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L ’ ENJEU DU BESOIN DE SOINS

L’ACCES AUX SOINS BUCCO-DENTAIRES : CADRE THEORIQUE

II. L ’ ENJEU DU BESOIN DE SOINS

Les inégalités sociales de santé sont le résultat de liens étroits entre la santé et l’appartenance à une catégorie sociale. Elles n’ont pas qu’une origine physiologique et découlent de déterminants socialement construits. Elles sont donc évitables (Guichard, Potvin, 2010 ; Moleux et al., 2011). Il s’agit alors de mettre en place des politiques de santé publique visant à réduire les inégalités sociales de santé. L’action principale est d’adapter l’accessibilité des services de santé aux usagers et ainsi de développer leur disponibilité financière, temporelle et géographique au moment où le patient en a besoin. La volonté est de permettre à tous les groupes sociaux d’avoir le même accès aux soins correspondant au même niveau de besoin de soins. Pour le décideur public qui veut établir un niveau d’accès aux soins nécessaire et désirable, il faut pouvoir estimer le niveau de besoin auquel l’accès doit répondre.

Nous avons vu que le niveau de soins nécessaire est déterminant dans l’accès aux soins, qu’il soit considéré comme un processus ou comme le résultat d’un arbitrage éclairé. La mesure du besoin de soins est ainsi essentielle pour évaluer si l’accès aux soins associé est adapté ou non. Le besoin de soins permet d’apprécier

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la qualité de l’accès aux soins mais aussi de juger de la différenciation des accès en contrôlant des besoins sous-jacents.

Les articles de cette partie visent à évaluer l’accès à certains soins dentaires et à montrer que les processus de consommation sont différents selon les caractéristiques socio-économiques des individus. La connaissance du besoin de soins de chaque individu est donc indispensable afin d’apprécier le niveau d’accès aux soins qui y répond et de rendre comparables les différences d’accès entre les individus. Dans nos travaux, nous verrons que la notion de besoin de soins est une notion complexe car elle ne dépend pas seulement d’une évaluation objective de la santé à laquelle correspondrait un seul niveau de soins médicaux. Puisque nous avons mené des études empiriques et travaillé sur des données déclaratives et administratives, nous avons dû utiliser une variable composite, construite à partir du croisement de plusieurs variables déclaratives. Ce choix a été guidé par la spécificité de l’expression des besoins de soins qui sera décrite dans les paragraphes suivants et dans l’objectif de construire une variable la plus objective possible avec les moyens à disposition.

Depuis l’introduction du sucre dans notre alimentation, la santé dentaire ne peut que se dégrader en l’absence de soin. Le besoin de soins dentaires est donc continu. Il est cependant difficile d’établir quel besoin de soins doit nécessairement trouver réponse. En l’absence de norme, les différences d’utilisation des soins ne sont pas fatalement inéquitables. Cela peut simplement traduire une différence de préférences pour la santé et pour les soins (Grand, 1991). L’évaluation de son propre état de santé et de ses besoins de soins correspond à des normes qui varient selon le groupe d’appartenance de l’individu (Desprès et al., 2011). Au-delà d’un état de fait objectif, le besoin de soins est ainsi une notion personnelle qui peut être vaste. Le besoin de soins peut être subjectif (rapportée par le sujet qui est dans une situation de demande) ou objectivé par un professionnel de santé (Warin, 2011). Si le besoin de soins est médicalement avéré, il est aisé de lui faire correspondre un niveau de soins nécessaires pour améliorer ou conserver la santé du patient. En revanche, si le besoin est subjectif il sera difficile d’évaluer le niveau de soins réellement indispensable. Les compétences en matière de santé sont très variables et discriminées socialement. Selon Shmueli, il y a trois sources d'hétérogénéité de santé rapportée. La première est relative à la santé, la seconde est liée au statut socio-économique et la dernière est d’ordre culturel. Par exemple, par culture, les hommes préfèrent déclarer un bon état de santé afin de se montrer fort et viril, selon le même mécanisme, les individus atteints d’une maladie chronique ont tendance à évaluer leur état de santé à la hausse pour s’assimiler à la population générale, par adaptation et mimétisme (, 2003). C’est en différenciant le rapport de certains groupes à la santé, qu’il a été montré que les femmes, les personnes qui appartiennent aux catégories socio-professionnelles supérieures et celles avec un haut niveau d’éducation sont plus intéressées par leur santé et ont une préférence importante pour l'investissement de santé (Desprès et al., 2011). Les individus avec des préférences fortes pour leur propre santé vont déclarer un besoin plus

