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D ES PRIX FONCTION DE LA CONCURRENCE

Dans le document Le marché de soins bucco-dentaires en France (Page 140-143)

ADAPTATION AU MARCHÉ DE SOINS DENTAIRES

IV. D ES PRIX FONCTION DE LA CONCURRENCE

Nous allons étudier le rôle multifactoriel de la concurrence dans la fixation du prix en concurrence monopolistique. Il s’agit à la fois d’obtenir des parts de marché en étant attractif et de les conserver en adaptant la différenciation du bien offert. Dans un modèle standard de concurrence monopolistique, une augmentation de la concurrence s’accompagne d’une baisse des prix alors que les prix sont des compléments stratégiques. Dans le cas du marché de soins bucco-dentaires, les stratégies d’installation liées à l’attractivité du territoire – et donc à certaines caractéristiques de la demande locale – impliquent des effets croisés entre la densité et le prix du praticien. Nous traiterons ces effets dans le chapitre 3 puisque nous y étudions la fixation du prix sans l’expliquer par les comportements d’installation.

Le rôle de la concurrence sur la fixation des prix des soins est complexe et a été largement documenté (Gaynor, Town, 2012 ; Gravelle et al., 2016). En concurrence pure et parfaite, l’augmentation de la concurrence provoque une baisse des prix. Les producteurs se livrent une guerre des prix dans l’objectif d’attirer la demande par un prix plus faible et ainsi de conserver leurs parts du marché. Ce n’est pas le cas en concurrence monopolistique : les offreurs s’appuient sur la différenciation des biens qu’ils proposent plutôt que sur le prix pour faire face à la concurrence. Ils comptent sur leur spécificité pour conserver leur patientèle car les services offerts sont des biens imparfaitement substituables. Le modèle originel de concurrence monopolistique de Chamberlin (Chamberlin, 1933) montre que le pouvoir de marché de l’entreprise ainsi que l’importance de sa clientèle dépendent du nombre de concurrents sur le marché et du degré de différenciation de leurs produits. Il est dans l’intérêt de chaque offreur de diminuer cette concurrence afin de renforcer son pouvoir de monopole (selon le principe « pricing conspiracy » de Kessel en 1958) et ainsi de s’affranchir de la contrainte concurrentielle. En ce sens, les entreprises vont chercher à se différencier pour segmenter le marché et justifier l’attachement de la demande qui leur est adressée. Afin d’atteindre cet objectif et de l’asseoir, le praticien doit mettre en place une stratégie de niche avec des critères de segmentation adaptés : trouver une stratégie de niche adressée à une demande suffisamment large, où il y aura peu de concurrents proposant des produits substituables.

Dans un modèle de concurrence monopolistique, le rôle de l’intensité de la concurrence est controversé. Puisque les monopoles sont en concurrence, une forte densité de praticiens nécessite le partage de la demande entre tous les praticiens et donc une baisse individuelle du volume de soins. Les praticiens peuvent réagir à cette perte de patientèle de deux façons. Pour compenser la diminution du

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volume d’activité dans la constitution de son revenu, le soignant peut pratiquer une hausse de prix et l’accompagner éventuellement d’une hausse de la qualité pour conserver la demande adressée insatisfaite par l’augmentation du prix. L’autre réaction serait de pratiquer une baisse de prix (impliquant éventuellement une baisse des coûts de production unitaires et donc de la qualité des soins) pour attirer de nouveaux patients et augmenter ses parts de marché au détriment des confrères. La seconde stratégie a cependant une efficacité limitée en concurrence monopolistique où la demande adressée à chaque offreur n’est qu’imparfaitement élastique et ne va pas transiter d’un offreur à l’autre sous l’unique impulsion d’une variation de prix.

Les résultats des études empiriques montrent ainsi que les zones à forte densité de praticiens sont aussi celles où les prix sont élevés, malgré l’intensité de la concurrence. Pour Satterthwaite (1985), cette hausse des prix correspondrait à une « confusion informationnelle » c’est-à-dire un découragement des consommateurs face à la multiplication des coûts de recherche relatifs à l’augmentation du nombre de praticiens par habitants (Dranove, Satterthwaite, 2000 ; Satterthwaite, 1985). Parallèlement, nous observons que les zones à forte densité de praticiens sont aussi les plus attractives selon des caractères « hédonistes » (qualité de vie espérée) et où le niveau de vie de la population est le plus élevé. Les zones où la concurrence est la plus importante sont donc celles où la population est la plus solvable et ainsi celles où les chirurgiens-dentistes peuvent pratiquer des prix plus élevés. La densité implique aussi un entourage confraternel plus dense. Le mimétisme tarifaire protège la pratique de prix élevés, à l’instar d’une entente oligopolistique.

