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Cytoadhérence et protection des sujets α-thalassémiques contre le paludisme grave

Chapitre IV : Discussion générale

I- Cytoadhérence et protection des sujets α-thalassémiques contre le paludisme grave

Les observations de terrain au cours d’études de cohorte et d’études cas-témoins montrent que l’α-thalassémie protège contre certaines formes graves du paludisme comme le neuropaludisme, l’anémie palustre grave et l’hyperventilation d’acidose [80, 85-87]. Cependant la protection contre le paludisme simple et l’incidence palustre reste un sujet controversé alors qu’aucune preuve formelle n’a été apportée concernant à la protection des sujets α-thalassémiques contre l’infection asymptomatique et la densité parasitaire [80, 85-87, 170] [89, 169, 171, 297, 298]. Pour expliquer ces observations, nous avons formulé l’hypothèse d’une cytoadhérence faible des GR α-thalassémiques parasités comme décrite avec les GR HbAS et HbAC [198, 292].

Nous avons montré une adhésion plus faible des GR α-thalassémiques parasités aux cellules endothéliales humaines et aux monocytes que celle observée avec les GR HbAA contrôles parasités. Cette réduction est corrélée au degré de thalassémie (nombre de gène α non fonctionnels) des GR. En d’autres termes, le score de cytoadhérence avec les GR α-thalassémiques HbH (--/-α) est inférieur à celui des GR thalassémiques homozygotes (-α/-α) qui est lui-même inférieur à celui des GR α-thalassémiques hétérozygotes (-α/αα). Le faible niveau d’expression des molécules de PfEMP-1 observé à la surface des ces GR est cohérent avec ces réductions de

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cytoadhérence. Nos résultats sont en contradiction avec ceux rapportées par Luzzi et al en 1991 [299] et Williams en 2002 [180]. Ces auteurs ont utilisé des souches de laboratoire de P. falciparum adaptées à culture alors que nos résultats ont été obtenus avec des isolats primaires de P. falciparum issus directement de patients naturellement infectés. De plus Luzzi avait utilisé des cellules C32 de mélanome qui pourraient être différentes de cellules endothéliales humaines de micro-vaisseaux utilisées dans nos expériences et qui sont celles réellement impliquées dans la cytoadhérence in vivo.

En quoi le(s) phénotype(s) cellulaire(s) observé(s) avec les GR thalassémiques expliquent-ils ou pas la protection

L’adhésion des GR parasités aux cellules endothéliales et aux monocytes stimule ces derniers, qui produisent en réponse des cytokines pro-inflammatoires en partie responsables des symptômes du paludisme comme la fièvre et les douleurs articulaires [36, 45, 300, 301]. Ces cytokines stimulent la sur-expression des récepteurs pour le PfEMP-1 comme l’ICAM-1 à la surface des cellules endothéliales cérébrales [302]. Cela a pour conséquence un emballement du phénomène de séquestration des GR parasités aboutissant à une hypoxie cérébrale, élément central de la physiopathologie du neuropaludisme. Les cytokines produites par les monocytes suite à leurs activations par l’adhésion des GR parasités sont aussi responsables de dysérythropoïèse [303] ce qui peut contribuer dans certaines circonstances à la physiopathologie de l’anémie palustre grave [52]. Jusque là, les hypothèses mécanistiques proposées pour expliquer la protection des sujets α-thalassémiques contre le paludisme ne rendaient pas compte de toutes les observations de terrain. La plupart de ces mécanismes suggèrent une réduction de la parasitémie soit en limitant l’invasion et le développement des parasites dans les GR [184, 191] soit en favorisant la phagocytose des GR parasités [180, 184] ou encore par une réponse immunitaire accrue aux antigènes parasitaires [299]. Récemment, la microcytose érythrocytaire a été évoquée pour expliquer la protection contre l’anémie palustre grave chez les sujets α-thalassémiques homozygotes en Papouasie Nouvelle Guinée mais pas chez le hétérozygotes [195]. Ces mécanismes n’expliquent pas comment l’α-thalassémie peut permettre aux sujets

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qui en sont porteurs de développer le paludisme simple avec des parasitémies aussi élevées que les autres sujets tout en les protégeant contre les formes graves du paludisme comme le neuropaludisme et l’anémie grave.