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important à un statut de santé donné, afin d’obtenir une amélioration maximale de leur santé. De cette façon, les individus qui ont la plus haute probabilité d’utilisation de soins dentaires sont ceux avec le meilleur statut de santé dentaire déclaré, parce qu'ils sont intéressés par leur santé et son maintien (Azogui-Levy, Rochereau, 2005). Rapporter un besoin ou un renoncement (à besoin médicalement identique) de/aux soins peut être amplifié ou diminué à cause d’un manque de connaissance (Renahy et al., 2011). La Self-Assessed Oral Health (SAOH) est l’indicateur de santé dentaire déclarée. L’indicateur objectivé le plus souvent utilisé est le CAO-D (cet indice résulte de l’addition de l’ensemble des Dents cariées, absentes, obturées).

La quantité de service médicalement optimale est déterminée par le praticien. Elle ne correspond pas aux préférences du patient ni à la quantité qui sera réellement échangée car celle-ci dépend autant du comportement de l’offre que de celui de la demande (qui peut toujours imposer ses choix, notamment en ne consommant pas du tout ou en ne revenant pas). Un modèle de concurrence pure et parfaite peut nous indiquer un benchmark en termes de quantité-qualité-prix (Feldstein et al. , 2010) qui sera inexact puisque le praticien a un pouvoir de marché sur la fixation des prix. Le besoin de soins doit être spécifié afin d’évaluer les inégalités de recours aux soins ainsi qu’une norme de niveau de soins souhaitable. Le type de besoin de soins va nous permettre aussi de mieux comprendre l’histoire de la consommation : les choix passés et futurs. La consommation passée a un impact très important en santé bucco-dentaire puisque la grande majorité des services dentaires préventifs et curatifs sont efficaces (Nguyen et al., 2008 ; Petersen, 2003).

Les iniquités horizontales de consommation de soins concernent principalement les pratiques entraînant des dépassements (Baillot, 2012). Elles sont particulièrement importantes pour les soins dentaires (Devaux, De Looper, 2012). L’existence de barrières culturelle et informationnelle explique en partie que les populations les plus pauvres et les moins éduquées aient un recours aux soins plus tardif et davantage orienté vers les soins curatifs. Le coût des soins joue un rôle majeur. La barrière financière dépend du revenu disponible ainsi que de la possession d’une assurance santé complémentaire et de sa qualité (Jusot, Wittwer, 2009). Plusieurs études ont montré une association positive entre un mauvais état bucco-dentaire et un faible niveau socio-économique, notamment à travers le revenu par ménage, le groupe social et le niveau d’éducation parental (Azogui-Levy, Rochereau, 2005 ; Bedos et al., 2003 ; Locker, 2000 ; Watt, Sheiham, 1999 ; Grignon et al., 2010 ; Piaser, Raynaud, 2002). En Finlande, quand le revenu augmente de 10 %, le nombre total de visites dentaires privées est multipliée par 6,3 % (Nguyen and Hakkinen, 2006). La couverture maladie complémentaire encourage l'accès aux soins dentaires. Par exemple, aux États-Unis, Grembowski et al. ont montré que le simple fait de détenir une couverture de santé complémentaire augmente l'utilisation de services dentaires de 6 % (Grembowski et al., 1985).

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III. ACCES FINANCIER AUX SOINS DENTAIRES : SOLVABILISATION DE LA