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5. LORSQUE L’HORAIRE NE CONCORDE PAS AVEC LE RYTHME ENDOGÈNE :

5.1. Problématique associée aux horaires scolaires chez les adolescents

Une première problématique liée à la position inappropriée du cycle veille-sommeil et le rythme circadien endogène est celle des horaires de cours au secondaire. Le changement le plus marquant dans l’horaire des épisodes veille-sommeil des adolescents est leur tendance à retarder progressivement leur épisode de sommeil avec les années, se couchant et se levant de plus en plus tard. On compte parmi les causes de ce délai progressif de la phase du sommeil les facteurs psychologiques et sociaux inhérents à la maturation vers le passage à la vie adulte. En effet, la puberté est accompagnée d’un besoin d’autonomie et d’affirmation et comporte dès lors différents défis en lien avec la socialisation et l’identité. L’adolescence s’accompagne aussi de plus grandes exigences académiques et marque le moment où une majorité va commencer à travailler contre rémunération pendant l’année scolaire. Conséquemment, l’adolescent typique multiplie ses activités en soirée ce qui contribue à décaler son heure de coucher [172-176].

Ce délai dans le cycle veille-sommeil chez l’adolescent serait également tributaire de facteurs biologiques. De multiples évidences provenant d’études effectuées en laboratoire, en milieu naturel et à l’aide de questionnaires indiquent en effet que le rythme circadien endogène subi un délai de phase au cours de l’adolescence [177-182]. D’autres espèces expriment également un délai de phase circadienne au moment de leur puberté, suggérant que celui-ci semble inhérent au développement normal des mammifères [183]. À notre connaissance, ce délai de

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phase découle 1) d’une plus longue période circadienne pendant la puberté, 2) d’une exposition à la lumière plus tardive due aux activités effectuées en soirée, ce qui contribuerait à retarder la phase circadienne et 3) de changements que l’on retrouve dans l’accumulation de la pression homéostatique (i.e., pression à dormir) chez les adolescents [184,185]; comparativement aux enfants n’ayant pas encore commencé la puberté, les adolescents ont une accumulation plus lente de pression homéostatique de sommeil, ce qui les rendrait plus résistants à de plus longues périodes d’éveil. Cela s’ajoute au fait que leur phase circadienne serait plus tardive ou plus longue, contribuant à leur heure de coucher de plus en plus tardive [186,187].

S’il est possible pour l’adolescent de retarder son heure de coucher, il est par contre plus problématique de se lever de plus en plus tard lors des jours d’école. En effet, l’horaire scolaire est le principal déterminant de l’heure du lever lors des jours de classe chez les adolescents. Si les adolescents se couchent de plus en plus tard et se lèvent toujours aussi tôt, cela signifie que la durée de sommeil pendant les jours de classe est graduellement réduite au cours de l’adolescence. Or, des évidences suggèrent que la durée de sommeil nécessaire durant l’adolescence est la même du début à la fin de la puberté [169]. Or des douzaines voire centaines d’études laissent penser que les adolescents dorment substantiellement moins que les quelque neuf heures nécessaires. Le plus récent sondage du National Sleep Foundation (2006), réalisé auprès d’élèves américains du secondaire, a rapporté que 87 % des adolescents dorment moins que 8,5 heure par nuit. Une autre étude américaine, le Youth Risk Behavior

Survey (2010), rapporte que seulement un adolescent sur trois dort huit heures par nuit ou

plus.

Le sommeil de rattrapage le week-end est un autre phénomène qui résulte de la dette de sommeil accumulée lors des jours de classe. La durée du sommeil est significativement plus longue le week-end afin de récupérer de la privation partielle de sommeil constituée pendant les jours de classe [188] (Figure 11). Il va sans dire que cette dette de sommeil partielle chronique a été associée avec une multitude de conséquences potentiellement négatives pour la réussite scolaire et la santé des adolescents, incluant une détérioration de l’humeur, de la maîtrise de soi, de la performance à des tâches cognitives et, également, un risque accru de blessures et d’accidents [189-191]. Une privation de sommeil plus importante a par ailleurs

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été associée à davantage d’absentéisme, une moindre performance académique et une plus faible motivation scolaire [192-195]. Il est également logique de penser que dans un processus de maturation critique comme la puberté, le manque de sommeil chronique a potentiellement un impact sur le développement et les mécanismes de croissance [170].