Nos résultats sont cohérents avec les caractéristiques biologiques des GR α-thalassémiques ainsi qu’avec les données épidémiologiques relatives à la protection des sujets α-thalassémiques contre le paludisme. En effet, l’instabilité des variants d’hémoglobines (l’HbS, l’HbC et de la β-globine non appariée) pourrait expliquer en partie la perturbation de l’expression des molécules de PfEMP-1 à la surface des GR. En effet, ces hémoglobines sensibles au stress oxydatif se transforment en hémichromes qui se déposent à la face interne de la membrane cytoplasmique des GR [304-306]. Ce processus de dégradation de l’hémoglobine en hémichromes est accéléré au cours de la maturation du parasite en trophozoïte dans le GR [200] (période correspondant à la synthèse de PfEMP-1). Le dépôt d’hémichromes à la face interne de la membrane des GR empêcherait l’extériorisation des molécules de PfEMP-1 à la surface des GR. La grande quantité d’hémichromes contenue dans les GR HbS et HbC inhiberait la polymérisation de l’actine dont les polymères servent de support aux vésicules de Maurer’s Clefts (vésicules d’exportation des molécules de PfEMP-1). De façon générale, toute situation innée (hémoglobinopathies ou enzymopathies héréditaires) ou acquise pouvant induire ou accélérer la formation et le dépôt d’hémichromes à l’intérieur des GR pourrait affecter l’expression normale des molécules de PfEMP-1 à la surface des GR et donc le phénomène de cytoadhérence. La perturbation quantitative (biomasse de GR parasités ayant adhéré aux cellules de l’hôte) ou qualitative (avidité de l’interaction entre les GR parasités et les cellules de l’hôte) du phénomène de cytoadhérence constituerait un mécanisme commun aux hémoglobinopathies dans la protection des sujets contre la gravité du paludisme.

La microscopie à force atomique a mis en évidence deux profils de distribution des PfEMP-1 à la surface des GR α-thalassémiques hétérozygotes et homozygotes. Une distribution anormale avec une irrégularité morphologique des boutons de PfEMP-1 de grande taille assez espacés. Cette anomalie de distribution est de nature à fragiliser

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l’adhésion des GR parasités aux cellules de l’hôte. Cela a pour conséquence une moindre stimulation de ces cellules à produire des cytokines inflammatoires donc une tolérance accrue des sujets α-thalassémiques hétérozygotes et homozygotes au paludisme [307]. En revanche, nous avons aussi observé des GR α-thalassémiques hétérozygotes et homozygotes parasités présentant des boutons de PfEMP-1 de petite taille recouvrant de façon régulière toute la surface du GR parasité. Ce profil de distribution des molécules de PfEMP-1 est associé à une adhésion massive des GR parasités aux cellules endothéliales, ainsi qu’à un phénotype de formation accrue de rosette et de d’agglutinat de GR parasités [198]. Ce profil de distribution des

molécules de PfEMP-1 observé à la surface -thalassémiques

(hétérozygotes et homozygotes) parasités expliquerait les observations de terrain rapportant des cas de paludisme grave chez les sujets α-thalassémiques hétérozygotes et homozygotes [85, 142]. De plus malgré l’altération (morphologique et topographique) de l’expression des molécules de PfEMP-1 à la surface des GR parasités, certaines souches virulentes de P. falciparum produisant des variants de PfEMP-1 ayant une avidité grande pour leurs récepteurs pourrait stimuler suffisamment les cellules de l’hôte et induire des réponses inflammatoires.

En résumé : Nos observations montrent que l’α-thalassémie à l’instar de l’HbAC et de l’HbAS fragilise l’interaction entre les GR parasités et les cellules de l’hôte à travers une perturbation de l’expression des molécules de PfEMP-1 à leurs surfaces. Ces observations sont cohérentes avec les aspects épidémio-cliniques de la protection conférée contre le paludisme par ces hémoglobinopathies.

II- Phénotype de cytoadhérence des isolats primaires de Plasmodium