Dans une zone de désertification médicale, le chirurgien-dentiste peut se retrouver en situation de quasi-monopole. Pourtant, les prix pratiqués y sont relativement faibles. Cet effet est dû aux difficultés financières de la population locale. La faiblesse du niveau de vie explique d’ailleurs que ces zones soient peu attractives. L’offreur est obligé de pratiquer des prix bas pour qu’ils soient accessibles à une patientèle. En revanche, ayant peu de concurrence, le chirurgien-dentiste a potentiellement une demande adressée très importante. Il peut ainsi compenser, dans la constitution de son revenu, les faibles prix par un important volume d’activité. L’augmentation du volume de soins n’implique pas nécessairement que le dentiste use de sa rente informationnelle pour augmenter artificiellement la demande. Cette augmentation peut tout à fait répondre à un besoin qui était excédentaire au volume délivré précédant.

Il y a donc plusieurs stratégies d’installation en fonction de l’activité que le soignant désire développer. S’installer dans une zone géographique aux conditions de vie attractives implique une concurrence importante et donc une demande adressée potentiellement faible mais solvable. Il sera alors possible de pratiquer des prix élevés et de se ménager des temps de loisirs importants. Un autre choix serait de s’installer dans des zones peu denses, d’y soigner beaucoup de monde en s’accommodant de prix

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relativement faibles, mais d’avoir des temps de loisirs plus restreints. Ces choix sont liés à celui du prix pratiqué : installation et prix sont des décisions combinées.

La répartition des chirurgiens-dentistes sur le territoire entraîne des inégalités d’accès aux soins ainsi qu’un rationnement de l’offre de soins pour les patients qui vivent dans une commune déficitaire. L’unique contrôle de la démographie des chirurgiens-dentistes en France est l’application annuelle du

numerus clausus à l’issue de la première année de concours des études médicales. Il n’y pas de contrainte

quant au lieu d’installation, mais plusieurs régions et départements sous-dotés ont mis en place une politique d’incitations à l’installation (principalement financière) pour tenter d’augmenter leur attractivité. Il y a en effet de grandes disparités dans la répartition des chirurgiens-dentistes sur le territoire français et les nouvelles installations montrent que les zones de faible densité de chirurgiens-dentistes ne sont pas suffisamment attractives. Les praticiens vont s’implanter de façon à répondre à leurs préférences personnelles et aux conditions de la demande (préférences personnelles, densité d’habitants et niveau de vie dans la zone) (Escarce et al., 1998). La densité de praticiens par habitants est donc liée à l’attractivité de cette zone, à la fois sur des critères personnels, familiaux et professionnels comme la solvabilité de la demande (et donc la propension à pratiquer des prix libres). Ce sont les facteurs personnels comme la proximité de la famille, la connaissance antérieure de la région, l’activité professionnelle du conjoint et l’agrément du cadre de vie qui conditionnent le plus le choix de l’installation (Bilodeau, Leduc, 2003 ; Dang Ha Doan, Levy, 2000). 74 % des médecins s’installent dans la région où ils ont fait leurs études et soutenu leur thèse. Si cette région est très ensoleillée, la probabilité de ne pas en bouger est d’autant plus importante (Delattre, Samson, 2012).

Lorsque la densité de médecins dans leur zone d’activité d’exercice augmente, les médecins compensent le rationnement qu’ils subissent par le nombre de leurs patients en augmentant le volume de soins qu’ils délivrent au cours de chaque consultation (Delattre, Samson, 2012). La question que cela soulève est la suivante : cette augmentation de volume est-elle profitable car elle est la réponse à un besoin de soins qui était rationné lorsque l’offre était plus faible ou est-elle une dérive de la part des soignants qui utilisent leur rente informationnelle en induisant des besoins inexistants dans l’unique objectif de gonfler leur volume d’actes et ainsi leur revenu ? Si la demande est effectivement induite dans les zones à forte densité alors qu’elle est rationnée ailleurs, la répartition des chirurgiens-dentistes sur le territoire français est clairement inefficace et inefficiente.!

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