaction entre hémoglobinopathies et paludisme, il y a un contraste fort entre la simplicité et la solidité apparente du concept général de polymorphisme équilibré et la complexité de son exploration mécanistique. Il y a consensus sur le concept mais controverse sur le ou les mécanismes.

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II- Mécanismes de la protection conférée contre le paludisme par les hémoglobinopathies : un chapitre riche mais complexe aux frontières de la paludologie et de l’hématologie

Les méta-analyses et revues générales [27, 77] récentes montrent que quel que soit le mécanisme protecteur évoqué, les explorations n’apportent jamais de réponse tout-à-fait consensuelle. A titre d’exemples, la croissance parasitaire in vitro dans des GR HBAS, CC ou thalassémiques est généralement mais pas toujours diminuée (à l’exception de la croissance en GR HBAS en hypoxie), la réponse adaptative est parfois augmentée mais ce n’est pas constant. Par ailleurs, la plupart des mécanismes proposés sont basés sur des observations in vitro ou sur modèle animal. L’extrapolation de ces résultats à la physiopathologie humaine n’est pas toujours validée. Enfin, la multiplicité des mécanismes proposés et l’absence de hiérarchisation quant à leurs impacts relatifs rend l’analyse de ce champ de recherche complexe et fait émerger plusieurs questions générales :

La protection relève-t-elle d’un mécanisme protecteur générique, commun à toutes les hémoglobinopathies ou d’un (ou de) mécanisme(s) spécifique(s) propre(s) à chaque hémoglobinopathie ?

Une réduction la cytoadhérence des globules rouges parasités peut-elle être ce mécanisme protecteur commun ?

Le parasite est-il capable de s’adapter à l’environnement particulier du globule rouge d’hémoglobinopathie pour maintenir un niveau de cytoadhérence compatible avec une multiplication efficace ?

Un blocage inné des globules rouges parasités dans la rate peut-il intervenir dans une ou plusieurs hémoglobinopathies en particulier l’HbAS ?

Ces questions constituent l’axe central de mon travail de thèse.

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1- Article I : Exploration de l’inhibition de la cytoadhérence en tant que

mécanisme potentiel de protection commun à toutes les hémoglobinopathies.

L’inhibition de la cytoadhérence in vitro des GR parasités de sujets HbAS et HbC avait été décrite et serait due à une perturbation de la morphologie et de la topographie des molécules de PfEMP-1 exprimées à la surface de ces GR [198, 292]. Cette altération phénotypique est en partie liée aux modifications induites par le dépôt d’hémichromes issus de l’oxydation de l’hémoglobine instable contenue dans ces GR. Ce phénomène étant décrit dans le contexte de deux hémoglobinopathies, l’hypothèse d’une inhibition de la cytoadhérence comme mécanisme de protection antipaludique des sujets porteurs d’alpha-thalassémie était donc formulée et prenait en compte les observations cliniques et épidémiologiques de terrain. En effet de multiples études épidémiologiques n’ont pas trouvé d’association entre l’alpha-thalassémie et une réduction de la prévalence ou de la densité de P. falciparum (mesuré par la parasitémie). Ces observations ne concordent pas avec les hypothèses de réduction de croissance des parasites dans ces GR, de l’élimination accrues des GR α-thalassémiques infectés soit par phagocytose soit du fait d’une réponse spécifique humorale anti plasmodium accrue chez ces sujets. En revanche, une réduction de la cytoadhérence expliquerait bien la tolérance des sujets alpha-thalassémiques au paludisme grave même sur fond de parasitémie élevée

Nous avons donc exploré cette hypothèse au cours de ces travaux de thèse en utilisant des souches de parasite de terrain isolées des patients maliens et des cellules endothéliales microvasculaires humaines.

2- Article 2 : Adaptation parasitaire à l’environnement cellulaire particulier des GR HbAS et HbC : le déficit de cytoadhérence peut-il être compensé par une adaptation/sélection de variants parasitaires ?

L’Hb AS et l’Hb C protègent les sujets qui en sont porteurs par une réduction de la cytoadhérence, elle-même due à une expression altérée des molécules de PfEMP-1 à la surface des GR parasités. Cependant, sur le terrain, certains sujets HbAS et HbC

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souffrent d’accès palustres symptomatiques parfois graves Les variants de PfEMP-1 exprimés par les parasites au moment de ces attaques devraient donc avoir un phénotype de cytoadhérence assez prononcé pour compenser l’inhibition induite par le développement altéré du parasite dans les GR HbAS/HbC. Nous avons exploré l’hypothèse d’une plus forte adhérence de parasites de Patients HbAS/HbC comparée à l’adhérence de parasites de patients HbAA, tous les parasites ayant été cultivés dans des GR HbAA.

3- Article 3 : La rate jouerait-elle un rôle dans la protection des sujets porteurs de trait drépanocytaire contre le paludisme ?

La gravité du paludisme est corrélée à la charge parasitaire [293]. Une parasitémie d’environ 0.01% est généralement nécessaire à l’induction du paludisme symptomatique [54]. Plusieurs études ont rapporté des faibles parasitémies et une persistance de parasitémie asymptomatiques chez les sujets HbAS. De plus, en zone de transmission saisonnière, les sujets HbAS souffrent de leur premier accès en moyenne un mis plus tard que les sujets HbAA [150, 151]. Cette observation suggère une ascension plus lente de la parasitémie chez les sujets HbAS que chez les sujets HbAA. Il pourrait s’agir d’une croissance plus lente, comme observé in vitro à faible concentrations d’oxygène, d’une clairance plus efficace de la des GR parasités chez les sujets HbAS, ou d’une combinaison de ces deux phénomènes. . Les travaux de l’équipe d’accueil ont montré que la rétention mécanique innée des GR HbAA parasités par des formes jeunes pouvait contribuer au contrôle de la charge parasitaire [219, 241]. Une rétention splénique précoce et accrue des GR infectés (contenant les formes jeunes de Plasmodium falciparum) contribuerait à un contrôle de la parasitémie chez les sujets HbAS. Cette rétention pourrait être essentiellement mécanique à cause de faible déformabilité initiale de ces GR accentuée par la présence du parasite [294-296]

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Figure 11 : Illustration spéculative du rôle possible de la rétention splénique des GR

parasités circulants, dans l’évolution du paludisme vers les différentes formes cliniques

Source : Buffet et al, Curr Opinion in Hematology 2009 [54]

En utilisant des outils d’étude de la rétention mécanique splénique récemment développés, nous avons exploré l’hypothèse d’une rétention mécanique splénique accrue des GR infectés par les formes jeunes (anneaux) de P. falciparum chez les patients HbAS.

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