Figure 11. Représentation du délai des heures de lever (ligne continue grise) et de coucher (ligne continue noire) (axe des y) en fonction de l’âge (axe des x) pendant (A) les jours de classe et (B) la fin de semaine. Les couleurs bleu et vert renvoient à des durées de sommeil respectant les recommandations pour les adolescents (i.e., ≥ 9 heures par nuit). Les couleurs allant du jaune au rouge en passant par l’orangé représentent des durées de sommeil inférieures à ces recommandations. Adapté de [196]; afin de construire ce graphique, les auteurs ont moyenné les résultats de 13 études sur les adolescents rapportés dans une méta-analyse [197].

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La solution proposée pour donner une chance aux adolescents de pouvoir dormir suffisamment est de retarder l’heure du début des classes. Or, très peu d’écoles commencent les cours après 08:00 h. Aux États-Unis, un sondage du département de l’Éducation (U.S.

Department of Education) réalisé auprès de quelque 40 000 écoles secondaires en 2012 a

rapporté que moins d’une école sur cinq (17,7 %) débutait ses cours à 08:30 h ou après. Pourtant, plusieurs études ont révélé qu’un début des cours trop tôt est associé à un sommeil de plus courte durée, une augmentation du niveau de somnolence, davantage d’absentéisme, des problèmes de concentration en classe et des problèmes de comportements. D’un autre côté, plusieurs études rapportent que retarder d’une heure le début des cours augmente la durée de sommeil ainsi que la performance à des tâches cognitives et l’attention. Un début de cours plus tardif semblerait aussi améliorer les résultats scolaires – bien que d’autres études ne trouvent pas de relation entre les résultats scolaires et l’heure du début des cours [198-208]. Dans son rapport de consensus de 2014 sur le sujet, l’American Academy of

Pediatrics recommandait aux écoles secondaires de ne pas commencer les cours avant 08:30

h du matin [171]. Plus récemment, en août 2015, un rapport du Morbidity and Mortality

Weekly Report publié par le Center for Disease Control and Prevention (CDC; U.S. Department of Health and Human Services) exhortait les décideurs et les conseils scolaires

de changer leurs horaires de début de cours [209].

5.1.1. Chronotype et adolescence

Cette situation où l’horaire des cours n’est pas optimal pour le rythme circadien endogène pourrait être vécue de manière plus sévère par les adolescents de types Soir. En effet, afin de répondre aux exigences de l’horaire diurne imposé, les types Soir ont en réalité à déployer plus de ressources pour effectuer les activités quotidiennes, car celles-ci ne sont pas positionnées à un bon moment circadien pour eux, tout spécialement en ce qui a trait aux activités matinales [210]. La notion de social jetlag ou “décalage horaire social” a été proposée en 2006 par Wittman et ses collègues pour décrire cette situation de mésalignement entre le temps biologique/circadien ou “interne” et le temps social/ l’horaire imposé ou “externe” [211]. Le social jetlag a pour effet de maintenir l’adolescent dans un état de décalage horaire léger mais chronique, qui peut à son tour occasionner des problèmes de fonctionnement diurne (somnolence, fatigue) et à une propension à dormir ou à être éveillé

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à des moments inopportuns par rapport à ce que commande l’horaire extérieur [212]. Comme le « jet lag », mais à moindre échelle, cette situation peut être qualifiée de mésalignement circadien, vécu ici semaine après semaine.

Plus spécifiquement, le fait d’être un type Soir pour un adolescent est associé à plusieurs indicateurs de santé préoccupants. Tout d’abord, les types Soir ont généralement une plus courte durée de sommeil que les types Matin [213]. De plus, les adolescents de types Soir rapportent subjectivement une qualité de sommeil moindre que les types Matin, incluant davantage de symptômes d’insomnie [214-217]. Le fait d’être un adolescent de type Soir a d’ailleurs aussi été associé avec de la somnolence plus élevée [217], de plus faibles résultats scolaires de même qu’à un risque plus élevé de problèmes liés à la santé psychologique et mentale [196,218-224]. Conséquemment, de nombreux auteurs suggèrent que le fait d’être un type Soir est un facteur de risque important à l’adolescence et qu’il s’agit d’une période cruciale pour développer des stratégies et habitudes de vie préventives pour la santé [210,217,220,225-227].